Le Spectateur ou le Socrate moderne: LV. Discours
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Nivel 1
LV. Discours
Cita/Lema
Quid non mortalia
pectora cogis Auri sacra fames ?
Virg. Æneid. III. 56.
Virg. Æneid. III. 56.
A quels funestes excès l’avidité du Bien n’engage-t-elle pas les Hommes !
Nivel 2
Un de mes Amis, qui est d’une
conversation fort agréable, me prit l’autre jour dans son
Carosse pour aller diner avec lui à la Campagne. Il m’entretint
sur la route du soin que les Peres & les Meres doivent
prendre pour bien élever leurs Enfans, & de la tendresse,
pleine de reconnoissance, que les Enfans doivent à ceux qui les
ont mis au Monde. Il ajouta que, si ces devoirs étoient
religieusement observez de part & d’autre, les Vertus &
les bonnes Qualitez se perpetueroient dans une Famille de
Génération en Génération. Mais il est de si bonne humeur, qu’il
la mêle toûjours avec ce qu’il dit de plus solide, & qu’il
me fit le Discours suivant.
T.
Metatextualidad
Histoire de Valentin fameux Chimiste Allemand
& du Secret qu’il avoit trouvé, pour redonner la vie
aux Morts.
Metatextualidad
Histoire de Valentin fameux Chimiste Allemand
& du Secret qu’il avoit trouvé, pour redonner la vie
aux Morts.
Nivel 3
Relato general
« Je ne sai pas en quel
Siecle, ni sous quel Empereur, il arriva que ce défaut
d’Amitié reciproque & de bonne intelligence entre le
Pere & le Fils devint funeste à la Famille des
Valentins en Allemagne. Basile Valentin, qui étoit parvenu au plus haut degré de perfection dans
l’Art Hermetique, initia son Fils Alexandrin dans les
mêmes mysteres : Mais comme vous savez qu’il n’y a que
les Gens laborieux, chastes, craignant Dieu & dont
le cœur est pur, qui soient en état d’y pénétrer, Basile
ne lui décrouvit pas, à cause de sa jeunesse, & des
égarements où elle n’est que trop encline, les plus
grands Secrets qu’il possedoit, convaincu que
l’Operation manqueroit entre les mains d’un jeune Homme
aussi débauché l’étoit Alexandrin. Assuré d’ailleurs,
par quelques symptomes arrivez à son Esprit & à son
Corps, que sa dissolution aprochoit, il manda son Fils
de le venir trouver dans sa Chambre, où il étoit couché
sur un Lit de repos. Après en avoir fait sortir tous ses
Domestiques, & recommandé à son Fils, qui s’assit
vis-à-vis de lui, de prendre bien garde que Personne ne
les entendit, il lui revéla le plus important de ses
admirables Secrets, avec toutes les cérémonies & le
Langage d’un Adepte. Peu de jours après que Basile eut donné ces
admirables Drogues à son Fils Alexandrin, il mourut. Le
Fils, pénétré d’une vive douleur d’avoir perdu un si
excellent Pere, négligea tout, & ne pensa plus au
Remede, jusqu’à ce que le terme prescrit pour son
aplication fut écoulé. En qualité néanmois d’Homme
d’Esprit & qui aimoit le plaisir, il se consola
bientôt ; il crut que son Père devoit être rassasié
d’une vie longue, uniforme & reguliere ; mais que
pour lui, miserable Pécheur, il avoit besoin d’une
nouvelle Vie, pour se repentir de la précédente, qu’il
avoit passée dans la débauche, résolu d’y continuer
jusques au bout, & de mener une vie sainte &
religieuse, lors qu’il viendroit à la recouvrer par le
moïen de ces merveilleux Specifiques. On a remarqué,
depuis long-tems, que Dieu punit d’ordinaire l’Amour
propre des Hommes qui veulent trop faire pour leur
Posterité, & qu’il leur donne des Enfans d’un
Caractere tout-opposé au leur ; en sorte qu’ils
transmettent uniquement leurs Noms à ceux qui donnent
tous les jours des preuves de la vanité du
travail & de l’ambition de leurs Ancêtres. C’est ce
qui arriva dans la Famille de Basile ; à l’occasion de
ses grandes richesses, Alexandrin fit une dépense
excessive en bonne Chere, en Meubles & en superbe
Equipage ; & il continua de même jusqu’à ce qu’il
sentît aprocher son dernier moment. Si Dieu punit Basile
en lui donnant un Fils si éloigné de son Caractère,
Alexandrin eut le malheur d’en avoir un de la même
trempe que la sienne. Il est d’ailleurs si naturel aux
Méchans d’être soupçonneux, qu’Alexandrin se défioit
beaucoup de son Fils René ; outre qu’il ignoroit pas ses
inclinations vicieuses. Persuadé qu’il étoit de la
prudence de ne confier à qui que ce soit au monde le
véritable secret de sa Phiole & de son Pot de
Fayence. Alexandrin s’imagina de réussir & de ne
pouvoir manquer son coup, fondé plûtôt sur l’avarice que
sur la bonté de son Bienfaicteur. Plein de cette idée,
il apella son Fils René á côté de son Lit, & lui
parla, de la maniere la plus touchante & la plus
pathetique, en ces termes : On observe que, dans
tout le Jargon des Chimistes, il y a une sorte de Pieté
fantastique & bourrue, qui est assez ordinaire à
