Le Spectateur ou le Socrate moderne: LIII. Discours
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Ebene 1
LIII. Discours
Zitat/Motto
Hæc scripsi non otii
abundantia, sed amoris erga te.
Cic. Epist. ad Fam. Lib. VII. Ep. I.
Cic. Epist. ad Fam. Lib. VII. Ep. I.
Ce n’est point le trop de loisir qui m’a engage à vous écrire, mais la seule amitié que j’ai pour vous.
Metatextualität
De la bonne & de la
mauvaise Raillerie.
Metatextualität
De la bonne & de la
mauvaise Raillerie.
Ebene 2
Je ne sache rien qui trouble tant la
Conversation, que la fausse idée que certaines Gens ont de la
Raillerie. Il n’y a nul doute que le but principal, qu’on doit
avoir dans la Société, ne soit de gagner la bienveillance de
ceux avec qui l’on converse. Le moïen d’y parvenir est de leur
montrer que vous êtes bien disposé à leur égard :
Que peut-il donc y avoir de plus absurde que de vous ériger en
Homme qui savez piquer & mordre vivement, ainsi que l’on
s’exprime d’ordinaire, vos meilleurs Amis ? Celui qui n’a pour
toute bonne qualité que du Courage n’est pas trop en état de
faire une agréable figure dans le Monde, parce qu’il ne sauroit
exercer le talent qui le met au-dessus des autres, sans
s’attirer un Ennemi. L’Homme d’un Esprit satirique est dans la
même situation. Lâcher quelque mots qui percent le cœur de celui
à qui vous parlez, ou qui le font rougir, est une espèce de
Meurtre ; & il me semble que c’est une Injure impardonnable
de témoigner à un Homme que vous ne vous souciez pas de lui
plaire ou de lui déplaire. Mais ne voulez-vous donc pas, me
direz-vous peut-être, souffrir qu’on vous raille ? Vous me
pardonnerez, j’y consens ; mais je veux, s’il vous plait, que ce
soit une Raillerie. Pour moi, qui ai le malheur de n’aimer pas à
m’entretenir avec plus d’une Personne à la fois, ce n’est pas un
badinage que de me réduire à la nécessité de m’expliquer en
presence d’une grande Compagnie, & de m’exposer à la honte
& à la risée, à moins que je ne m’aquite d’un devoir, dont
mon Humeur taciturne me rend incapable.
Pour
railler d’une maniere agréable, il faut que la Bienveillance
règne dans tout ce que vous dites, & que vous souteniez,
toûjours le Caractere d’Ami. Oxuste devroit être banni de la
Societé civile, parce qu’il fonde sa joie sur la douleur qu’il
cause à son Prochain. Il n’y a que l’Envie, qui n’est que trop
générale contre les Personnes d’un mérite distingué, qui le
puisse rendre suportable ; mais ceux qui le fréquentent peuvent
compter de lui voir toûjours immoler quelcun à son
humeur satirique, & il ne doit sa reputation d’Homme
d’Esprit qu’à l’indigne talent qu’il s’atribue de plaire à la
Malice des autres. Il est
monstrueux de voir avec quelle licence éfrenée on se choque les
uns les autres. On croiroit quelquefois qu’on se dispute à qui
se rendra le plus desagréable. Il y a des gens qui mettent en
œuvre, en présence même de Personnes d’un rang ou d’un mérite
distingué, des allusions malignes à des fautes passées, qu’un
Homme voudroit oublier, & dont tout le monde devroit avoir
perdu le souvenir. Ils ne poussent pas leurs botes avec
l’adresse d’un Maître d’armes, mais ils coupent & taillent
avec la grossiereté d’un Boucher. Il me semble qu’il est indigne
d’un Homme civil & poli de se divertir aux dépens de qui que
ce soit. Ceux qui ont le véritable goût de la Conversation
aiment à se communiquer leurs bonnes qualitez, & non pas à
tirer avantage de leurs défauts, ou à les tourner en ridicule.
Apres avoir
donné ces différens caractères d’Hommes qui réussient ou qui
échouent dans la Raillerie, il ne sera pas inutile de dire un
mot sur la plus agréable de toutes, qui consiste, selon moi, à
critiquer directement le Vice, à le traiter avec mépris, & à
épargner le Vicieux, ou le Criminel. La Doris de 3Mr. Congreve est un
chef-d’œuvre en ce genre. C’est le Portrait d’une Femme
débauchée, mais dont l’impudence nous est dépeinte, par une
raillerie des plus fines, comme une simple Générosité. En voici
la traduction : T.
