Le Spectateur ou le Socrate moderne: IV. Discours

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IV. Discours

Citação/Lema

Atqui vultus erat multa & praeclara minantis.
Hor. L. II. Sat. III. 9. Cependant vous aviez l’air d’un Homme qui nous menaçoit de mille belles choses.

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Metatextualidade

La Lettre suivante, dont je regalerai aujourd’hui le Public, vient de la même Plume qui m’a écrit celle que j’ai insetée dans le I. Discours de ce Volume, & où l’Auteur propose de publier une Gazette qui renfermera toutes les Nouvelles du voisinage de cette grande Ville, & tout ce qui se passe dans l’étendue de notre Penny-Post.

Metatextualidade

Projet d’une Gazette, que contiendra tous les bruits sourds que courrent par la ville, & que se diesent à l’oreille de tout le monde.

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Carta/Carta ao editor

Monsieur, « L’acueil favorable que vous avez fait à ma derniere Lettre, où j’ai broché mon nouveau Projet d’une Gazette, m’encourage à vous en communiquer deux ou trois autres de la même espece. Il faut du moins que vous sachiez, Monsieur, qu’on vous regarde comme le 1Lowndes du Monde savant, & qu’on ne croit pas qu’aucun Projet d’Acte pour les Subsides puisse être admis, ni qu’il soit raissonable jusqu’à ce que vous l’aïez aprouvé, quoi que l’argent qui en doit revenir se leve sur nos propres Fonds, & qu’il soit destiné au service du Public. J’ai pensé plus d’une fois qu’une Gazette remplie de bruits sourds, écrite tous les jours de Poste, & envoïée par tout le Roïaume, de même que le Manuscrit de Mr. Dyer, de Mr. Dawkes, ou de tout autre Historien Epistolaire, pourroit être aussi bien reçue du Public, qu’avantageuse à l’Auteur. Par les Bruits sourds, j’entens ces Nouvelles qui se débitent comme des Secrets, & qui procurent une double satisfaction à celui qui les reçoit, en ce qu’elles regardent la vie cachée des Particuliers, & qu’elles sont toujours mêlées de quelque trait scandaleux. Ces deux ingrédiens recommandent un Article d’une façon tout extraordinaire, aux oreilles des Personnes curieuses. La Maladie des Grands qui occupent les premieres Charges du Roïaume, les Visites rendues ou reçues, entre Chien & Loup, par des Ministres d’Etat, les Amours & les Mariages clandestins, les Galanteries secretes, les Pertes qui se font au Jeu, les Brigues pour les Emplois publics, avec leur bon ou leur mauvais succês, sont les matériaux sur lesquels je veux travailler. J’ai deux Personnes en main, dont chacune represente celles de son espece, qui me doivent fournir tous les bruits sourds, que j’ai résolu de communiquer à mes Correspondans. L’une est Mr. Pierre Walsiger, descendu de l’ancienne Famille des Walsigers ; & l’autre la vieille Madame Brouïne, qui a une Tribu si nombreuse de Filles dans nos deux grandes Villes de Londres & d’Westminster.

Narração geral

Retrato alheio

Mr. Walsiger a un petit Parloir dans la plûpart de nos Caffez publics. Si vous êtes seul avec lui dans une grande Chambre, il vous méne à l’un des coins & vous parle à l’oreille. Je l’ai vû s’asseoir avec sept ou huit Personnes, qui lui étoient absolument inconnues, & après avoir regardé de tous côtez, s’il n’y avoit personne qui l’entendit, leur communiquer à voix basse, & sous le seau du secret, la Mort d’un certain Seigneur à la Campagne, qui étoit peut-être dans ce moment à la Chasse du Renard. Si, lorsque vous entrez dans un Caffe, vous y voyez un Cercle de Tètes qui se panchent vers le milieu de la Table, & fort près les unes des autres, il y a dix à parier contre un que mon Ami Walsiger est du nombre. Il lui est arrivé une fois d’avoir publié le bruit du jour à huit heures du matin au Caffe de Garraway, à midi à celui de Guillaume & avant deux heures à celui de Smyrne. Lors qu’il a lâché un Secret de cette maniere, j’ai eu le plaisir de voir bien des Gens le répéter de la seconde main à l’oreille les uns des autres, & s’en dire eux-mêmes les Auteurs ; car, afin que vous le sachiez, Monsieur, ce qui anime le plus à divulguer ces bruits sourds à l’oreille est l’envie que chacun a de vouloir paroître dans le Secret ; & passer pour un Homme qui voit plus de Personnes de considération qu’on ne s’imagine.

