Citazione bibliografica: Anonym (Ed.): "XXVI. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.5\026 (1723), pp. 158-164, edito in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Gli "Spectators" nel contesto internazionale. Edizione digitale, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1415 [consultato il: ].


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XXVI. Discours

Citazione/Motto► — —— Nam cum postrata sopore
Urget membra quies, & mens sine pondere ludit,
Quidquid luce fuit, tenebris agit. -- -- --

Petron. Satyr. C. 104.

1 Lors qu’un profond sommeil nous ferme la paupiere,
l’Esprit, se trouvant libre, agit sans la matiere,
Il retrace dans l’ombre à notre Entendement,
Les objets qu’à nos Sens presente la lumiere. ◀Citazione/Motto

Metatestualità► Réflexion sur la nature de l’Ame à l’occasion des Rêves. ◀Metatestualità

Livello 2► Metatestualità► Quoi qu’il y ait divers Auteurs, qui ont écrit sur les Songes, ils les ont presque tous regardez comme des Révélations de ce qui est arrivé en certains Païs fort éloignez du nôtre, ou comme des Présages de ce qui doit arriver dans la suite.

Je les vai considérer ici sous une tout autre vûe, en ce qu’ils peuvent nous donner quelque idée de l’excellence de nos Ames, & nous insinuer qu’elles sont indépendantes de la matiere. ◀Metatestualità Racconto generale► En premier lieu, nos Rêves nous fourn-[159]nissent de bonnes preuves de l’Activité qui est naturelle à l’Ame, & qu’il n’est pas au pouvoir du Sommeil d’éteindre ou de ralentir. Lors qu’on est las & accablé par la fatigue du Jour, cette Partie agissante de nous mêmes est toujours occupée & infatigable. Lors que les Organes des Sens manquent du repos & de la réparation qu’il leur faut, & que le Corps n’est plus en état d’agir de concert avec cette Substance spirituelle à laquelle il est uni, l’Ame déploie toutes les Facultez, & continue dans l’action jusqu’à ce que son Associé soit de nouveau en état de lui faire compagnie. On diroit que les Rêves servent de relâche & de passe-tems à l’Ame, lors qu’elle est débarrassée du soin de sa Machine, & qu’elle en a disposé entre les bras du Sommeil.

En deuxième lieu, les Rêves prouvent l’agilité & la perfection des Facultez de l’Ame, lors qu’elles sont dégagées du Corps. L’Ame est embarrassée & retenue dans ses opérations, lors qu’elle agit de concert avec un Associé qui est si pesant & si lourd dans ses mouvemens. Mais dans les Rêves elle aquiert une vivacité & une allegresse étonnante. Ceux qui sont lents à parlér sont de beaux discours sur le champ, & ils s’expriment avec facilité en des Langues, dont ils n’ont presque aucune tenture. Les Personnes graves abondent en Plaisanteries, & les Stupides en Réparties & en Pointes d’Esprit. Quoi qu’il n’y ait rien de si penible à l’Esprit que l’Invention, il opère [160] avec une si grande activité dans les Rêves, que nous ne sentons pas même qu’il soit occupé. Par exemple, nous avons tous rêvé quelquefois sans doute que nous lisions des Papiers, des Livres ou dès Lettres ; auquel cas l’Invention est si prompte, que l’Esprit en est la Dupe, & qu’il prend son Ouvrage pour celui d’un autre.

Metatestualità► Je citerai à cette occasion un passage du Livre intitulé Religio Medici, où l’ingénieux Auteur rend compte de ses pensées lorsqu’il rêvoit ou qu’il étoit éveillé. ◀Metatestualità Exemplum► Citazione/Motto► 2 Dans le Sommeil, dit-il, nous nous surpassons, en quelque maniere, nous-mêmes, & il semble que le Corps n’est pas plûtôt endormi, que l’Amt s’éveille. Si le Sommeil lie nos Sens & les tient engourdis, on peut dire qu’il délie & met en liberté la Raison ; puis que nos Idées durant la Veille n’aprochent pas de la vivacité de nos Imaginations durant le Sommeil. L’Ascendant de ma Nativité étoit le Signe aqueux du Scorpion : Je suis né à l’Heur Planétaire de Saturne, & je crois tenir quelque chose du naturel froid qu’on attribue de cettte <sic> Planette : je ne suis point du tout facetieux, ni disposé à la joie & à la gaieté des bonnes compagnies ; malgré tout cela, je puis composer, dans un Rêve, une Comédie entiere, la voir jouer moi-même, en sentir les traits piquans, & si bien éclater de rire, que je m’éveille en sursaut. Si ma Mémoire étoit [161] aussi fidéle que ma Raison est séconde, je n’étudierois jamais que dans mes Rêves, & je prendrois ce tems-là pour mes exercices de Piété ; mais la Mémoire, en ce qu’ella a de plus grossier ou de machinal, a si peu de prise alors sur les idées abstraites de l’Entendement, qu’elle oublie l’Intrigue de la Piéce & le fil de la Narration, dont elle ne raporte à l’Esprit, quand on est éveillé, que des lambeaux & des trait confus. -- C’est ainsi qu’on voit quelquefois des Gens, à l’heure de la Mort, parler & raisonner beaucoup mieux qu’à l’ordinaire, parce que l’Ame, sur le point d’être détaché des liens du Corps, agit plus selon sa nature, & pense alors d’une matiere qui est au deffus de l’Humanité. ◀Citazione/Motto ◀Exemplum