Fremdportrait
1Calliste a beaucoup d’Esprit & un Jugement
solide, qui en est la principale marque. Il
raille mieux qu’aucun Homme que je connoisse, parce qu’il
vous tourne en ridicule par un endroit que vous n’êtes pas
fâché de lui accorder, & qu’il vous blâme d’un excès
dans une qualité qui est digne de louange en elle-même. Il
connoit la sagesse de votre but, & il ne doit pas
craindre de vous chagriner lors qu’il vous dit que vous le
poussez un peu trop loin. Les Personnes liberales peuvent
souffrir qu’on les taxe d’être prodigues, & les
Courageux d’être des temeraires, sans en marquer aucun
ressentiment à celui qui les releve. Ce qui caracterise un
habile Ecrivain fait l’éloge d’un agréable Railleur. Le
premier donne occasion à ses Lecteurs de s’estimer
davantage, & l’autre divertit ses Amis, plutôt qu’il ne
se divertit lui-même, pendant qu’il est avec eux. Calliste
joue ce Rôle d’une maniere inimitable.
Il faut avoüer d’ailleurs que Calliste engage
quelquefois un Sot à étaler son prétendu mérite & à
paroitre si content de sa chere Personne, qu’il en devient
très-ridicule ; mais, en ce cas, le dernier seul est
coupable ; puis qu’il s’expose à la risée des autres de son
bon gré. Afin donc que la Raillerie soit
plaisante, il faut que celui qui en est l’Objet ne s’en
aperçoive presque pas, ou qu’il n’en ait pas moins bonne
opinion de lui-même.
Ebene 3
Allgemeine Erzählung
Il soufla l’autre jour à
l’oreille d’un Ami, en sorte qu’il pût être entendu
par un jeune Officier, qui donnoit des symptomes de
vouloir insulter la Compagnie, que ce Gentilhomme
avoit la mine d’un Général. Là-dessus le jeune Homme
prit un air sérieux, & des manieres conformes à
l’idée qu’il croïoit avoir donnée de lui.
Fremdportrait
2Oxuste, d’un Caractere tout opposé, est
géneralement plus admiré que Calliste, quoi qu’à tort. Il ne
sauroit avoir aucun égard ni à la modestie ni à la foiblesse
de la Personne qu’il raille ; mais s’il a quelque
supériorité sur celui qu’il attaque, il le pousse à bout
sans misericorde. Il se plait à déconcerter son meilleur
Ami, pendant qu’il éclate lui-même de rire & qu’il
s’aplaudit : Sa Raillerie met toûjours la division dans la
Société où il se trouve, au lieu que celle de Calliste en
réünit tous les Membres, & qu’elle fait non seulement
que chacun d’eux est plus content de sa Personne, mais aussi
de toutes les autres qui forment l’Assemblée.
Fremdportrait
Felix a
l’Esprit fait d’une certaine trempe, qu’il lui concilie
l’amitié de tout le monde, lors même qu’il l’emploie contre
ses propres défauts. Il a le secret de prévenir la honte de
la Personne qu’il raille, & d’insinuer qu’il est
lui-même sujet au Foible qu’il lui reproche. Il se conduit à
cet égard avec tant d’adresse, qu’on diroit qu’il s’attaque
plutôt lui-même, qu’il n’en veut à son Ami.
Fremdportrait
Magne passeroit pour avoir
de l’Esprit, quand il n’y auroit pas un Sot
dans le Monde : Il n’a pas besoin d’ornemens pour relever
son mérite, & le plaisir qu’il goûte à observer les
perfections des autres engage tous ses Amis à excuser ses
fautes par un principe de gratitude.
Zitat/Motto
Elle est d’une
humeur singuliere,
Tantôt civile & tantôt fiere,
Mais je ne sai si c’est un Art,
Ou si le Cœur seul y a part.
Tel, qu’elle a bien reçu la nuit,
Se voit le lendemain reduit
A lui paroitre un Etranger,
Qu’elle n’a vû, ni pû loger.
Elle est si subtile à bien feindre,
A se déguiser & contraindre,
Qu’un Amant n’en croit pas ses yeux,
Et prend tout pour un Songe creux.
Les Ames nées sans bonté
La taxent de bassesse ou de lascivité :
Mais il n’apartient qu’aux grand Cœurs
D’oublier toutes leurs faveurs.
Tantôt civile & tantôt fiere,
Mais je ne sai si c’est un Art,
Ou si le Cœur seul y a part.
Tel, qu’elle a bien reçu la nuit,
Se voit le lendemain reduit
A lui paroitre un Etranger,
Qu’elle n’a vû, ni pû loger.
Elle est si subtile à bien feindre,
A se déguiser & contraindre,
Qu’un Amant n’en croit pas ses yeux,
Et prend tout pour un Songe creux.
Les Ames nées sans bonté
La taxent de bassesse ou de lascivité :
Mais il n’apartient qu’aux grand Cœurs
D’oublier toutes leurs faveurs.