Cita bibliográfica: Anonym (Ed.): "XXVIII. Discours", en: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.5\028 (1723), pp. 170-177, editado en: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Los "Spectators" en el contexto internacional. Edición digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1417 [consultado el: ].


Nivel 1►

XXVIII. Discours

Cita/Lema► Heu, quis te casus dejectam conjuge tanto
Excipit ? aut quae digna satis fortuna revisit ?

Virg. Æneïd. iii. 317.

Hélas! quel cruel accident vus a privée d’un si cher Epoux ? ou quel bonheur vous est survenu, qui soit digne de vous, & qui puisse vous dédommager d’une si grande perte ? ◀Cita/Lema

Metatextualidad► Récit d’une triste Avanture, arrivée sur Charles le Hardi, Duc de Bourgogne. ◀Metatextualidad

Nivel 2► Il m’arrive souvent de courir d’un Livre à un autre pour-me remplir l’Esprit de quantité d’idées, & me disposer à mes oc-[171]cupations journalieres. Après avoir emploïé une heure à cet exercice, il en reste toujours quelque chose qui sert à nourrir l’Imagination. Les livres qui me plaisent le mieux sont les Histoires, fondées sur un bonne Autorité. L’Esprit de l’Homme aime naturellement la Justice, & lors que nous lisons une Histoire, où le Criminel, indigne de la moindre compassion, est puni à la fin, l’Ame goûte un certain plaisir à voir sa droiture vangée de l’insulte que le Crime y a fait. C’est ce qu’on sentira mieux par le récit d’un triste Evenement, que par toutes mes réflexions générales.

Nivel 3► Relato general► « Lors que Charles, Duc de Bourgogne, surnommé le Hardi, possedoit de vastes Domaines, engloutis aujourd’hui par le pouvoir exhorbitant de la France, il combla de faveurs & de biens Claude Rhynsault, qui étoit Allemand, & qui l’avoit servi dans ses Guerres contre les insultes de ses Voisins. Une grande partie de la Zélande étoit alors sujette au Duc, Prince d’une bonté & d’une Justice tout-à-fait singuliere. Rhynsault, qui n’avoit d’autre talent que son Courarage <sic>, fut assez dissimulé pour en imposer à son Maître, qui le regardoit comme une Personne d’honeur & d’une fidélité à toute épreuve, sans avoir aucun défaut qui l’empêche d’observer les regles de la Justice. Son Altesse, prévenue de cette manière en sa faveur, lui donna le Gouvernement de la Capitale de Zélande, qui [171] vint alors à vaquer. A peine Rhynsault fut pourvû de cet Emploi, qu’il jetta les yeux sur Sapphira, Femme d’une grande beauté, & qui étoit mariée à un riche Marchand de la Ville, nommé Paul Danvelt. Outre la chaleur de son naturel, & la forte inclination qu’il avoit pour les Femmes, il ne manquoit pas d’adresse pour s’insinuer dans leur Esprit. Il connoissoit le plaisir qu’il y a de posseder le cœur d’une Belle, mais il ignoroit absolument les biensèances, les douceurs & les délicatesses qui accompagnent une honête Passion dans les Ames bien nées. Avec toute cela, il avoit assez de monde, pour entendre le Langage qui réussit d’ordinaire auprès des plus foibles du beau Sexe, & il pouvoit exprimer de la bouche une Passion qu’il ne sentoit pas dans le cœur. Il étoit du nombre de ces Esprits brutaux qui peuvent trouver du goût à violer l’Innocence & la Beauté, sans avoir un grain de pitié ou de tendresse pour l’Objet qui les charme. L’Ingratitude est un Vice inséparable de l’Homme lascif ; & la jouïssancc d’une Femme par celui qui ne cherche qu’a satisfaire une Passion qui l’incommode, est toujours suivie du dégoût & de l’aversion. Rhynsault, résolu de venir à bout de son dessein sur la Femme de Danvelt, mit tout en œuvre pour s’introduire chez elle ; mais instruite de son Caractere & de ses vûes, [173] elle n’oublia rien pour éviter le piége qu’il lui tendoit. Convaincu qu’il ne réussiroit jamais par les voies ordinaires, il emprisonna le Mari, sous ombre qu’il entretenoit correspondance avec les Ennemis du Prince, & qu’il s’étoit engagé à leur livrer la Ville. Le succès répondit à son atente : Le jour avant celui, qu’on avoit fixé pour l’exécution du prétendu Criminel, la Femme du malheureux Danvelt parut dans la Sale du Gouverneur, où abatue à ses pies, elle lui embrassa les genoux & implora sa clémence. Rhynsault pour cacher le plaisir qu’il sentoit à la voir, prit un air severe, & lui ordonna, avec une autorité affectée, de se lever & de le suivre dans son Cabinet ; après lui avoir demandé si elle connoissoit le Caractere d’une Lettre qu’il tira de sa poche, & dit à haute voix, Si vous veniez rendre service à votre Mari, il faut que vous m’instruisiez sans aucun déguisement, de tout ce que vous savez de cette conspiration, & que vous me nommiez ses Complices ; puis que tout le monde est persuadé qu’il vous aime trop pour vous avoir rien caché là-dessus. Il ne fut pas plutôt arrivé dans son Cabinet que tous ses Domestiques s’en éloignerent, & qu’il manda la Demoiselle, pour lui donner audience. Alors il prit un air doux & afable, il devint Supliant lui-même, & la railla d’une afliction, dont il lui étoit si facile de [174] le délivrer. Persuadée de son mauvais dessein, elle tâcha de l’en détourner par de vives raisons, &, les yeux baignez de larmes, le conjura d’avoir égard à l’innocence de son Mari. L’Impudicité, de même que l’Ambition, s’empare de toutes les facultez de l’Esprit & du Corps, & les engage à la servir. Les pleurs de la Demoiselle, l’amertume de son ame, la jonction de ses mains & la véhémence de son discours lui donnoient autant de differentes attitudes, qui relevoient les traits de sa beauté, & enflamoient de plus en plus les désirs Criminels du Gouverneur. Cette unique Passion avoit étoufé en lui tout principe d’Humanité, & il lui déclara en termes formels, qu’il se croiroit malheureux jusqu’à ce qu’il l’eût possedée ; qu’elle ne pouvoit racheter la vie de son Mari qu’à ce prix-là, & qu’elle devoit se déterminer à prononcer la Sentence de Vie ou de Mort, entre ce moment & le lendemain à midi. Après ce cruel avis, lors qu’il la vit assez émue & dans un état propre à insinuer aux yeux du Vulgaire que leur entretien avoit roulé sur tout autre chose, il apella ses Gens pour la conduire à la Porte. Accablée de douleur, elle se rendit à la Passion, où elle découvrit à son Mari tout ce qui venoit de se passer, & le rude combat qu’elle avoit soutenu entre sa tendresse pour lui & la fidélité qu’elle devoit à sa couche. L’Epoux, honteux [175] d’avouer ce que la crainte lui suggeroit à l’aproche de la Mort, laissa échaper quelques mots, qui lui faisoient entendre qu’il ne la croiroit pas déshonorée par une action où il étoit bien persuadé que sa volonté n’auroit aucune part. Avec cette permission indirecte de lui sauver la vie, qu’il n’avoit pas le courage d’abandonner pour maintenir son honeur, elle prit congé de lui.

