Le Spectateur ou le Socrate moderne: LXXII. Discours
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Nivel 1
LXXII. Discours
Cita/Lema
Φημί πολυχρουίην
μελέτην έμμεναι, φίλε καί δή
Ταυτην άνξρωποιοι τελεύτώσαν φύοιν είναι.
Ex. Fragm. Euene.
Ταυτην άνξρωποιοι τελεύτώσαν φύοιν είναι.
Ex. Fragm. Euene.
Je vous exhorte, mon Ami, à perseverer longtems dans le même exercice, quelque pénible que vous le trouviez d’abord ; puis que l’habitude une fois contractée vous le rendra aussi facile que s’il vous étoit naturel.
Metatextualidad
Des effets de la
Coutume, sur tout à l’égard de la Vertu & du Vice.
Metatextualidad
Des effets de la
Coutume, sur tout à l’égard de la Vertu & du Vice.
Nivel 2
Il n’y a point de Proverbe qui
renferme plus de bon sens, que celui que nous entendons tous les
jours de la bouche du Vulgaire, lors qu’il nous dit que la
Coûtume est une seconde Nature. En effet, elle peut changer
absolument un Homme, le former, pour ainsi dire, de nouveau,
& lui donner de tout-autres inclinations que celles qui sont
nées avec lui. Je ne voudrois pas
répondre de la verité du Fait, mais il est certain que la
coûtume agit réellement sur le Corps, &
qu’elle a une très-grande influence sur l’Esprit. J’examinerai,
dans ce Discours, un effet très-singulier de la Coûtume sur la
nature Humaine, & qui bien observé peut être d’un grand
usage pour regler notre Vie. Ce merveilleux effet, dont je veux
parler, est qu’elle nous rend tout agréable. Un Homme adonné au
Jeu, quoi qu’il n’y trouvât d’abord guères de plaisir, en
contracte à la longue une si forte habitude, qu’il n’est plus en
état de s’en passer, & qu’il semble être né pour cette
unique fin. L’amour de la retraite ou d’une vie occupée aux
affaires du monde croit insensiblement, à mesure qu’on s’attache
à l’une ou à l’autre, jusqu’à ce qu’on devient incapable de
goûter celle des deux qu’on a négligée. Un Homme peut fumer,
boire, ou prendre du Tabac en pourdre, avec excès, jusqu’à ce
qu’il lui est impossible de s’en abstenir ; pour ne rien dire du
plaisir qu’on trouve à une certaine Etude, à un Art, ou à une
Science, à proportion du soin qu’on y donne, & du tems qu’on
y emploïe. De cette maniere ce qui étoit d’abord une fatigue se
tourne en divertissement, & nos occupations servent à nous
amuser. L’Esprit se plaît à toutes les démarches auxquelles il
s’est accoutumé, & il ne s’éloigne qu’avec repugnance des
sentiers qu’il a batus. C’est ainsi que non seulement les
actions qui nous étoient indiférentes, mais celle même, pour
lesquelles nous avions du rebut deviennent
agréables par la coutume & la pratique. On peut dire la même chose de l’Esprit ;
lors qu’il s’est habitué à quelque Exercice, il perd non
seulement l’aversion qu’il en avoit d’abord conçue, mais il
vient à l’aimer & à le chérir. J’ai ouï dire à un des plus
grands génies du Siecle, qui s’étoit apliqué à toute sorte de
belle Literature, qu’engagé à examiner quantité de vieilles
Paperasses & d’anciens Registres ; malgré le dégoût que lui
causa d’abord une recherche si stérile & si pénible, il y
avoit pris enfin un plaisir incroïable, & qu’il le préferoit
à la lecture de Virgile ou de Ciceron. D’ailleurs, on doit
remarquer que je ne parle pas ici de la Coûtume en ce qu’elle
rend les choses aisées, mais plutôt agréables ; & quoi que
d’autres aient fait souvent les mêmes reflexions, peut-être
qu’ils n’en ont pas tiré les usages, dont je vais, entretenir le
Public dans la suite de ce Discours. Si nous examinons avec soin
cette Propriété de la Nature Humaine, elle peut nous fournir une
très-bonne Morale. Je voudrois, en premier lieu,
qu’aucun ne se décourageât à la vûe du genre de vie auquel il
est réduit soit par le choix des autres, ou par l’état où il se
trouve lui-même. Peut-etre qu’il lui sera d’abord fort
désagréable ; mais l’usage & l’aplication le lui rendront
moins pénible, & qui plus est, doux satisfaisant. En
deuxième lieu, je souhaiterois que chacun voulût suivre ce
merveilleux Précepte que Pythagore avoit donné à ses Disciples,
& que ce Philosophe avoit tiré de l’Observation sur laquelle
j’ai raisonné jusques ici. Ceux-là, dont les
circonstances leur permettent de choisir le train de vie qu’ils
veulent, sont inexcusables s’ils n’embrassent pas celui que la
Raison leur dicte être le plus digne de nos éloges. La voix de
celle-ci doit être préferée à celle d’un Penchant qui nous aime
quelquefois ; puis que, par la Regle marquée ci-dessus, le
Penchant peut s’accomoder enfin avec la Raison, quoi que la
Raison ne puisse jamais adopter un Penchant qu’elle desaprouve.
