Le Spectateur ou le Socrate moderne: XIX. Discours
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XIX. Discours
Citation/Motto
–– quae res in se neque
consilium neque modum.
Habet ullum, eam consilio ragere non potes.
Ter. Eunuch. Act. i. Sc. i. 12.
Habet ullum, eam consilio ragere non potes.
Ter. Eunuch. Act. i. Sc. i. 12.
Il ne faut pas s’imaginer qu’une chose qui n’a eu ni foi ni raison ni mesure, puisse être conduite ni par mesure, ni par raison.
Metatextuality
Sur les Personnes
amoureuses, qui demandent conseil sans avoir aucune envie de
le suivre.
Metatextuality
Sur les Personnes
amoureuses, qui demandent conseil sans avoir aucune envie de
le suivre.
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On a observé depuis long-tems que les
Ministres d’Etat, qui cherchent plûtot les bonnes grâces de leur
Prince que ses véritables intérêts, s’accommodent à son humeur
& à ses passions dans tous les Conseils qu’ils
lui donnent. Celui à qui une Personne amoureuse demande Conseil
doit suivre la même politique, à moins qu’il ne veuille perdre
son amitié. Il y en a divers Exemples fort singuliers.
Si l’on examine les ressorts cachez & les motifs qui portent les gens, dans ces occasions, à
demander un Avis, qu’ils n’ont pas envie de suivre, on trouvera,
si je ne me trompe, qu’un des principaux vient de ce qu’ils sont
incapables de garder un Secret qui leur donne tant de plaisir.
Je ne dois pas oublier ici une pratique
assez ordinaire parmi les plus vains Individus de notre Sexe,
qui demandent souvent conseil à un Ami, à l’égard d’une riche
Heritiere qu’ils ont en vûe, quoi qu’il n’y ait aucune aparence
qu’ils l’obtiennent jamais. Il n’y a pas long-tems que mon Ami
Mr. Honeycomb, qui aproche de soixante ans, me prit à quartier,
& qu’il me demanda, d’un air le plus grave du monde, si je
lui conseillois d’épouser Mademoiselle de Solignac , qui, pour le dire en passant, est, une des plus riches
Héritières qu’il y ait en Ville. A l’ouïe de cette question, je
le regardai fixement entre les deux yeux ; mais il le mit
d’abord à me rendre un compte exact de tous les Joïaux & de
tout le Bien de la Demoiselle, & il ajouta qu’il ne vouloit
point se déterminer dans une affaire de cette conséquence sans
avoir mon aprobation. Sur ce qu’il atendoit ma réponse, je lui
dis que, s’il pouvoit obtenir le consentement de la Demoiselle,
il auroit toujours le mien. C’est peut-être le dixième Mariage,
sur lequel Mr. Honeycomb a consulté ses Amis, sans qu’il en ait
jamais ouvert la bouche à la Personne intéressée.
C.
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Example
Hipparque étoit sur le point
de se marier avec une Femme débauchée ; mais résolu de
ne rien faire sans l’avis de son Ami Philandre, il le
consulta là-dessus. Philandre lui dit librement sa
pensée, & lui dépeignit sa Maitresse sous de si
vives couleurs, que le lendemain matin il en reçut un
Cartel, & qu’avant midi il en fut percé d’un coup
d’Épée à travers le corps. Célie se conduisit avec plus
de prudence en pareil cas ; elle solicita Leonille à lui
dire franchement ce qu’elle pensoit d’un jeune Homme qui
la recherchoit en mariage. Cette bonne Amie, pour lui
rendre service, lui dit, sans rien déguiser, qu’elle
regardoit comme le plus indigne. Là-dessus Célie, qui
s’aperçut du mauvais Caractère qu’elle en alloit donner,
l’interrompit & la pria de garder le silence, puis
qu’il y avoit plus de quinze jours qu’ils étoient mariez
en secret. Il est certain qu’une Fille ne demande guéres
de tels avis qu’après avoir acheté ses Habits de nôces.
