Le Spectateur ou le Socrate moderne: VII. Discours
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Niveau 1
VII. Discours
Citation/Devise
Decipimur specie
recti.
Hor. A. P. v. 25.
Nous prenons l’ombre pour le corps, & l’aparence du vrai pour le vrai même.
Hor. A. P. v. 25.
Nous prenons l’ombre pour le corps, & l’aparence du vrai pour le vrai même.
Metatextualité
Reve sur les Illusions,
que les Hommes se font.
Metatextualité
Reve sur les Illusions,
que les Hommes se font.
Niveau 2
Nos Défauts & nos Egaremens nous
sont sur si peu connus, que nous les prenons pour des marques de
notre Mérite. C’est ce qui nous tranquilise au milieu de leurs
sinistres effets, qui nous anime à les produire, à les redoubler
& à nous en estimer davantage. De là vient qu’une infinité
de Chimeres inconcevables, de Divertissemens ridicules &
d’Actions extravagantes nous fournissent mille plaisirs, &
nous exposent aux yeux des autres sous des couleurs, dont il
nous plaît de nous glorifier nous-mêmes. Il est certain qu’il y
a quelque chose de si amusant pour l’heure dans cet état de
vanité & de satisfaction mal-fondée, que les plus sages ont
choisi un Monde chimérique pour décrire ses charmes, &
qu’ils l’ont nommé le Paradis des Fous. Peut-être que ce dernier
trait paroitra une fausse pensée à quelques-uns, & qu’il
pourroit soufrir un autre tour que celui que
j’ai en vûë ; mais je ne tâcherai pas ici de les ramener
là-dessus, puis qu’il m’est arrivé en dernier lieu de tomber
moi-même dans une Vision.
Niveau 3
Rêve
Allégorie
Il me sembla donc que je
fus transporté sur une Montagne verdoïante, fleurie,
& où l’on pouvoit escalader aisement. L’Erreur
aux yeux louches, & l’Opinion vulgaire à
plusieurs têtes, qui se mêloient de fortilege, &
qui se faisoient aimer par leurs enchantemens,
demeuroient au haut de cette Montagne, qui me parut
fort large. Une infinité de Personnes se rendoient
au-près d’elles par deux sentiers diférens.
Quelques-uns, qui avoient l’air le plus hautain
& le plus décisif, alloient tout droit à
1’Erreur, sans atendre aucun Guide ; d’autres, qui
étoient d’un naturel plus doux, s’adressoient
d’abord à l’Opinion vulgaire, qui, après les avoir
étourdis de leurs éloges, les envoyoit à l’Erreur.
Lors que nous fumes arrivez au sommet de la
Montagne, où l’Opinion habitoit, nous y vimes
plusieurs Personnes qu’elle entretenoit, & qui
s’y étoient rendues avans nous. Sa voix étoit
agréable ; elle respiroit de bonnes odeurs, à mesure
qu’elle parloit ; & il sembloit qu’elle eut une
Langue pour chacun d’eux en particulier : Aussi-tôt
ils s’imaginoient qu’elle faisoit leur éloge, &
qu’elle leur promenoit un Paradis, pour servir de
récompense à leur Mérite. C’est ce qui nous obligea
de la suivre, jusqu’à ce qu’elle nous
introduisit dans ce bienheureux séjour. Nous
remarquames d’ailleurs en chemin que tout le monde
s’attribuoit de beaux talens, qu’ils se louoient
eux-mêmes, ou les uns les autres, à cette occasion,
& qu’ils blâmoient ceux qui n’en étoient pas à
un si haut degré qu’eux. Enfin nous aprochames d’un
Berceau formé par des Arbres, dont les branches
entrelacées les uns avec les autres faisoient un
treillis épais. L’Erreur [...] à l’entrée dans un
endroit que l’Art avoit un peu obscurci, étoit vêtue
d’une Robe blanchâtre, pour se déguiser & mieux
ressembler à la Verité. Comme celle-co est toûjours
environnée d’une lumiere, que éclate aux yeux de ses
Adorateurs, & qui leur sert à découvrir les
beautez de la Nature ; de même l’autre s’ètoit munie
d’une Baguette magique, pour l’imiter en quelque
chose, & claire par des illusions. Après avoir
levé sa Baguette, & murmuré quelques mots entre
les dents, elle voulut nous régaler d’une Apparition
glorieuse. Nous tournames d’abord les yeux vers
l’endroit du Ciel qu’elle nous indiquoit, & nous
y vimes un objet bleuâtre & délié qui
s’éclaircit peu à peu, de même que les brouillars se
dissipent en Eté sur le haut des Montagnes lors que
le Soleil avance dans sa carriere, jusqu’à ce que le
Palais de la Vanité parût à notre vûe. Cet Edifice
élevé sur des Nuages ondez, qui lui
servoient de fondement, nètoient soutenu par la
Magie. Le chemin à travers lequel nous y montames
étoit aussi varié que l’Arc-en-Ciel, & le Zéphir
que soufloit autour de nous enchantoit les Sens. Les
murailles de ce Palais n’étoient dorées qu’en
apparence ; sa Voute formée en rond ressembloit à