Le lendemain matin l’infortunée Sapphira alla trouver le Gouverneur, & conduite dans un Apartement écarté, se remit à sa discrétion. Rhynsault, loua ses charmes, se flata d’avoir un commerce libre avec elle dans la suite, & lui dit, d’un air gai & plein de transports amoureux, d’aller retirer son Mari de la Prison : Mais, ajouta-t-il, mon aimable Beauté ne doit pas être fâchée si j’ai pris des mesures, afin qu’à l’avenir il ne soit pas un obstacle à nos Rendez-vous. Ces derniers mots lui présagerent le triste sort de son Mari, qu’elle trouva executé par ordre du Gouverneur, lors qu’elle se fut rendue à la Prison.

Sapphira, qui avoit toujours paru couverte de larmes, & qui n’avoit fait que gémir durant cette rude épreuve, ne poussa ni plainte ni soupir à la vûe d’un si cruel spectacle, qui la rendit immobile sous le poids de sa douleur. Après qu’elle se fut retirée à son Logis, & qu’elle eut imploré le secours de celui qui van-[176]ge tôt ou tard l’Innocence oprimée, elle résolut d’aller trouver le Duc en secret La beauté de sa Personne, & cet air respectable que donne l’Afliction, qui néglige en même tems les formalitez, lui en rendirent l’accès facile. Arrivée en sa présence, elle s’énonça en ces termes : Voici, grand Prince, une Malheureuse, que est lasse de vivre quoi qu’elle ait vêcu jusques-ici dans l’Innocence & dans la pratique de ses devoirs. Vous ne sauriez remedier à ses infortunes ; mais vous pouvez les vanger. Si la protection des Malheureux & la punition des Coupables est une tâche digne d’un grand Prince, j’offre au Duc de Bourgogne un ample sujet de soutenir sa haute réputation, & de laver l’infamie répandue sur la mienne.

Elle n’eut pas plûtôt achevé ce Discours, qu’elle remit au Duc un Mémoire qui contenoit le récit de sa triste Avanture. Il le lut avec tous les mouvemens que l’Indignation & la Pitié peuvent exciter dans un Prince jaloux de son honeur par raport à la conduite de les Officiers, & qui aime la prosperitè de ses Sujets.

Rhynsalut fut donc mandé à la Cour, & confronté avec Sapphira, en présence de quelques-uns des Membres du Conseil, & du Prince lui-même, qui lui demanda, s’il connoissoit cette Demoiselle ? Dès que Rhinsault pût revenir de sa surprise, il dit au Duc qu’il l’épouseroit, si son Altesse vouloit bien [177] regarder cette démarche comme une juste réparation de son Crime. Le Duc en parut content, & fit d’abord célébrer le Mariage. II dit ensuite au Gouverneur, Vous en êtes venu jusques-là, forcé par mon Autorité ; mais je ne croirai jamais que vous aïez de la tendresse pour elle, à moins que vous ne lui fassiez une Donation de out votre Bien, pour en jouir après votre mort. Aussitôt que ces deux Actes furent expediez, le Duc, qui en fut le témoin, se tourna vers la Demoiselle, & lui dit, Il ne me reste plus à present qu’à vous mettre en posession du Bien que votre Mari a eu la bonté de vous donner ; & là-dessus il commanda que Rhinsault fut incessamment executé.» ◀Relato general ◀Nivel 3 ◀Nivel 2

T. ◀Nivel 1