En troisiéme lieu, cette Observation peut engager l’Homme du
monde plus sensuel & le plus indévot à ne craindre pas les
difficultez qui l’empêchent d’ordinaire
d’embrasser une vie sainte & Chrétienne. Ajoutez à ceci que la pratique
des Vertus Chrétiennes est non seulement accompagnée de ce
plaisir, qui est une suite naturelles des actions auxquelles
nous sommes habituez ; mais outre cela de ces joies ravissantes
de l’Ame, qui naissent du sentiment intérieur qu’elle a d’un tel
plaisir, de la satisfaction qu’elle trouve à se conduire par les
lumieres de la Raison, & de l’esperance d’une immortalité
bien heureuse. En quatrième lieu, cette Observation sur la
nature de l’Esprit Humain doit nous apprendre, lors que nous
avons une fois embrassé une Vie réglée, à ne pas trop nous
relâcher à l’égard des plaisirs & des exercices les plus
innocens ; puis que l’Esprit peut se dégoûter peu à peu des
actions vertueuses, & changer le plaisir, qu’il trouvoit à
s’aquiter de son devoir, pour des plaisirs d’un ordre inferieur,
presque toûjours inutiles, & souvent même
criminels. Le dernier usage que je tirerai de cette proprieté
remarquable dans la Nature Humaine, qui se plait aux actions
qu’elle a long-tems pratiquées, est de faire voir qu’il est
d’une absolue nécessité pour nous d’aquerir les Habitudes de la
Vertu dans cette Vie, si nous voulons goûter les plaisirs de
celle qui est à venir. L’état du Bonheur, que nous appellons la
gloire du Ciel, ne sauroit toucher les Esprits, qui ne sont pas
qualifiez de cette manière ; il faut que, dès ce Monde ; nous
aquerions du goût pour la Vérité & la Vertu, si nous
prétendons trouver du plaisir à la Connoissance & à la
Perfection, qui doivent nous rendre heureux dans l’autre. Les
semences de ces joies spirituelles & de ces divins
transports, qui doivent s’élever & fleurir dans l’Ame pour
toute l’éternité, y doivent être enracinées durant l’état
d’épreuves où nous sommes ici-bas. En un mot, le Ciel ne doit
pas être uniquement envisagé comme la récompense, mais aussi
comme l’effet naturel d’une Vie sainte & religieuse. D’un
autre côté, les Méchans, qui, par une longue pratique, ont formé
dans leurs Corps les habitudes de la concupiscence & de la
Sensualité, de la Malice & d’un Esprit vindicatif, & qui
haïssent tout ce qui est bon, juste ou louable, sont
naturellement disposez pour les remors, les chagrins & la
misere. Leur Bourreau s’est déjà saisi de leur Ame ; ils ne
sauroient être heureux dépouillez du Corps, à
moins qu’on ne supose que Dieu veille, en quelques maniere, les
créer de nouveau & rétablir leurs Facultez, par un miracle.
Il est vrai que, durant cette vie, ils peuvent goûter un plaisir
malin à produire ces actions auxquelles ils sont habituez ; mais
lors qu’ils ne verront plus ces Objets qui les charment
aujourd’hui, ils deviendront leurs propres Executeurs, & ils
aimeront ces Habitudes péniblés, que l’Ecriture nomme Cette idée du Ciel & de l’Enfer est si
conforme aux lumieres de la Nature, que les plus illustres des
Païens l’ont découverte. Plusieurs de nos célèbres Théologiens
du dernier siecle l’ont bient fait valoir ; entre autres,
l’Archevêque Tollotson & le Dr. Sherlock ; mais il n’y en a
point qui ait bâti là-dessus de si belles speculations que le
Dr. Scott, dans le premier Livre de sa Vie Chrétienne, qui est
le plus beau & le plus raisonnable Systême de Théologie,
quoi soit écrit dans notre Langue, ou dans aucune autre. Cet
excellente Auteur y a fait voir, de quelle maniere chaque vertu
en particulier, formée en habitude, produit naturellement le
Ciel, ou un état de Bonheur, pour celui qui la possede ; &
tout au contraire, que chaque Vie deviendra, par une suite
naturelle, l’Enfer de celui qui en est l’esclave. C.
Relato general
Le Dr. Plot
raporte, dans son Histoire de Staffordshire, qu’un Idiot,
qui demeuroit assez près d’une Horloge, s’étoit si bien
accoûtumé à imiter le son de la Cloche & à compter les
heures toutes les fois quelles sonnoient, qu’il continua cet
exercice, sans y manquer jamais, tout le tems que l’Horloge
fut demontée par quelque accident.
Ejemplo
Le Chevalier François Bacon observe, dans sa
Philosophie naturelle, que cela même, dont le Goût avoit été
le plus choqué, est ce qui lui plait le mieux dans la suite.
Il en donne des Exemples à l’égard du Vin, du Caffé, &
d’autres Liqueurs, que le Palais n’aprouve guéres du premier
coup ; mais dont il est avide lors qu’il y est une fois
accoutumé.
Cita/Lema
1Choisissiez, leur disoit-il,
le meilleur genre de vie, puis que la coutume vous le rendra
le plus agréable de tous.
Cita/Lema
Les Dieux, nous dit Hesiode, ont placé le Travail
au devant de la Vertu, le chemin qui nous y conduit est
scabreux & difficile dès l’entrée : mais il devient plus
uni & plus doux à mesure qu’on y avance. Tout Homme,
résolu d’y marcher d’un pas ferme & constant, trouvera
bientôt que 2ses voies sont
pleines de charmes, & que tous ses sentiers tendent à la
Paix & au Bonheur.
Cita/Lema
3le Ver qui ne meurt
point.