On y trouve une Relation
abregée de deux Païs, dont les limites se
touchoient.
1L’un étoit
une République d’Amazones, ou de femmes qui vivoient
sans hommes, & l’autre une République d’Hommes,
sans aucune Femme avec eux. Les unes & les
autres, à ce qu’il paroit, avoient accoûtumé de se
rendre sur leurs Frontieres dans une certaine saison
de l’Année ; alors ceux d’entre les Hommes, qui
n’avoient pas fait encore leur choix, s’associoient
avec certaines Femmes, qu’ils étoient obligez, dans
la suite de ces Rendez vous annuels, de regarder
comme leurs Epouses. Si les Enfans qui naissoient de
cette alliance étoient des Garçons, on les envoïoit
à leurs Peres, & si c’etoient des Filles, elles
restoient avec leurs Meres. De sorte qu’à la faveur
de ce Carnaval, qui se renouvelloit tous les ans,
& qui duroit environ une semaine, ces deux Etats
se repeuploient & aqueroient de nouveaux Sujets.
Si l’un de ces deux Etats, engagez
dans une Ligue perpetuelle, ofensive &
défensive, venoit à être attaqué par une Puissance
étrangere, les deux Sexes ne manquoient jamais de
lui tomber sur le dos, & de la mettre bientôt à
la raison. Ce qui pourroit causer quelque étonnement
est qu’un si merveilleux accord entre les Femmes
& les Maris fut inviolable durant plusieurs
siecles ; mais la surprise diminuera, si l’on
considere qu’ils ne vivoient ensemble qu’environ
huit jours toutes les années.
2Pour ce qui est de la République des
Hommes, il y avoit diverses Coûtumes fort
remarquables. Ils ne se rasoient jamais la barbe
& ne se rognoient les oncles qu’une fois par an,
lors sans doute qu’ils alloient à leur Rendez-vous
sur les Frontieres. Mon Auteur parle aussi d’un
Ministre d’Etat, qui fut condamné à une amande,
parce qu’il changeoit trop souvent de linge ; &
d’un fameux Général, qui convaincu, sur la
déposition de plusieurs Personnes dignes de foi, de
se laver le visage tous les matins, fut taxé de
mollesse & privé de son Emploi. S’il y avoit
quelcun des Membres de la Société, qui eut la voix
douce, le teint beau, ou des maniéres
aisées, il en étoit banni & envoïé dans la
République des Femmes, qui le traitoient en Esclave,
l’habilloient à leur mode, & l’occupoient à
filer. Ils n’avoient aucun Titre d’honeur qui ne
marquât la force ou la taille du Corps, ou quelque
autre Don de cette nature ; Ils disoient ainsï un
telle le Gigantesque, un tel le Nerveux, un tel le
Réchigné. Ils ne parloient jamais des affaires
d’Etat dans leurs Assemblées qu’à coups de piez
& de poings ; en sorte qu’ils se retiroient
souvent du Conseil avec les jambes meurtries, les
yeux pochez, & le nez ensanglanté. Ils ne
pouvoient rien dire de plus injurieux à un Homme que
de l’accuser d’avoir les dents blanches, la peau
fine & la main douce. L’Homme le plus illustre,
dont il soit parlé dans toute leur Histoire, levoit
un poids de 500 l., & avoit la plus belle
Moustache qu’on eût jamais vûe. Ces talens le
rendirent si cher au Peuple, que, si la Mort ne
l’eût enlevé fort à propos, il étoit à craindre
qu’il ne devint le Maître & le Tyran de la
République.