Le Spectateur ou le Socrate moderne: LXXIII. Discours
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LXXIII. Discours
Citazione/Motto
Fœdicus hoc aliquid
quandoque audebis.
Juv. Sat. II. 83.
Juv. Sat. II. 83.
Vous passerez insensiblement à d’autres plus grands desordres.
Metatestualità
Divers Caractères de
Gens, qui manquent aux Rendez-vous qu’ils donnent.
Metatestualità
Divers Caractères de
Gens, qui manquent aux Rendez-vous qu’ils donnent.
Livello 2
On doit éviter, avec beaucoup de soin,
les premiers pas qui tendent vers le Mal ; puis qu’on s’y engage
insensiblement dès qu’on a rompu une fois la glace, & qu’on
n’a pas en horreur jusques à la moindre indignité. Il y a une
certaine mauvaise foi à laquelle on s’accoutume, & pour
laquelle on devroit avoir plus d’aversion qu’on n’en temoigne
d’ordinare ; c’est lors qu’on néglige de tenir sa parole en des
occasions indiférentes & de peu de conséquence, telles que
sont des parties de plaisir, & des Rendez-vous entre des
Personnes du même goût, qui se recherchent les unes les autres.
On peut atribuer cette legereté à bien des causes. Il y a d’autres Personnes, que
tout le monde seroit bien aise de voir, & qui tombent dans
ce défaut. Il est inconcevable qu’un Homme puisse être en repos,
lors qu’il sait qu’une troupe de ses Amis qui le chérissent
l’atend avec impatience, qu’ils ne veulent ni manger, ni entamer
la conversation, jusqu’à ce qu’il soit arrivé. Un de ces
Prometteurs vous avertira quelquefois si tard, qu’il ne peut se
trouver au rendez-vous, que toute la Compagnie a du chagrin de
l’avoir atendu, & d’avoir négligé leurs affaires pour
l’amour de lui. Il perd aussi leur estime, & l’on ne compte
plus sur la parole ; de sotte qu’il vient souvent
au milieu d’un Repas, où il est méprisé de tous les Convives,
& maudit de tous les Domestiques, dont il retarde le Dîner,
après avoir fait prolonger celui de leur Maître. Est-il possible
que ces Ravaudeurs n’aient jamais observé que le tems, que des
Amis passent à s’attendre les uns les autres à l’heure du Repas,
est le plus incommode & le plus ennuïeux de toute la
Journée ? S’ils réflechissoient un peu, ils sentiroient d’abord
le crime qu’il y a d’interrompre ainsi les agrémens de la Vie
& de la Societé. La récidive en ce cas fait brèche en
quelque manière à la bonté du cœur, de même que l’habitude qu’on
a contractée de jurer devient une espèce de Parjure, puis qu’on
affirme avec ferment qu’on ne jure jamais. Phocion, à l’ouïe
d’un Orateur verbeux, qui berçoit le Peuple par de magnifiques
promesses remplies de vent, dit, Quoi qu’on ne doive rien atendre
de ces Prometteurs, leur hardiesse est si grande, qu’après vous
avoir manqué cent fois de parole, ils vous font toujours de
nouvelles promesses. J’ai déjà censuré le frivole Menteur, le
Glorieux, le Chimerique, & je les ai traitez comme des
Personnes, dont le but est de s’attirer des éloges par vanité,
sans aucun mauvais dessein ; mais les étourdis
Prometteurs n’en échaperont pas à si bon marché. Si un Homme
prenoit la resolution de ne païer que des Sommes au-dessus de
cent Pistoles, & qu’il contractât plusieurs Dettes de cinq
& de dix, peut-on s’imaginer qu’il conserveroit long-tems
son crédit ? Celui qui donne des Rendez-vous, auxquels il ne se
met pas en peine de se trouver, est à peu près dans le même cas.
Je suis d’autant plus irrité contre ce défaut, que j’ai eu le
malheur d’y être moi-même fort sujet. Le Chevalier Freeport,
& tous mes autres Amis, qui sont scrupuleux à tenir leur
parole dans les moindres petites choses, par un principe de
Vertu, me l’ont souvent reproché.
Ce qui peut servir quelquefois d’excuse à ce
défaut, est lors que les Personnes d’une conversation agréable
n’osent pas refuser à ceux qui les recherchent, de peur qu’on ne
les traite de vains & de prétieux ; mais ils trouveront que
la crainte de ce reproche les engagera insensiblement à
certaines démarches pueriles, & à promettre à tous ceux qui
les voudront, sans pouvoir leur tenir parole. C’est ce qui
entraîne ces bons humains à païer d’une ingratitude apparente la
bienveillance qu’on leur témoigne. Les premiers pas qui font
brèche à la Candeur vont beaucoup plus loin qu’on ne se
l’imagine. Celui qui n’est pas scrupuleux à manquer de parole en
de petites choses, ne sentira jamais de si cruels remors pour de
grandes fautes, que celui qui regarde avec horreur tout ce qui
va le moins du monde contre la Justice & la Vérité. Si l’on
veut conserver sa Candeur, on ne doit jamais s’habituer à ce que
l’on desaprouve soi-même. Je me souviens d’un manque de bonne
foi assez ordinaire, quoi que ce ne soit pas à l’égard des
Rendez-vous, qui exposa un Homme à un traitement bien difficile
à digérer.
T.
