Le Spectateur ou le Socrate moderne: LXXV. Discours
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LXXV. Discours
Zitat/Motto
donec jam sævus apertam
In rabiem verti cœpit jocus, & per honestes
Ire domos impune minax.
Hor. L. II. Epist. I. 148.
In rabiem verti cœpit jocus, & per honestes
Ire domos impune minax.
Hor. L. II. Epist. I. 148.
Mais dans la suite, ces bonnes gens poussérens la raillerie trop loin : ce ne fut plus un jeu : ce fut une espèce de fureur qui se répandit impunément sur les plus honêtes familles.
Metatextualität
Contre les Libelles & les Ecrits satiriques.
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Il n’y a rien de plus scandaleux pour un Gouvernement, ni de
plus détestable aux yeux de tous les Gens d’honeur, que la publication des Libelles &
des Satires ; mais il faut avouër en même tems qu’il n’y a rien de plus difficile à domter
qu’un Esprit satirique. Un Ecrivain colere, qui ne sauroit paroitre en public, décharge
naturellement sa bile dans des Satires & des Libelles.
On a proposé d’obliger toute Personne qui voudroit publier un Livre, ou une Feuille
volante, à s’en reconnoitre l’Auteur sous serment, & à insérer son Nom & le Lieu de
sa demeure dans un Registre public. J’avouë que cette méthode auroit prévenu la publication
de tous les Ecrits scandaleux, qui paroissent d’ordinaire sous des Noms empruntez, ou sans
aucun Nom. Mais il est à craindre qu’elle n’eût aussi formé un obstacle au progrès des
Sciences ; & qu’elle n’eût arraché le bon grain avec l’ivraie. Pour ne rien dire de
quelques uns des plus excellens Livres de piété que nous aïons, écrits par des Auteurs
anonymes, qui ont mis toute leur gloire à se tenir cachez ; il y a peu d’Ouvrages d’Esprit
qui paroissent d’abord sous le nom de l’Auteur. On est presque toûjours bien aise de fonder
le goût du Public avant que de les reconnoitre pour siens ; & je croi qu’il y a
très-peu de gens capables d’écrire qui voulussent prendre la plume, s’ils ne pouvoient le
faire qu’à ces conditions. Pour ce qui regarde les Feuilles volantes que je donne au
Public, je dèclare tout net que, semblables aux faveurs des Fées, elles ne dureront
qu’aussi long-tems que l’Auteur en sera inconnu. Ce qui augmente la difficulté qu’on trouve
à reprimer ces Dispensateurs de la Médisance & de la Calomnie est, que
tous les Partis en sont également coupables, & que le moindre infame Barbouilleur de
papier est soutenu par de grands Noms, dont il avance les intérêts par des voies si lâches
& si indignes. Je n’ai point entendu parler jusques-ici d’aucune sorte de Ministres
d’Etat, qui aient infligé un châtiment exemplaire à un Auteur qui a soutenu leur Cause par
le Mensonge & la Calomnie, & qui a traité, de la maniere du monde la plus cruelle,
la reputation de ceux qu’on regardoit comme leurs Rivaux & leurs Antagonistes. Si ceux
qui gouvernent vouloient imprimer une marque éternelle de leur déplaisir à un de ces
infames écrivains, qui leur fait sa Cour aux dépens de la reputation d’un Competiteur, nous
verrions bientôt disparoitre cette Vermine, qui est la honte du Gouvernement &
l’opprobre de la Nature Humaine. Un tel procedé feroit briller un Ministre d’Etat dans
l’Histoire, & donneroit de l’horreur à tout le Genre Humain pour ceux qui le
traiteroient indignement, & qui emploïeroient contre lui les mêmes armes, dont il
n’auroit pas voulu qu’on usât contre ses Ennemis. Je ne saurois croire qu’il y ait des
Personnes assez injustes pour s’imaginer que, dans ce que je viens de dire, j’ai eu en vûe
un certain Parti ou une certaine Faction. Tout Homme qui a les sentimens d’un Chrétien ou
d’un homme d’honeur ne peut être que fort choqué de cette indigne &
abominable pratique, qui est aujourd’hui si commune parmi nous, qu’elle est devenue une
espèce de Crime national, & qu’elle nous distingue de tous les Peuples qui nous
environnent. Je ne puis regarder les plus beaux traits de Satire lancez contre des
Particuliers, & soutenus de quelque apparence de verité, que comme des marques d’un
Esprit malin, & fort criminels en eux-mêmes. Tout ce qui note quelcun d’infamie, de
même que les autres Châtimens, est sous la direction du Magistrat, & non pas à la
direction du Magistrat, & non pas à la discretion d’aucune Personne privée. De là vient
que 1Ciceron nous dit que, dans les Loix des douze
Tables, qui n’étoient point du tout rigoreuses, un Ecrit satirique, ou un Libelle, qui
attaquoit la réputation d’un autre, étoit puni de mort. Mais nous sommes bien éloignez d’en
venir à cette rigueur, quoi que nos Satires ne soient pleines que d’obscenitez & du
langage des Halles. Toute raillerie choquante passe pour spirituelle, & celui qui sait
mieux diversifier ses injures est plus habile que son Antagoniste. Ainsi l’honneur de nos
Familles est ruïné ; les plus grands Emplois & les Titres les plus honorables sont
avilis aux yeux du Peuple ; les Vertus & les Qualitez les plus éminentes sont exposées
au mépris des Vicieux & des Ignorans. Si un Etranger, qui ne sait rien de nos