ceux qui aiment beaucoup l’argent ; c’est-à dire qu’ils
sont eux-mêmes les Dupes de cette regularité de mœurs
qu’ils afectent pour des vûes mondaines ou interessées,
& qui a quelque raport avec la sainteté qu’ils
devroient avoir pour être heureux dans le Siècle à
venir. Quoi qu’il en soit, René surpris d’entendre
causer son Père en habile Adepte, & d’un air si
dévot, redoubla son attention. Ce fut alors
qu’Alexandrin continua de cette manière : Il reprit ensuite un air gai, &
ajouta que, si une heure après sa mort, il oignoit tout
son corps avec cet Onguent, & s’il lui versoit dans
le gosier cet Elixir, qu’il avoit eu de Basile, son
Cadavre seroit converti en Or pur. Je ne m’engagerai pas
à vous étaler ici toutes les marques d’une tendresse
mutuelle qu’ils se donnerent à cette occasion ; mais si
le Pere eut soin de lui recommander, avec toute la
vehemence & l’ardeur possible, qu’il executât ses
ordres, le Fils lui promit solemnellement qu’il ne
couperoit jamais un seul petit morceau de son Corps qu’à
la derniere extremité, & à moins que ce ne fût pour
établir ses Freres & ses Sœurs. Bientôt après
Alexandrin mourut, & son legitime Heritier, dans les
transports de sa joie, ne pût s’empêcher de mesurer la
longeur & la largueur de son cher Père, & d’en
supputer la juste valeur avant que de proceder à
l’operation. Dès qu’il eut fait le calcul des richesses
immenses qui lui en reviendroient, il se mit à
l’ouvrage ; mais, ô merveille étonnante ; à peine eut-il
oint tout le Corps, & commencé à verser la liqueur,
que le Corps donna des signes de vie, & que René
saisi de fraïeur laissa tomber sa Phiole. »
Diálogo
Mon
Fils, lui dit-il, votre Père a emploïé de longues
veilles, des soins & des travaux continuels, non
seulement pour laisser de grandes richesses à sa
Posterité, mais aussi pour n’en avoir aucune. Que
cela ne vous surprenne point, mon Fils : je ne veux
pas dire que vous me serez enlevé ; mais que je ne
vous abandonnerai jamais, & qu’ainsi l’on ne
sauroit m’attribuer une Posterité.
Voici, mon cher Alexandrin, l’effet de ce qui a été
produit dans l’espace de neuf Mois : Nous ne devons
pas nous opposer à la Nature, mais l’aider & la
suivre ; le Fétus est aussi longtems à se former
dans le sein de sa Mere, que j’en ai mis à préparer
ces Remedes qui servent à la Revivification. Voïez
cette petite Phiole où il y a un Elixir, & un
petit Pot de Fayence rempli d’un Onguent. Ils sont
l’un & l’autre d’une telle vertu, qu’ils peuvent
rétablir les ressorts de la Vie lors qu’ils ne
viennent que de se démonter, donner de nouvelles
forces, ranimer les esprits, & en un mot, rendre
tous les organes & les sens du Corps Humain
capables d’une aussi longue durée, que celle dont il
a jouï depuis sa naissance jusques au jour de
l’aplication de ces Remedes. Mais, mon cher Fils, il
faut avoir soin de les appliquer dix heures après
qu’on a vendu le dernier soupir, pendant qu’il reste
à l’Argile quelque chaleur de la Vie qui l’animoit,
& qu’elle est en état de se renouveller. Je
trouve ma pauvre Machine fort délabrée par mes
travaux continuels & mes longues méditations ;
aussi-tôt donc que je serai mort, ne manquez pas, je
vous en suplie, de m’oindre avec cet Onguent : &
lors que mes lévres commenceront à se remuer,
versez-moi dans la bouche cet inestimable Elixir,
sans lequel la vertu de l’Onguent seroit inutile.
Par ce moïen vous me donnerez la Vie que vous tenez
de moi, & dès ce jour-là nous
n’aurons point d’autorité l’un sur l’autre à
l’occasion de ce bon office mutuel ; mais nous
vivrons en Freres, & nous préparerons de
nouveaux Remedes pour servir au-bout d’un autre
Periode, qui demandera l’usage des mêmes Restaurans.
Diálogo
Quelque débauché que vous aïez été, mon Fils, &
que je l’aïe été moi-même avant vous, nous avons en
bonne part à la grande reputation & aux heureux
effets de la profonde connoissance que notre Aïeul,
le fameux Basile, s’étoit aquise, son symbole est
trèsconnu dans le Monde
Philosophique, & je n’oublierai jamais son air
vénérable, lors qu’il m’introduisit dans les
profonds mysteres de la Table smaragdine d’Hermès.
C’est, me dit-il, l’unique, la vraie, & il n’y a
pas la moindre fraude ; ce qui est superieur ; c’est
par-là que s’aquierent & se sont tout les
miracles d’un certain grand Oeuvre. Le Pere est le
Soleil, la Mere est la Lune, le Vent est dans le
sein, la Terre en est la Nourrice & la Mere de
toute Perfection. Tout ceci doit être reçu avec
modestie & prudence.
Diálogo
Mon Fils, lui dit-il, cet
Elixir & cet Onguent vous peuvent rendre l’Homme
le plus riche de toute l’Allemagne. Je m’en vai
finir mes jours ; mais je ne retournerai pas dans la
poussiere, de laquelle nous sommes tous sortis.