Eteroritratto
Lambin ne se rend jamais à l’heure
qu’il a fixée lui-même pour aller dîner chez un de ses
Amis ; mais, quelque peu de mérite qu’il ait d’ailleurs, il
afecte cette inexactitude par un principe de vanité. Il
n’ignore pas qu’il feroit une assez triste figure en
Compagnie, s’il n’y causoit, dès son entrée, ce petit
embarras ; & c’est aussi pour cela qu’il soin d’arriver
précisément lors qu’on vient de se mettre à
table. Il s’assied, après avoir dérange tout le monde, &
il demande en grace qu’on bannisse la Cérémonie ; il se
qualifie ensuite du plus ridicule Corps de l’Univers, en ce
qu’il a manqué de parole, à plusieurs de ses Amis qui
l’avoient retenu pour ce jour-là. Il a même la sotise de
nommer dix Endroits, où l’on fait meilleure chere que dans
la Maison où il se trouve, ou qu’il a tous négligez en votre
faveur. La derniere fois que le hasard me fit dîner avec
lui, il ne parla que de l’embonpoint qu’il auroit aquis,
s’il eût accepté toutes les invitations qu’il avoit reçues.
Mais on me blâmeroit à mon tour, si j’insistois plus
long-tems sur le Caractère d’un Sot, qui fait plaisir à tous
ceux qu’il néglige, & avec lequel on n’observe les
régles de la civilité que par les égards dûs à sa Naissance
ou à & sa Fortune.
Citazione/Motto
Il me semble que je fixe les jeux sur un Cyprès, qui a toute
la pompe & la beauté possible à l’égard de ses branches,
de ses feuilles & de sa hauteur ; mais helas ! il ne
porte aucun fruit.
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Racconto generale
Je m’en fais honte à moi-même,
sur tout pour avoir manqué l’occasion de voir une des
plus agréables Compagnies de Dames & de Messieurs
qu’il y ait jamais eu, lorsque tout Spectateur que je
suis, & Admirateur du beau Sexe qui a du mérite,
j’eus la sotise d’oublier le jour du Rendez-vous, &
de n’y paroitre que le lendemain. Je souhaiterois que
tout Négligent, qui est coupable de ce crime, fût exposé
à une aussi grande perte que celle qui m’est arrivée à
cet égard ; puisque tous les Membres, qui formoient
cette illustre Assemblée, ne se reverront plus selon
toutes les apparences ; du moins ils sont dispersez en
divers endroits du Monde, & je reste ici avec le
chagrin d’avoir mérité qu’ils me taxent par tout d’un
insigne Rêveur.
Livello 3
Racconto generale
Il y a vingt-cinq ans que
Mrs. <sic> Guill. De Couvreur & Jaq. Definau
occupoient une même Chambre dans le Temple interieur,
qui est un de nos Colleges en Droit. Un soir qu’ils
étoient ensemble à la Comédie, ils épierent une jeune
Demoiselle dans une des Loges, qui leur
plut beaucoup, & qui les toucha plus qu’ils ne
croïoient d’abord. Definau, qui avoit le talent d’écrire
des Billets doux ; emploïa cette voie en secret pour
réussir auprès de la Belle, pendant que son Ami suivit
la route ordinaire & qu’il voulut gagner la
Maîtresse par sa Femme de Chambre, & la vertu des
présens. La jeune Dame les encouragea tous deux ; elle
recevoit De Couvreur le mieux du monde, & répondoit
avec soin aux Lettres de Mr. Definau, qui elle donnoit
même des Rendez-vous en des Lieux tiers. Le premier vint
à soupçonner ce Commerce Epistolaire, & il s’aperçut
que son Ami ouvroit toutes les Lettres qui leur étoient
adressées, pour bâtir là-dessus ses Rendez-vous. Après
bien des inquietudes & des soucis cuisans, il
resolut de rompre ce manège d’une maniere qui ne pût
jamais l’exposer à un Eclaircissement dangereux. Pour
cet effet, il écrivit une Lettre d’un caractère déguisé,
& il l’adressa à Mr. De Couvreur logé dans le
Temple. Mr. Definau ne manqua pas de l’ouvrir à son
ordinaire ; mais il fut bien surpris de voir son Nom à
la tête & d’y lire ce qui suit.
Livello 4
Lettera/Lettera al direttore
Mr. Definau, « Vous
n’avez eu jusques-ici qu’une satisfaction
très-legere, & vous n’y êtes arrivé que par un
crime fort odieux. Il vous en coûte un Ami fidèle,
pour obtenir une Maîtresse inconstante. Je suis
charmé que cet Expédient me soit venu
dans l’esprit pour vous ouvrir mon cœur, &
vous dire que vous êtes un mal-honête Homme, sans
que vous puissiez vous choquer de l’afront, à
moins que vous ne le méritiez. Je sai, Monsieur,
que, tout criminel que vous êtes, vous avez encore
assez d’honeur pour vous vanger de celui qui
oseroit vous le dire en public. C’est à cause de
cela même qu’après avoir reçu tant de botes
secretes de votre part ; je me vange ainsi de vous
en toute sûreté. Je vous taxe de mal-honête Homme,
& il faut que vous le suportiez, ou que vous
reconnoissiez votre injustice ; Je triomphe de ce
que vous ne pouvez m’ateindre, & je ne croi
pas qu’il soit deshonorable d’attaquer ainsi à
couvert celui qui s’est tenu en embuscade pour me
blesser. Que peut-on dire de plus fort, pour vous
convaincre que vous vous êtes rendu coupable du
plus indigne procedé qu’il y ait au monde, si ce
n’est qu’il vous expose à ce mauvais traitement,
& qu’il est impossible que vous ne sentiez
vous-même la justice d’un tel reproche de la part
de votre Ami ofensé ? » Rodolphe de Couvreur.