une de ces Vessies qui s’élevent sur l’eau, &
ses Colomnes du plus bas rang, minces & legeres,
étoient du bel Ordre corinthien. Arrivez à la Porte,
qui n’étoit point gardée, & fondez sur leur
prétendu mérite, nos Voyageurs y entrerent, sans
vouloir attendre que personne les conduisît. Nous
trouvâmes dans la Salle divers Phantômes, qui, après
avoir roulé d’un côté & d’autre, se joignent à
ceux de la troupe, dont ils adoptoient les
sentimens. Là parurent l’Honeur en décadence, qui
n’avoit rien à produire de tous les Exploits de ses
Ancêtres qu’un vieux Ecusson ; l’Ostentation, qui
n’ouvroit la bouche que pour se donner des éloges,
& la Galanterie, que marchoit sur le bout des
piez. Au fond de la Salle, sous un magnifique Dais,
enrichi de tout ce qu’il y a de plus gai & de
plus éclatant, il y avoit un Thrône, sur lequel
étoit la Vanité, ornée de plumes de Paon, & que
ses Adorateurs regardoient comme un autre Venus. Le
petit Garçon, qui étoit auprès d’elle pour lui
servir de Cupidon & qui obligeoit tout le monde
à se prosterner devant elle, se nommoit l’Entetement. Il tournoit les yeux à diverses
reprises vers lui-même, sans se mettre en peine des
Objets que l’environnoient, & il empruntoit ses
armes de ceux-là même qu’il vouloit vaincre. La
Fleche qu’il tiroit contre le Soldat étoit garnie
avec le Plumet de celui-ci ; le Dard qu’il lançoit
contre l’Homme d’esprit étoit ailé avec les Plumes,
dont ce dernier écrivoit ; & la pointe de celui
qu’il découchoit contre les Riches, prévenues de
leur mérite, étoit d’Or ou d’Argent, qu’il enlevoit
de leurs Tresors. Il enlaçoit les Politiques dans
des Filets tissus de leurs propres ruses ; il
amolissoit le cœur des Belles avec le feu qu’il
prenoit de leurs yeux, & il enflamoit l’ambition
des Orateurs avec les traits & les eclairs que
sortoient de leur bouche. Au pied du Trône, on
voïoit trois fausses Graces ; la Flaterie avec une
Coquille de Fard à la main, l’Afectation avec un
Miroir, & la Mode, qui changeoit sans cesse la
tournure de ses Habits. Celles-ci ne cherchoient
qu’à maintenir les Conquêtes de l’Entetement, &
chacune y emploïoit son artifice en particulier. La
Flaterie donnoit de nouvelles couleurs à tout ;
l’Afectation de nouveaux airs & des aparences,
que n’étoient pas communes, à ce qu’elle disoit,
& la Mode ne se bornoit pas à cacher quelque
défautes naturels, mais elle ajoutoit au dehors
quesques beautez étrangeres. Occupé à réflechir sur
se qui paroissoit à mes yeux, j’entendis
une Voix dans la foule, qui plaignoit le triste état
des Hommes, ainsi balotez par le soufle de
l’Opinion, déçus par l’Erreur, animez par
l’Entetement, & abandonnez à toutes les
supercheries de la Vanité, jusqu’à ce que la Honte
& la Pauvreté les assaillent. Ce bruit ne fut
pas plûtôt répandu, qu’il y eut un desordre général,
jusqu’à ce qu’enfin je vis sortir un vénérable
Vieillard d’un air grave & résolu, qu’un vouloit
punir pour avoir formé ces plaintes. Il me parut
disposé à ouvrir la bouche pour se défendre ; mais
je ne remarquai personne qui eut envie de lui donner
audience. La Vanité lui sourit d’un air dédaigneux ;
l’Entetement le regarda d’un œuil plain de colere ;
la Flaterie, que le reconnue pour la Franchise, mit
un Masque sur le nez & lui tourna le dos :
l’Afectation secoua son Eventail, lui fit la moue,
& le traita d’Envieux ou de Calomniateur ; &
la Mode prétendit que c’étoit du moins un Incivil.
Ainsi joué & méprisé de tous, il fut banni de
l’Assemblée pour avoir malparlé de Gens de mérite
que figurent dans le Monde, & l’on résolut d’une
commune voix d’en user toûjours de même à son égard
par tout où on le trouveroit. J’avois bien senti
d’abord la vérité de ses premiers plaintes ; mais
j’étois en doute sur l’acomplissement de ses
derniers mots, lors qu’il se fit tout d’un coup un
grand bruit au dehors, & que nous vimes la
forte assiegée d’une soule de
Harpies. La Rage & la Défiance entrerent
aussitôt, suivies du Trouble, de la Honte, de
l’Infamie, du Mépris & de la Pauvreté. La Vanité
disparut, avec son Cupidon & ses Graces ; tous
ses Sujets prirent la suite pour se cacher dans des
Trous & de petits Coins ; mais, à ce que me dit
un des assistans qui étoit auprès de moi, il y en
eut plusieurs qui furent condamnez à demeurer en
Prison ou dans les Caves, à vivre seuls ou avec peu
de monde ; c’est-à-dire à professer les Artes
méchaniques & les plus vils Emplois de la Vie
civile.
