Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "LXVII. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.4\067 (1720), S. 404-409, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1365 [aufgerufen am: ].


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LXVII. Discours

Zitat/Motto► Hi narrata ferunt aliis : mensuráque ficti
Crescit, & auditis aliquid novus adjicit auctor.
Ovid Metam. L. XII. 57.

Ceux-ci qui raportent à d’autres ce qu’ils ont entendu dire : c’est ainsi que la fiction augmente, & que celui qui la repete y ajoute quelque chose du sien. ◀Zitat/Motto

Metatextualität► Des Espions des Délateurs & de ceux qui ont la curiosité de savoir ce qui se dit sur leur chapitre. ◀Metatextualität

Ebene 2► Ebene 3► Utopie► Ovide feint que le Palais de la Renommée étoit situé au centre de l’Univers, & qu’il y avoit quantité de Fénêtres & d’Avenues, qui lui donnoient le moïen de voir tout ce qui se passoit dans le Ciel, sur la Terre & sur la Mer. La structure en étoit si admirable, qu’il s’y formoit un Echo de chaque mot qui se prononçoit dans la vaste étendue de l’Univers : en sorte que ce Palais étoit le Rendez-vous général de tous les discours & de tous les murmures, & qu’il étoit toûjours rempli d’un bruit confus de sons prêts à expirer, ou de voix mourantes, à cause de la distance infinie qu’il y avoit de cet endroit aux Lieux d’où ils venoient. ◀Utopie ◀Ebene 3

Il me semble que les Cours des Princes sont à l’égard des Etats qu’ils gouvernent, ce qu’est le Palais de la Renommée, tel qu’Ovide nous le décrit, à l’égard de [405] l’Univers. Un Ministre actif & vigilant voit tout ce qui se passe dans un Roïaume entier. A peine y a-t-il un Murmure ou une Plainte, qui ne parvienne à ses oreilles. Il a des Nouvellistes à gages dans tous les coins du Païs, qui l’avertissent de tout ce qui se dit en public & en particulier. Le plus sage de tous les Rois fait allusion à ces Espions invisibles & secrets, que les Princes & les Républiques entretiennent de tous côtez, aussi bien qu’à ces Délateurs volontaires, qui rompent toûjours les oreilles des Ministres d’Etat, & qui font leur Cour aux dépens de leur Prochain. Salomon, dis-je, les a en vûe, lors qu’il nous donne cet avis digne de sa prudence : Zitat/Motto► 1 Ne dites point de mal du Roi, non pas même en votre pensée : n’en dites pas non plus du Riche dans la Chambre où vous couchez ; car les Oiseaux de l’Air en porteroient la voix, & ce qui vole en porteroit les nouvelles. ◀Zitat/Motto

Puis qu’il est d’une absolue nécessité que nos Gouverneurs voient & entendent par les yeux & les oreilles des autres, ils devroient avoir un soin tout particulier de n’ajouter pas foi legerement aux raports, & d’être fort équitables, ou même débonnaires, envers ceux dont on épluche les discours & les actions. Un Homme qui embrasse un métier aussi infame que celui d’Espion ne mérite pas trop de créance.

[406] Il ne sauroit avoir des Principes d’Honeur & de Vertu capables de le retenir dans de justes bornes, lors qu’il accuse en secret des Personnes qui ne sont pas en état de se défendre. Il est souvent plus atentif à donner des nouvelles qui plaisent, qu’à dire la verité. On n’auroit pas besoin de lui, s’il n’entendoit & ne voïoit des choses digne d’être découvertes ; de sorte qu’il envenime chaque mot & la moindre circonstance, qu’il aggrave le mal, qu’il déguise le bien, & qu’il donne un mauvais tour à ce qui est indiférent de sa nature. Il ne faut pas même douter que ces Malheureux, cet Ames vénales & de boue, ne se laissent quelquefois entrainer à leurs Passions, qu’ils n’aient quelque animosité contre la Personne qu’ils observent, & qu’ils ne cherchent à s’en vanger. Un Auteur Italien nous décrit une plaisante Scène qu’il y eut entre un Espion & un Cardinal qui l’emploïoit. Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Il dépeint celui-ci occupé à écrire tout ce que l’autre lui disoit. L’Espion entame à voix basse, Dialog► Un tel, Acocat, a souflé à l’oreille d’un de ses Amis, quoi qu’assez haut pour me le faire entendre, que votre Eminence est un insigne Poltron, & après lui avoir donné le tems du coucher ces mots par écrit, il ajoute, qu’un autre l’avoit appellé en public un Mercenaire & un mal honête Homme. Le Cardinal lui replique, Fort-bien, & lui ordonne de continuer. L’Espion lui fait divers autres raports de la même nature, jusqu’à ce qu’en-[407]fin la patience échape au Cardinal, qui se leve tout en colére, le traite de Maraut & d’Impudent, & le met à coups de piez hors de sa Chambre. ◀Dialog ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