Lorsqu’elle a fait son choix, elle envoie à ses Amies,
pour la seule formalité, la permission de choisir pour
elle ; à peu près de même que nos Rois permettent au
Doïen & au Chapitre d’une Cathédrale de procéder à
la nomination d’un Evêque.
General account
Une jeune Fille languit de
dire à sa Confidente qu’elle espere de se marier bientôt,
&, pour s’entretenir du joli Monsieur qui occupe toutes
ses pensées, lui demande, d’un air fort grave, ce qu’elle
voudroit lui conseiller dans une affaire si délicate.
Pourquoi croïez-vous, si cela n’étoit, que Melisse, qui
n’avoit pas mille Livres sterlin de Capital au monde,
couroit dans tous les Quartiers de la Ville pour demander à
ses Amies, si elles lui conseilloient d’épouser Mr. De
Villeneuve qui lui faisoit l’amour avec un revenu de cinq
mille Livres sterlin par an. Ce qu’il y a d’admirable, en
cette occasion, est d’entendre la jeune Demoiselle proposer
ses doutes, & de voir l’embarras où elle est pour les
surmonter.
Metatextuality
Je me suis engagé dans cette
matière à l’occasion de la Lettre suivante, que j’ai reçu
d’une jeune Demoiselle, qui paroit ne manquer pas de talens,
& qui, s’il en faut juger par ce qu’elle m’écrit, est
prête à demander conseil. Mais, pour ne perdre pas l’honneur
de ses bonnes grâces, ni la haute opinion qu’elle a de ma
Prudence, je me bornerai à publier ici sa Lettre, sans y
faire aucune Réponse.
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Letter/Letter to the editor
Mr. le Spectateur, « Voici, en peu de mots, de quoi il
s’agit. Mr. Belair est le Gentilhomme le mieux fait
& le mieux tourné qu’il y ait dans toute la Ville.
Il est fort grand, quoiqu’il ne le soit pas trop. Il
danse comme un Ange. Il a la bouche faite
je ne sai comment, mais c’est la plus belle que j’aie vû
de ma vie. Il rit toûjours, car il a infiniment de
l’esprit. Ah, si vous saviez de quelle maniere il roule
ses Bas ! Il a mille jolies Inventions, & je suis
persuadée que, si vous le voïiez, vous ne pourriez que
l’estimer. Il a d’ailleurs beaucoup de savoir, & il
parle en Latin aussi vite qu’en Anglois. Je souhaiterois
que vous le vissiez danser. Du reste le pauvre Mr.
Belair n’est pas favorisé des Biens de la Fortune ; mais
en est-il la cause, & peut-il y remédier ? Avec tout
cela, mes Parens sont assez déraisonnables pour me
rompre toujours la tête de sa misere, & me vouloir
dégoûter de lui, parce qu’il n’est pas riche. Mais il
possède ce qui vaut mieux que les richesses : puis qu’il
a le cœur bon & de l’esprit qu’il est modeste,
civil, d’une taille avantageuse, bien élevé, bel Homme,
& je lui suis très obligée des Civilitez qu’il m’a
rendues depuis le premier moment que je l’ai vû.
J’oubliois de vous dire qu’il a les yeux noirs, &
qu’ils me paroissent quelquefois couverts de larmes,
lors qu’il les tourne sur moi. Mes Parens vont si loin,
qu’ils voudroient me rendre incivile à son égard. J’ai
une bonne Dot, de laquelle ils ne sauroient pas me
priver, & j’aurai quatorze ans le 29. du Mois d’Août
prochain : de sorte que je veux m’établir dans le Monde
le plûtôt qu’il me sera possible, & Mr.
Belair a le même but. Le malheur est que tous ceux que
je consulte ici sont les ennemis de ce pauvre Homme.
Persuadée que vous êtes sage & prudent, je m’adresse
à vous, & si vous me donnez quelque bon Avis, je ne
manquerai pas de le suivre. Je souhaiterois de tout mon
cœur que vous le pûssiez voir danser, & suis
&c. » B. D. « Il est grand admirateur de vos
Speculations. »
Metatextuality
Lettre d’une jeune
Demoiselle, qui donne le Caractere de son Amant Mr.
Belair