De crainte que cet Homme, qui me parut
incorrigible, ne s’arrêtât ici, jusqu’à ce qu’on le
faisît, je le remerciai de son avis & je gagnai
la Porte, où quelques-uns, éfraïez par l’exemple des
autres, s’étoient déja rendus, quoi qu’ils eussent
d’abord méprisé les plaintes de La Franchise ; Mais
dès qu’ils eutent touché le feuil de la Porte, ils
furent bien surpris de voir que l’Illusion de
l’Erreur étoit dissipée, & que tout l’Edifice
étoit suspendu en l’air sans aucun
fondement solide. Nous aperçumes tout d’un coup
qu’il n’y avoit qu’un faute très-dangereux qui pût
nous tirer de-là, & je dondamnai mille fois ma
curieusité mal-entendue qui m’exposoit à un tel
péril. D’ailleurs, à mesure que la bonne opinion
qu’ils avoient d’eux-mêmes diminuoit, il me sembla
que le Palais s’abaissoit avec nous, qu’après s’être
bornez au juste dégré d’Estime, qui leur étoit dû,
cet endroit de l’Edifice, où nous étions, toucha la
Terre, & qu’il disparut à notre sortie. Je ne
sai point au reste, si ceux que nous y laissames
s’aperçurent de notre descente ; mais je ne croïois
point alors. Quoi qu’il en soit, mon Rêve finît ici,
& il m’a donné occasion de reflechir toute ma
vie sur les funestes conséquences qui naissent de
l’Erreur & de la Vanité.
Niveau 4
Dialogue
« Mais ceux-ci,
ajouta-t-il d’un air dédaigneux, « sont de ces
Hommes qui voudroient habiter ce Palais, quoi que
leur Mérite & leurs Richesses ne répondent ni
à l’éclat du Lieu, ni à la dépense qu’on y doit
faire. Nous avons déja vû plus que d’une fois des
Scènes pareilles à celle qui vient d’arriver ;
atendez que le tumulte soit passé, & vous ne
manquerez pas de revoir bientôt la même
magnificience. »
Metatextualité
Lettre sur les
Civilitez malséantes, que se pratiquent dans les
Eglises.
Metatextualité
Lettre sur les
Civilitez malséantes, que se pratiquent dans les
Eglises.
Niveau 3
Lettre/Lettre au directeur
Mr. le Spectateur, « Je vous
écris cette Lettre, pour vous prier de vouloir attaquer
de nouveau un Abus insigne, que est sur tout à la mode
entre les Personnes les plus polies & les mieux
élevées ; je veux dire les Cérémonies, les Reverences,
les Chucheteries, les Souris, les Coups d’œuil & de
tête, avec les autres tours familiers de se saluer les
uns les autres, qui se pratiquent dans nos Eglises, qui
nous enlevent un tems qu’on peut mieux emploïer, &
qui paroissent tout-à-fait incompatibles avec notre devoir & le but qu’on doit se proposer dans
nos Assemblées religieuses. J’avouë que ces salutations
peuvent être de la bienséance à la Comédie ; mais ce-là
même est une preuve qu’elles ne quadrent pas dans les
Lieux destinez au culte de la Divinité. J’ai observé
moi-même plus d’une fois, dans les Païs
Catholiques-Romains, que les personnes de la premiere
qualité, les plus proches Parens & les Amis les plus
intimes, passent, dans leurs Eglises, les uns prés des
autres, sans donner presque aucun signe qu’ils se
connoissent, atentifs qu’ils sont ou qu’ils doivent
être, à quelque chose de plus sérieux, & qui doit
occuper uniquement leur Esprit. J’ai oüi dire que les
Mahometans ont aussi un respect fort louable pour leurs
Mosquées, & je ne doute pas que l’Exemple des uns ou
des autres à cet égard ne soit digne de notre imitation.
Je ne saurois m’empêcher d’admirer ici la Mémoire
prodigieuse de ces Dévots ou Dévotes, qui, au retour de
l’Eglise, peuvent rendre un compte exact de la parure de
deux ou trois cens Personnes. Je ne conçoi pas même, eu
égard à l’infinie varieté des Habits, comment il est
possible que les deux heures, qu’on emploie d’ordinaire
au Service public, sufisent pour s’inculquer tout cela
dans la tête, outre le soin qu’ils ont les uns & les
autres de s’acquirer en même tems du devoir qu’exige le Lieu, & de pousser sans doute de
vives Ejaculations vers le Ciel. Il y a un endroit du
nouveau Testament, où il est dit que 1la Femme doit se couvrir la
tête d’un voile, à cause des Anges ; c’est-à-dire, selon
quelques Interprétes, à cause des jeunes Hommes. Si
cette explication est bien fondée, le passage ne quadre
pas mal ici. Lors que vous vous trouverez d’humeur à
écrire sur un pareil sujet, n’oubliez pas, je vous en
conjure, celui que je viens de toucher. Je suis,
&c. »
1I. Corinth. xi. 10.