On observe que les grands Hommes ont non seulement méprisé les faux bruits qu’on a repandu contre eux ; mais qu’ils n’ont jamais eu la sote curiosité de les vouloir aprofondir, ni la triste consolation de s’en vanger. Les Histoires d’Alexandre & de César sont pleines de pareils Exemples. Ebene 3► Exemplum► Denys, le Tyran de Sicile, avoit un Donjon d’une architecture merveilleuse, & il y en a même encore aujourd’hui quelques restes, à ce que l’on m’a dit. On l’apelloit l’Oreille de Denys, & il étoit bâti avec divers petits contours ou labyrinthes en forme d’une véritable Oreille. Quoi qu’on y parlât à voix basse, il étoit construit d’une telle manière, qu’il rassembloit la voix dans une espèce d’Entonnoir qu’il avoit au sommet. Le Tyran y fasoit mettre tous les Criminels d’Etat, & ceux qu’il soupçonnoit d’avoir quelque mauvais dessein contre sa personne. D’ailleurs il avoit lui-même un Apartement au haut, où il apliquoit l’Oreille à l’Entonnoir, & c’est ainsi qu’il entendoit tout ce qui se disoit au bas du Donjon. ◀Exemplum ◀Ebene 3 Il me semble qu’on peut avancer à coup sûr qu’un Alexandre, ou qu’un Cesar auroit mieux aimé périr mille fois par trahison, que d’emploïer de tels moïens pour la découvrir.

[408] Un Homme qui est fort curieux de savoir tout le mal qui se dit de lui ne passe pas trop agréablement sa vie. Toutes les flêches qu’on lui décoche le blessent, & le moindre de ses Ennemis peut troubler son repos. Bien plus, il soufre de ce qu’on a divulgué contre lui, lors même que tous les autres l’ont oublié. C’est à cause de cela que je ne pourrois jamais endurer un de ces Amis officieux, qui voudroit m’entretenir de tous les malins raports, & de toutes les Critiques en l’air qu’on débiteroit contre moi. Les Hommes parlent si légerement, & leurs idées varient d’une telle maniere, qu’on ne doit pas trop compter sur ce qu’ils disent, ni sur ce qu’ils pensent. Les Eloges & les Censures parlent souvent de la même Bouche à l’égard de la même Personne, & dans la même occasion. Un Ennemi généreux louera quelquefois, & le plus cher de tous les Amis ne pourra quelquefois s’abstenir de blâmer. Celui qui n’est ni l’un ni l’autre donne son avis à tort & à travers ; il aprouve ou il condamne suivant l’humeur dont il se trouve.

Je finirai ce petit Discours par quelques traits du Caractère d’un grand Genie, qui étoit industrieux à se tourmenter par une curiosité mal-entendue, & que Mylord Clarendon nous a dépeint ainsi au naturel, dans le premier Livre de son Histoire.

Ebene 3► Zitat/Motto► Allgemeine Erzählung► « Il n’y avoit pas, dit-il, ces égards, ce [409] respect, ni cette soumission : pour la Reine, qu’on auroit pû attendre de sa prudence & de sa politesse ; il croisoit souvent ses desirs & les prétentions avec une brusquerie qui ne lui étoit pas naturelle. D’ailleurs il étoit d’une inquiétude impertinente, pour savoir ce que Sa Majesté disoit de lui en particulier, & de quelle manière elle en témoignoit son ressentiment. Lors qu’à la faveur de quelques-unes de ses Créatures, qui avoient des vûes intéressées dans ces raports officieux, il aprenoit que la Reine s’étoit servie à son égard de certaines expressions choquantes, il en avoit une si vive douleur, qu’il s’en plaignoit quelquefois au Roi en des termes asses forts, qu’il déploroit ensuite son malheur auprès de la Reine de la manière du monde la plus humiliée, que par-là il s’exposoit souvent lui-même, qu’il rendoit sa condition pire qu’elle n’étoit d’abord & que ces éclarcissements se terminoient presque toûjours par la découverte de ceux qui lui avoient donné ces avis les plus secrets. » ◀Allgemeine Erzählung ◀Zitat/Motto ◀Ebene 3 ◀Ebene 2

C. ◀Ebene 1

1Ecclesiaste, X. 20.