Citation: Anonym (Ed.): "XXIV. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.5\024 (1723), pp. 146-150, edited in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): The "Spectators" in the international context. Digital Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1413 [last accessed: ].


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XXIV. Discours

Citation/Motto► Floriferis ut apes in faltibus omnia libant.

Lucr. Lib. iii. 20.

Comme les Abeilles qui goûtent de toutes sortes de fleurs dans les Bois. ◀Citation/Motto

Metatextuality► Reflexions sur le Discours xxii. ◀Metatextuality

Level 2► Metatextuality► Lors que j’ai publié quelque Discours qui s’accorde avec le Goût géneral, & qui cause un plaisir extraordinaire, il ne manque jamais de m’attirer bon nombre de Lettres. Le xxii, où j’ai donné quelques avis à la Confrairie des Bequetez de la Poule, m’a déja procuré divers Correspondans ; & je n’en saurois déviner la raison, à moins que ce ne soit, parce qu’il est d’un usage universel, & sur tout d’une grande utilité pour les pauvres Maris. Un [147] honête Artisan, qui date sa Lettre de Cheapside, m’en remercie au nom de ses Confreres, qui se voient toutes les fois que leurs Femmes veulent bien leur en donner la permission, & qui restent ensemble jusqu’à ce qu’elles trouvent à propos de les envoïer chercher. Il m’avertit d’ailleurs que mon Discours a été d’une merveilleuse consolation à tous les Membres de sa Coterie, & il me demande en grace de m’étendre un peu plus sur le chapitre de Socrate, & de les informer sous quel Regne il vivoit, s’il étoit Citoïen ou Courtisan, s’il enterra Xantippe, avec plusieurs autres particularitez ; puis qu’à juger de lui par ses propos sentencieux, il ne peut qu’avoir été bon Chrétien, & doué d’une grande sagesse. Un autre, qui se signe Benjamin Dupé, m’écrit, que marié à une Grondeuse impitoïable, il avoit tâché de la radoucir par toutes les voies légitimes, que j’ai spécifiées dans le même Discours, & qu’outre de colere il avoit souvent passé les bornes que Practon insinue en tels cas ; mais qu’il étoit résolu dé la suporter à l’avenir en Stoïcien, & de la regarder comme une Maitresse qu’il nourrit pour lui enseigner la Philosophie. Un troisiéme, qui se nomme Feu Ardent, aprouve tout ce Discours, excepte les derniers mots, où je dis que l’état du Mariage est un Paradis où <sic> un Enfer. Il lui en a coûté un sou pour m’écrire par la voie du Penny-Post, & m’avertit que ce n’est ni l’un ni l’autre ; mais plûtôt, appuïé [148] sur l’expérience qu’il en a faite lui-même, un état mitoïen, qui répond à l’idée qu’on nous donne du Purgatoire.

Le beau Sexe m’a honoré aussi de ses réflexions sur le même Discours. Une Dame, qui s’apelle Euterpe, & qui paroit avoir de l’étude, me demande si je veux introduire la Loi Salique dans toutes les Familles, & d’où vient qu’il n’est pas à propos qu’une Femme, qui a de l’habileté & du savoir, tienne le Gouvernail, lors que le Mari est foible & ignorant ? Un autre d’un Caractere tout oposé, qui se donne le nom de Xantippe, m’avouë qu’elle suit l’exemple de cette Femme de Socrate ; qu’elle est mariée à un Homme fort studieux, qui n’a nulle connoissance des affaires du Monde, qu’elle est ainsi obligée d’en prendre soin elle-même, & de l’animer de tems en tems, de peur qu’il ne se rouille, & qu’il ne se rende incapable de converser avec les Vivans. ◀Metatextuality

Metatextuality► Après ce petit Extrait de quelques-unes des Lettres que j’ai reçuës à cette occasion, j’en vais publier ici une toute entiere. ◀Metatextuality

Metatextuality► Lettre d’une Dame sur le Caractere de son Epoux qui étoit un Jean-Jeanne. ◀Metatextuality

Level 3► Letter/Letter to the editor► Mr. le Spectateur,

« Vous nous avez donné un Portrait fort naïf de cette sorte d’Epoux qu’on nomme un Bequeté de la Poule ; mais je ne sache pas que vous aïez rien dit de celui qui est d’un Caractere tout différent, & qu’on apelle, en divers endroits de not-[149]tre Isle, un Jean-Jeanne. J’ai le malheur d’être unie, pour le reste de mes jours, avec un Homme de cette espéce, qui est au pié de la lettre plus Femme que je ne la suis. Il a été élevé sous les yeux d’une tendre Mere, qui ne le perdit pas de vûe, jusqu’à ce qu’elle en eut fait une aussi bonne Ménagere qu’elle-même. A peine y avoit-il deux ans qu’il étoit sorti des mains de sa Nourrice, qu’il pouvoit confire des Abricots & faire des Gelées. Il lui étoit défendu de s’exposer à l’air, de crainte qu’il ne s’enrheumât ; lors qu’il auroit dû être à la Chasse & courir après un Daim, il étoit aux côtez de sa Mère, pour aprendre à l’assaisonner, ou à le mettre en pâte, & il badinoit à faire des Bateaux de papier avec ses Sœurs, dans un âge qui permet aux autres Gentilshommes de passer la Mer & de visiter les Païs étrangers. Il a la main la plus blanche que vous aïez vûe de vos jours, & il feuillete la Pâte mieux qu’aucune Femme de toute l’Angleterre. Ces qualités le rendent un miserable Epoux : Il est toujours dans la Cuisine, & il ne cesse de se gronder avec la Cuisiniere. Il eft mieux informé de ce qui regarde la Taille du Lait, que des Comptes du Receveur de ces rentes. Je suis indignée lors qu’il trouve à redire à quelque Plat qui n’est pas de son goût, & qu’il instruit ses Amis qui dinent avec lui de la meilleure Marinade qu’il y ait pour les [150] Noix, ou de la meilleure Sauce pour une Cuisse de Venaison. Malgré tout cela, il est très-bon Mari, & il ne m’a jamais grondée qu’une seule fois en sa vie, à l’occasion d’un Plat de Canards sauvages, qui étoient un peu trop rotis ; mais j’aimerois mieux qu’il fût d’une humeur chagrine, & qu’il me traitât rudement quelquefois, que de le voir si éfeminé, & se mêler de bien des choses qui ne sont point du tout de son ressort. Puis que vous nous avez donné le Caractere d’une Femme qui porte les Culotes, je vous prie de nous dépeindre au naturel un Mari qui porte la Jupe. D’où vient, s’il vous plaît, qu’un Caractere Feminin ne seroit pas aussi ridicule dans un Homme que l’est un Masculin dans notre Sexe ? Je suis &c. ◀Letter/Letter to the editor ◀Level 3 ◀Level 2

O. ◀Level 1