Le Spectateur ou le Socrate moderne: XIV. Discours
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Livello 1
XIV. Discours
Citazione/Motto
Detrahere allquid
alteri, & hominem hominis incommodo suum augere
commodum, magis est contra naturam, quàm mors, quàm
paupertas, quàm dolor, quàm caetera quӕ possunt aut corpori
accidere, aut rebus externis.
Cic. l. iii. de Offic. c. 5.
Cic. l. iii. de Offic. c. 5.
Ravir de bien de quelqu’un, & se mettre plus à son aise par l’incommodité d’un autre, est plus apposé à la Nature que la Mort, que la Pauvreté, que la Douleur, & que tous les autres accidens qui peuvent survenir au Corps, ou à ce qui est hors de nous.
Metatestualità
Des bonnes & des
mauvaises Qualitez de ceux qui sont dans les Emplois
publics.
Metatestualità
Des bonnes & des
mauvaises Qualitez de ceux qui sont dans les Emplois
publics.
Livello 2
Je suis persuadé qu’il y a peu
d’Hommes d’un esprit généreux, qui se missent en peine de
s’élever à de grands Emplois, s’ils ne cherchoient plutôt
l’occasion de rendre service à leurs Amis & aux Personnes de
mérite, que de se procurer à eux-mêmes des honneurs & des
richesses. Les plus beaux revenus d’un Emploi pour un honnête
Homme sont les moïens qu’il lui fournit de faire du bien. Les
Officiers subalternes, ou les principaux Commis de ceux qui
possedent les premieres Charges de l’Etat, en qualité
d’Instrumens par lesquels les derniers agissent, ont
plus souvent occasion d’exercer la bienveillance & la
générosité, que leurs Maîtres eux-mêmes. Puis qu’on les avertit
de la moindre petite affaire qui est du ressort de leur
Supérieur, s’ils ont quelque principe de Vertu, la pauvreté de
celui qui s’adresse à eux leur doit tenir lieu de
recommandation, & la justice de sa Cause doit sufire pour
les engager à le servir.
Il y a
deux autres qualitez vicieuses, qui rendent un Homme incapable
d’un tel Emploi. La premiere est une Expédition lente &
tardive, qui l’engage à commettre un nombre infini de Cruautez
sans dessein. L’autre
qualité vicieuse dans un Homme d’affaires est d’être susceptible
à l’intérét & à la corruption. Si tous nos Officiers s’aquitoient de leurs Emplois avec
cette probité rigoureuse, on ne verroit pas, dans tous les
siécles, des Gens accumuler des tresors immenses, quoique leur
habileté n’aille pas quelquefois au-delà de celle d’un simple
Artisan. Je suis pérsuadé que cette corruption vient sur tout de
ce qu’on met dans les Charges les premiers qui s’ofrent
eux-mêmes, ou ceux qui passent pour être subtil, & rusez ;
au lieu qu’on ne dévroit les destiner qu’à ceux qui ont été bien
élevez, & qui se sont apliquez à l’Etude & à la Vertu.
Eteroritratto
Un Homme
de cette trempe qui est dans les affaires, devient le
Bonheur du Public : Il protege la Veuve & l’Orphelin ;
il assiste celui qui n’a point d’Amis, & il donne
conseil à l’Ignorant : Il ne rejette pas les prétentions de
celui qui n’a pas l’art de les bien exposer ; & il ne
refuse pas de rendre un bon office à un Homme, parce qu’il
n’a pas les moïens de lui païer son droit. En un mot, quoi
que, dans toutes ses procédures, il observe les régles de la
Justice & de l’Equité, il trouve mille occasions pour
exercer toute sorte d’actes de génerosité & de
compassion.
Eteroritratto
Celui qui est d’une humeur aigre
& farouche, ou qui a quelque passion qui le rend
incommode à tous ceux qui l’aprochent, est incapable d’un
Emploi de cette nature. Un air brusque & rébarbatif
déconcerte les Personnes timides, ou celles qui ont de la
modestie. L’Orgueilleux décourage ceux qui sont de basse
extraction, & qui auroient le plus besoin de son
assistance. L’impatient ne veut pas se donner le loisir
d’écouter celui qui l’instruit de son affaire. Un
Subalterne, avec une ou plusieurs de ces
mauvaises qualitez, est regardé quelquefois comme une
Personne très-propre pour éloigner les Importuns de son
Maître; mais c’est une espece de mérite qui ne peut jamais
expier l’Injustice qui en résulte souvent.
Eteroritratto
Un Homme qui sert le
Public doit suivre à toute rigueur la Maxime qu’on établit
pour la conduite ordinaire de la vie, c'est-à-dire qu’il ne
doit jamais renvoïer au lendemain ce qu’il peut faire
aujourd’hui. S’il remet d’un jour à l’autre ce que son
devoir l’oblige d’exécuter au plûtôt, il est injuste tout le
tems qu’il y aporte quelque délai. La promptitude à rendre
un bon office est très-souvent aussi avantageuse à celui qui
le solicite que le bon office lui-même. En un mot, si un
Homme comparoit les inconvéniens qu’un autre soufre par ses
longueurs, avec les frivoles motifs qui l’animent & les
avantages qu’il en peut recueillir, il ne tomberait jamais
dans un défaut qui cause d’ordinaire un préjudice
irréparable à celui qui se repose sur lui, & auquel il
pourrait aisément remédier à peu de frais.
Eteroritratto
Tel est celui qui, sous quelque prétexte qu’il puisse
alléguer, reçoit au delà de ce qui lui est dû
& des émolumens attribuez à sa Charge. On a beau donner
à ce surplus le titre de gratification, de marque de
reconnoissannce d’honnêteté faite pour être expedié plutôt,
ce ne sont que des termes specieux sous lesquels la
corruption se cache. Un honnête-Homme regardera toujours
cette pratique comme injuste, & il sera plus satisfait
d’une médiocre fortune aquise avec honneur, que d’un grand
Bien, où l’extorsion & la rapine auront eu quelque part.
Racconto generale
On a observé, depuis
long-tems, que les Gens de Lettres qui s’adonnent aux
affaires s’en aquitent avec plus d’honneur que les Gens du
monde. La principale raison qu’on en peut alléguer est, si
je ne me trompe, qu’un Homme qui a emploïé sa jeunesse à la
lecture s’est accoûtumé à voir que la Vertu est louée, &
que le Vice est flétri. Tout au contraire un Homme qui a
passé sa vie dans le Monde y a vû souvent triompher leVice & décourager la Vertu. L’Extorsion, la
Rapine & l’Injustice qui sont souvent d’infamie dans les
Livres, donnent souvent du relief dans le Monde ; au bien
que diférentes qualitez que les Auteurs célébrent, comme la
Générosité, la Candeur & le bon Naturel, apauvrissent
& ruinent un Homme : Ceci ne peut qu’avoir un effet
proportionné sur les Hommes, donc les penchans & les
principes sont également bons & vicieux. Il y auroit du
moins cet avantage à emploïer, dans les affaires, des Gens
de Lettres & habiles, que la prosperité leur siéroit
beaucoup mieux qu’à d’autres, & que nous ne verrions pas
tant de Personnes indignes s’élever si-tôt à des Fortunes
énormes.