Fractions, ou un Anglois, qui viendra sur la scène lors que nos Animositez
seront ensevelies dans l’oubli, si un tel homme, dis-je, vouloit se former une idée des
plus grand Genies de tous les Partis, qui vivent aujourd’hui dans la Grande Bretagne, sur
les Caractères qu’en donnent les uns ou les autres de ces abominables écrits qui se
publient ici tous les jours, pour quelle Nation pleine de monstres ne nous prendroit-il
pas ? Mais puis qu’un si cruel usage tend à la ruine entiere de toute sorte de bonne foi
& d’humanité au milieu de nous, il mérite que ceux qui aiment leur Patrie, ou qui ont à
cœur les intérêts de leur Religion, le regardent avec le dernier mépris, & qu’ils s’y
opposent de toutes leurs forces. Je souhaiterois donc que ceux qui se mêlent de publier ces
pernicieux Ecrits, ou qui se plaisent à les lire, voulussent reflechir sur les conséquences
qui en resultent. J’ai déja parlé des premiers dans quelques-uns de mes Discours, & je
n’ai pas fait difficulté de les ranger avec les Meurtriers & les Assassins. Tout Homme
d’honeur n’a pas moins d’estime pour une bonne reputation que pour la vie même ; & je
ne doute pas que ceux qui attaquent l’une en secret, ne privassent de l’autre, s’ils
pourvoient en venir à bout aussi impunément. A l’égard de ceux qui prennent plaisir à lire
& à disperser des infames Libelles, je trouve que leur crime n’est pas fort éloigné de
celui des Auteurs eux-mêmes. Par une Loi des Empereurs Valentinien &
Valens, non seulement tout Homme qui avoit écrit un Libelle, mais celui qui venoit à le
renconter par hasard, sans le déchirer ou le brûler, méritoit la mort. D’ailleurs, afin
qu’on ne me croie pas d’une opinion singuliere là-dessus, je vais citer un long passage de
Mr. Bayle, Homme d’esprit & d’érudition, qui n’avoit pas moins de bon goût, qu’il étoit
libre de préjugez.
C.
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Fabel
Une vielle Femme qui aimoit la joie, à ce que la Fable nous
dit, chagrine de voir ses rides dans un grand Miroir, où elle se regardoit, le jetta sur
le pavé & le cassa en mille piéces ; mais occupée à contempler tous ces morceaux avec
un plaisir malin, elle ne pût s’empêcher de s’apostropher en ces termes : Qu’est-ce que
j’ai gagné par ce coup de ma vengeance ? il n’a servi qu’à multiplier ma
laideur & à me la representer un million de fois pour une.
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Zitat/Motto
2« Je ne
saurois comprendre, dit-il, qu’une personne qui répand un Libelle, ait moins d’envie de
nuire que celui qui le compose. Mais que dirons-nous du plaisir qu’on prend à la lecture
d’un Libelle difamatoire ? N’est-il pas bien criminel devant Dieu ? Il faut distinguer.
Ou ce plaisir n’est autre chose qu’un sentiment agréable qui nous saisit, quand nous
tombons sur quelque pensée ingénieuse & bien exprimée ; ou c’est une joie que nous
fondons sur le deshoneur de la personne que l’on difame. Je n’ai rien à dire sur le
premier cas ; car peut-être trouveroit-on ma Morale trop éloignée du Rigorisme, si
j’assûrois qu’on n’est point le maitre de ces sentimens agréables, non plus que de ceux
que nous avons lors que du miel ou du sucre touchent notre langue. Mais au second cas,
tout le monde m’avouëra que le plaisir est un grand peché. Le plaisir au
premier cas ne dure guére ; il prévient notre Raison, notre reflexion, & il fait tout
aussi tôt place à la douleur de voir qu’on atente à l’honneur de son prochain. S’il ne
cesse pas promtement, c’est une marque que l’audace du Satirique ne nous déplait pas,
& que nous sommes bien aises qu’il difame son Ennemi par toutes sortes de Contes ;
& alors on encourt de droit les peines dont le Faiseur du Libelle s’est rendu digne.
Un Auteur moderne me tombe ici sous la main : voici ses paroles :
C’est une Maxime sûre que ceux qui aprouvent une action la feroient agréablement
s’ils la pouvoient faire, c’est-à-dire si quelque raison d’amour propre ne les empêchoit
de s’y engager.
Le Droit Romain a confirmé cette Maxime ; il a soumis à la même peine les aprobateurs du mal & les auteurs. On peut donc dire que ceux qui se
plaisent à la lecture des Libelles difamatoires, jusques à donner leur aprobation & à
ceux qui les composent & à ceux qui les debitent, sont aussi coupables que s’ils les
avoient composez ; car s’ils n’en composent pas de semblables, c’est ou parce qu’ils
n’ont pas le don d’écrire, ou parce qu’ils ne veulent rien risquer. »
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Zitat/Motto
St. Gregoire, excommuniant les Auteurs qui avoient
deshonoré le Diacre Castorius, n’excepte pas ceux qui lisoient cet Ouvrage : Parce que,
si les médisances, disoit-il, ont toujours fait les délices des oreilles ; & le
bonheur du peuple qui n’a point d’autres avantages sur les honnêtes gens, celui qui
prend son plaisir à les lire, n’est-il pas aussi coupable que celui qui a mis sa gloire
à les composer ?
Ebene 4
Zitat/Motto
Il n’y a point de diference, disoit Ciceron3, entre conseiller un crime, & l’aprouver quand il est fait.