Sur les Personnes amoureuses,
qui demandent conseil sans avoir aucune envie de le suivre.
On a observé depuis
long-tems que les Ministres d’Etat, qui cherchent plûtot les bonnes
grâces de leur Prince que ses véritables intérêts, s’accommodent à
son humeur & à ses passions dans tous les Con-seils
qu’ils lui donnent. Celui à qui une Personne amoureuse demande
Conseil doit suivre la même politique, à moins qu’il ne veuille
perdre son amitié. Il y en a divers Exemples fort singuliers.
Hipparque étoit sur le point de se marier avec une
Femme débauchée ; mais résolu de ne rien faire sans l’avis de son
Ami Philandre, il le consulta là-dessus.
Philandre lui dit librement sa pensée,
& lui dépeignit sa Maitresse sous de si vives couleurs, que le
lendemain matin il en reçut un Cartel, & qu’avant midi il en fut
percé d’un coup d’Épée à travers le corps. Célie se
conduisit avec plus de prudence en pareil cas ; elle solicita
Leonille à lui dire franchement ce qu’elle pensoit
d’un jeune Homme qui la recherchoit en mariage. Cette bonne Amie,
pour lui rendre service, lui dit, sans rien déguiser, qu’elle
regardoit comme le plus indigne. Là-dessus Célie, qui
s’aperçut du mauvais Caractère qu’elle en alloit donner,
l’interrompit & la pria de garder le silence, puis qu’il y avoit
plus de quinze jours qu’ils étoient mariez en secret. Il est certain
qu’une Fille ne demande guéres de tels avis qu’après avoir acheté
ses Habits de nôces. Lorsqu’elle a fait son choix, elle envoie à ses
Amies, pour la seule formalité, la permission de choisir pour elle ;
à peu près de même que nos Rois permettent au Doïen & au
Chapitre d’une Cathédrale de procéder à la nomination d’un Evêque.
Si l’on examine les ressorts cachez & les mo-tifs
qui portent les gens, dans ces occasions, à demander un Avis, qu’ils
n’ont pas envie de suivre, on trouvera, si je ne me trompe, qu’un
des principaux vient de ce qu’ils sont incapables de garder un
Secret qui leur donne tant de plaisir. Une jeune Fille languit de dire à sa Confidente
qu’elle espere de se marier bientôt, &, pour s’entretenir du
joli Monsieur qui occupe toutes ses pensées, lui demande, d’un air
fort grave, ce qu’elle voudroit lui conseiller dans une affaire si
délicate. Pourquoi croïez-vous, si cela n’étoit, que Melisse, qui n’avoit pas mille Livres sterlin de
Capital au monde, couroit dans tous les Quartiers de la Ville pour
demander à ses Amies, si elles lui conseilloient d’épouser Mr. De Villeneuve qui lui faisoit l’amour avec un
revenu de cinq mille Livres sterlin par an. Ce qu’il y a
d’admirable, en cette occasion, est d’entendre la jeune Demoiselle
proposer ses doutes, & de voir l’embarras où elle est pour les
surmonter.
Je ne dois pas oublier ici une pratique assez ordinaire parmi les
plus vains Individus de notre Sexe, qui demandent souvent conseil à
un Ami, à l’égard d’une riche Heritiere qu’ils ont en vûe, quoi
qu’il n’y ait aucune aparence qu’ils l’obtiennent jamais. Il n’y a
pas long-tems que mon Ami Mr. Honeycomb, qui
aproche de soixante ans, me prit à quartier, & qu’il me demanda,
d’un air le plus grave du monde, si je lui conseillois d’épouser
Mademoiselle de
Solignac
, qui, pour le dire en passant, est, une des plus
riches Héritières qu’il y ait en Ville. A l’ouïe de cette question,
je le regardai fixement entre les deux yeux ; mais il le mit d’abord
à me rendre un compte exact de tous les Joïaux & de tout le Bien
de la Demoiselle, & il ajouta qu’il ne vouloit point se
déterminer dans une affaire de cette conséquence sans avoir mon
aprobation. Sur ce qu’il atendoit ma réponse, je lui dis que, s’il
pouvoit obtenir le consentement de la Demoiselle, il auroit toujours
le mien. C’est peut-être le dixième Mariage, sur lequel Mr.
Honeycomb a consulté ses Amis, sans qu’il en ait
jamais ouvert la bouche à la Personne intéressée.
Je me suis engagé dans cette
matière à l’occasion de la Lettre suivante, que j’ai reçu d’une
jeune Demoiselle, qui paroit ne manquer pas de talens, & qui,
s’il en faut juger par ce qu’elle m’écrit, est prête à demander
conseil. Mais, pour ne perdre pas l’honneur de ses bonnes grâces, ni
la haute opinion qu’elle a de ma Prudence, je me bornerai à publier
ici sa Lettre, sans y faire aucune Réponse.
Mr. le Spectateur,
Lettre d’une jeune Demoiselle, qui donne le Caractere de
son Amant Mr. Belair
« Voici, en peu de mots, de quoi il s’agit. Mr.
Belair est le Gentilhomme le mieux fait & le
mieux tourné qu’il y ait dans toute la Ville. Il est fort grand,
quoiqu’il ne le soit pas trop. Il danse com-me un Ange.
Il a la bouche faite je ne sai comment, mais c’est la plus belle que
j’aie vû de ma vie. Il rit toûjours, car il a infiniment de
l’esprit. Ah, si vous saviez de quelle maniere il roule ses Bas ! Il
a mille jolies Inventions, & je suis persuadée que, si vous le
voïiez, vous ne pourriez que l’estimer. Il a d’ailleurs beaucoup de
savoir, & il parle en Latin aussi vite
qu’en Anglois. Je souhaiterois que vous le
vissiez danser. Du reste le pauvre Mr. Belair
n’est pas favorisé des Biens de la Fortune ; mais en est-il la
cause, & peut-il y remédier ? Avec tout cela, mes Parens sont
assez déraisonnables pour me rompre toujours la tête de sa misere,
& me vouloir dégoûter de lui, parce qu’il n’est pas riche. Mais
il possède ce qui vaut mieux que les richesses : puis qu’il a le
cœur bon & de l’esprit qu’il est modeste, civil, d’une taille
avantageuse, bien élevé, bel Homme, & je lui suis très obligée
des Civilitez qu’il m’a rendues depuis le premier moment que je l’ai
vû. J’oubliois de vous dire qu’il a les yeux noirs, & qu’ils me
paroissent quelquefois couverts de larmes, lors qu’il les tourne sur
moi. Mes Parens vont si loin, qu’ils voudroient me rendre incivile à
son égard. J’ai une bonne Dot, de laquelle ils ne sauroient pas me
priver, & j’aurai quatorze ans le 29. du Mois d’Août prochain : de sorte que je veux
m’établir dans le Monde le plûtôt qu’il me sera possible, & Mr. Belair a le même
but. Le malheur est que tous ceux que je consulte ici sont les
ennemis de ce pauvre Homme. Persuadée que vous êtes sage &
prudent, je m’adresse à vous, & si vous me donnez quelque bon
Avis, je ne manquerai pas de le suivre. Je souhaiterois de tout mon
cœur que vous le pûssiez voir danser, & suis &c. »
B. D.
« Il est grand admirateur de vos Speculations. »
C.