Metatextualidade

Après vous avoir donné le Caractere de Mr. Walsiger, Il est juste d’en venir à

Retrato alheio

la vieille Madame Brouïne, cette vertueuse Femme, qui doit me communiquer tout ce qui se passe de particulier à la Toilette, avec tous les Secrets & toute la Politique du beau Sexe. Vous saurez donc que le petit Murmure de cette Dame est d’une influence si maligne, qu’il brûle comme un Vent d’Est, & qu’il térnit toute Réputation sur laquelle il soufle. Elle a un talent fort singulier à faire des Mariages clandestins, & l’Hiver dernier elle maria plus de cinq Dames de qualité avec leurs Valets de pied. Son soufle peut rendre enceinte une jeune Demoiselle qui ne respire que la Vertu, & couvrir un jeune Homme très-dispos de maux qu’on n’oseroit nommer. Elle peut changer une Visite innocente en une Intrigue criminelle, & un Salut fait de loin en un Rendez-vous. Elle peut apauvrir le Riche, & dégrader le Noble. En un mot, elle peut vous insinuer que tels Hommes sont des Fripons ou des Sots, jaloux ou de mauvaise humeur, ou, si l’occasion le requiert, vous apprendre les fautes de leurs Bisaïeules, & attaquer la mémoire d’honête Cochers qui ont été dans leurs tombeaux depuis plus de cent ans.

Metatextualidade

Avec de tels secours, je ne doute pas de ne pouvoir fournir une très jolie Gazette. Si vous aprouvez mon dessein, je commencerai à divulguer mes bruits sourds dès la premiere Poste, & je me flate que tous mes Chalands m’en sauront bon gré, puis que chaque Article sera un Mot dit à l’oreille, & qu’il leur confiera un Secret.

Metatextualidade

Mais ce n’est pas le seul Projet qui me roule dans la tête, j’en ai un autre qui regarde la publication d’une Brochure, & que je soumets à votre jugement. Vous savez, Monsieur, qu’il y a divers Auteurs en France, en Allemagne, & en Hollande, aussi-bien que dans notre Païs, qui publient tous les Mois, ce qu’ils appellent une Histoire des Ouvrages des Savans, oú ils nous donnent un Extrait des Livres qui paroissent en plusieurs endroits de l’Europe. Pour moi, j’aurois dessein de publier tous les Mois, une Histoire des Ouvrages des Ignorans. Diverses Productions modernes de mes Compatriotes, dont plusieurs font très-belle figure dans la République des Hommes sans Lettres, m’encouragent à cette entreprise. Peut-être que je passerai en revûe, dans ce Bleuet, une infinité de Piéces qui ont paru dans les Journaux étrangers, & qui ne devoient pas être admises dans des Ouvrages ornez d’un si beau titre. Je pourrai de même y examiner certaines Piéces qui paroissent, de tems en tems, sous les Noms de ces Messieurs qui se complimentent les uns les autres, dans les Assemblées publiques, & qui se donnent le titre de Savans. Nos Auteurs qui écrivent en faveur de quelque Parti me fourniront aussi une grande varieté de sujets, pour ne rien dire des Editeurs, des Commentateurs, & de tels autres, qui n’ont souvent aucun discernement. Je ne m’étendrai pas davantage sur cet Article : mais si vous croïez que j’en puisse venir à bout, je m’y appliquerai avec tout le soin & toute l’ardeur que mérite un Ouvrage si utile.
Je suis &c.
C.

1C’est un des plus habiles Arithmeticiens qu’il y ait en Angleterre, & qui, depuis le regne de Charles ii. jusques à présent, a presque toûjours été Secretaire de la Tresorerie. Il est aussi Membre de la Chambre des Communes, où il est consulté comme un oracle sur la plûpart des Bills qui regardent les Taxes & chargé du soin de les dresser lui-même. C’est à cette ocassion qu’on l’a vû souvent nommé dans les Gazettes.