On peut observer en troisiéme lieu que les Passions afectent l’Esprit avec plus de force durant le Sommeil que pendant la Veille. C’est aussi alors que la Joie & le Chagrin donnent des sensations de plaisir ou de douleur plus vive qu’en tout autre tems. De même la Piété qui s’éleve dans l’Esprit, comme l’excellent Auteur que je viens de citer, l’insinue, s’enflame d’une façon toute particuliere, & devient plus ardente quand le Corps est plongé dans le Sommeil. L’Experience de chacun l’instruira là-dessus, quoi qu’il soit très-probable que ceci varie selon la difference du tempérament. ◀Racconto generale Metatestualità► Je finirai cet Article par deux Problêmes, dont je laisse la solution à mes Lecteurs. ◀Metatestualità I. Suposé qu’un Homme fût toujours heureux dans ses Rêves, & malheureux quand il veille, & que sa Vie fût également partagée entre ces [162] deux états, savoir, s’il seroit plus heureux que malheureux, ou tout au contraire ? 2. Suposé qu’un Homme se crût Roi quand il dort, & un Mendiant lors qu’il veille, & qu’il eût les mêmes idées, sans aucune interruption, la nuit & le jour, savoir, s’il seroit au pied de la lettre un Roi ou un Mendiant, ou plûtôt s’il ne seroit pas l’un & l’autre.

Il y a une autre Circonstance, qui nous donne, ce me semble, une fort haute idée de la nature de l’Ame, à l’égard de ce qui se parle dans les Rêves, je veux dire ce nombre infini & cette grande variété d’idées qui s’y élevent alors. Si cet Etre actif & qui veille toûjours n’étoit sensible en ce tems-là qu’à sa propre existence, dans quelle afreuse & cruelle solitude ne se trouveroit-il pas aux heures du Sommeil ? Si l’Ame sentoit qu’elle est seule quand le Corps est endormi, de la même maniere qu’elle y est sensible dans la veille, que le Tems lui paroitroit long & ennuïeux, comme il lui arrive souvent lors qu’elle songe & « qu’elle se croit dans une pareille solitude obligée à faire un long voyage sans la moindre compagnie ! »

Citazione/Motto► — – – — — 3 semperque relinqui

Sola sibi ; semper longam incomitata videtur
Ire viam ! —— —— —— —— ◀Citazione/Motto

[163] Citazione/Motto► Mais je n’ai fait cette observation qu’en passant. ◀Metatestualità Mon but principal est de remarquer cette merveilleuse Faculté de l’Ame qui la met en état de produire de quoi s’entretenir dans ces occasions. Elle converse avec une infinité d’Etres qui lui doivent leur origine, & se represente dix mille Scènes quelle a inventées. Elle est elle-même le Théatre, les Acteurs & le Spectateur. Exemplum► Ceci me rapelle dans l’Esprit une Pensée qui me plaît infiniment, & que Plutarque attribue à Heraclite, je veux dire Que tous les Hommes qui veillent sont dans le même Monde ; mais que chacun d’eux, lors qu’il est endormi, se trouve dans un nouveau Monde de sa façon. L’Homme qui veille est dans le Monde naturel, & celui qui dort se retire dans un Monde artificiel qui lui est particulier. Il me semble que ceci nous insinue quelque grandeur naturelle de l’Ame, qu’il est plus aisé d’admirer que d’expliquer. ◀Exemplum

Metatestualità► Je ne dois pas omettre ici un Argument pour l’excellence de l’Ame, que j’ai vû cité comme pris de Tertullien, & qui est fondé sur le pouvoir qu’elle a de prédire l’avenir par les Songes. ◀Metatestualità Tous ceux qui reçoivent l’Ecriture sainte, ou qui ont le moindre petit grain de Foi historique, ne sauroient douter qu’il n’y ait eu plusieurs de ces Prédictions, puis qu’il s’en trouve une infinité d’Exemples dans les Auteurs, anciens & modernes, sacrez & prophanes. Si ces Présages obscurs, si ces Vi-[164]sions de la nuit viennent de quelque faculté cachée de l’Ame, pendant qu’elle est ainsi abstraite de la matiere, ou de quelque communication avec l’Etre suprême, ou de quelque operation d’Esprits inferieurs, c’est ce qui a causé une grande Dispute entre les Savans ; mais le Fait m’a toûjours paru incontestable, & il a été regardé comme tel par les plus habiles Ecrivains, qu’on n’a jamais soupçonné de Superstition ou d’Enthousiasme.

Je ne prétends pas que l’Ame, dans ces Exemples, soit entierement dégagée du Corps : Il sufit qu’elle ne soit pas si enfoncée dans la matiere, ni si embarrassée dans ses operations, avec le mouvement du sang & des esprits animaux, comme lors qu’elle anime la Machine durant la veille. Dans le Sommeil, l’union avec le Corps est assez asoiblie pour donner plus de jeu à l’Esprit. L’Ame semble alors ramassée en elle-même, & recouvrer le ressort qui est rompu ou du moins asoibli, lors qu elle opere de concert avec le Corps.

Si les Réflexions que je viens de faire ne sont pas des Preuves, elles sont du moins de fortes Probabilitez, non seulement de l’excellence de l’Esprit Humain, mais aussi de son indépendance à l’égard du Corps ; & si elles ne démontrent pas, du moins elles confirment ces deux grands Articles, qui sont d’ailleurs établis par quantité d’autres raisons qui ne soufrent point de replique. ◀Livello 2

O. ◀Livello 1

1Voyez Tome ii. p. 45. du Petrone Latin & François, suivant le M. S. trouvé à Belgrade en 16 8, nouv. Edition in 8. 1709.

2Voyez page 222. &c. de la Traduction Latine de cet Ouvrage, dont l’Original est écrit en Anglois. Il est cité dans le ii. Volume du Spectateur. p. 304.

3Virgil. Æneid. iv. 466.