Sugestão de citação: Anonym (Ed.): "LII. Discours", em: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.4\052 (1720), S. 312-317, etidado em: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Os "Spectators" no contexto internacional. Edição Digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1350 [consultado em: ].


Nível 1►

LII. Discours

Citação/Divisa► Flumina gaudebat, studio minuente laborem.
Ovid. Metam L. IV. 294.

Il se plaisoit à parcourir mille endroits & à voir des Fleuves qui lui étoient inconnus, & il avoit une si grande passion pour cela, qu’elle servoit à diminuer sa fatigue. ◀Citação/Divisa

Metatextualidade► Des Allusions les plus agréables à l’Imagination, qui n’est pas moins sensible à la douleur qu’au plaisir. ◀Metatextualidade

Nível 2► Les Auteurs, dont les Ecrits roulent en particulier sur les Objets materiels, ne sont pas les seuls qui plaisent à l’imagination, les habiles Ecrivains de Morale, de critique, & d’autres speculations détachées de la matiere, qui, sans traiter directement des parties visibles de la Nature, en tirent souvent leurs Comparaisons, leurs Métaphores & leurs Allégories, lui procurent de même beaucoup de plaisir. A la faveur de ses Allusions, une Vérité, qui est dans l’Entendement, est reflechie, pour ainsi dire, par l’imagination, elles nous disposent à voir dans une idée quelque sorte de couleur & de figure, & à décourvrir un tissu de pensées tracé sur la Matiere. C’est ici que deux Facultez de l’Esprit s’exercent avec un plaisir incroïable, lors que l’imagination copie d’après l’Entendement, & qu’el-[313]le transporte des idées du Monde intellectuel dans le materiel.

L’habileté d’un Ecrivain paroit dans le choix de ses Allusions, qui doivent être agréables & tirées presque toûjours des grands ou des beaux Ouvrages de l’Art ou de la Nature ; car, quoi que tout ce qui est nouveau ou extraordinaire plaise à l’imagination, puis que le but principal d’une Allusion est d’illustrer & d’éclaircir les Passages d’un Auteur, elle devroit toûjours être empruntée de ce qui est plus connu que les Passages mêmes qu’elle sert à expliquer.

Les Allégories bien choisies sont autant de traits de lumiere dans un Discours, qui donnent de l’éclat & de la beauté à tout ce qui les environne. Une belle Métaphore placée à propos darde aussi une sorte de raïons dans tout son voisinage, & répand quelque lustre sur un Paragraphe entier : Ces différentes sortes d’Allusions ne sont qu’une espéce de Similitude ; mais, afin qu’elles plaisent à l’imagination, il faut que la ressemblance soit fort exacte, ou fort agréable, comme nous aimons à voir un Portrait où la ressemblance est juste, où l’air & les attitudes ont quelque chose de gracieux. Il y a de célébres Ecrivains qui manquent beaucoup à cet égard & des Savans du premier ordre qui tirent leurs Comparaisons & leurs Allusions des Sciences qui leur sont les plus familieres ; en sorte qu’on peut voir toute l’étendue de [314] leur Erudition dans un Traité sur le moindre Sujet. J’ai lû moi-même un Discours sur l’Amour, qu’il étoit impossible d’entendre à moins qu’on ne fût très-habile Chimiste, & j’ai entendu bien des Sermons qui ne devoient jamais être prononcés que devant une Assemblée de Cartesiens. Tout au contraire, les Gens occupez des affaires du Monde ont recours à des Exemples trop bas & trop familiers. Ils engagent un Lecteur à voir jouer aux Echecs ou à la Paume ; ils le conduisent de Boutique en Boutique, & l’entretiennent d’un stile particulier à chaque Métier ou chaque Profession. Il est certain qu’on peut trouver une infinité d’Allusions fort agréables dans l’une & l’autre de ces deux Sources ; mais on puise d’ordinaire les plus divertissantes dans les Ouvrages de la Nature, qui sont à la portée de tous les Esprits, & plus agréables que tout ce qu’on voit dans les Arts & les Sciences.

Le talent d’afecter ainsi l’imagination est ce qui donne du relief au bon Sens même, & qui rend les Ouvrages d’un Homme plus agréables que ceux d’un autre. Il sert de lustre à tous les Ecrits en général ; mais il est l’ame & le tout de la Poësie. Il a soutenu, durant bien des Siecles, divers Poëmes, où il brille au plus haut degré, & qui n’ont que cela seul qui les recommande au Goût du Public ; mais toute Piece, où il manque, paroit séche & insipide, quoi qu’on y voie d’ailleurs toutes les autres [315] beautez. Il a, pour ainsi dire, l’Art de créer ; il donne une espece d’existence, & il met devant les yeux du Lecteur divers Objets qu’on ne trouve pas dans le Monde. Il ajoute à la Nature, & imprime une plus grande variété à tous ses Ouvrages. En un mot, il peut embellir & orner les plus illustres Scénes de l’Univers, ou remplir l’Esprit de plus beaux spectacles, qu’on n’en voit aucune part.

Nous avons découvert à present les différentes sources, d’où viennent les Plaisirs de l’imagination ; & peut-être qu’il ne seroit pas bien difficile de ranger, sous certains Chefs généraux, les Objets contraires, qui lui causent du Dégoût & de la Terreur ; puis qu’elle n’y est pas moins sensible qu’au plaisir. Lors que le Cerveau est blessé par quelque accident, ou que l’Esprit est fatigué par des Réves ou la Maladie, l’imagination est pleine de tristes idées, & d’un million de Monstres affreux qu’elle se forme & qui l’épouvantent. C’est ainsi que Virgile nous dit, Citação/Divisa► que Penthée hors du sens croïoit voir des armées de Furies à ses trousses, le Soleil double &, deux Villes de Thebes ; qu’Oreste, fils d’Agamemnon, célébre dans les Tragédies, prit la fuite dès qu’il eut tué sa Mere ; qu’il crut la voir courir après lui armée de Flambeaux & de Serpens, & que les Furies vengeresses le poursuivoient par tout, jusques dans les Temples. ◀Citação/Divisa

[316] Citação/Divisa► 1 Euminidum veluti demens videt agmina Pentheus,

Et Solém geminum, & duplices se ostendere Thebas :

Aut Agamemnonius Seems agitatus Orestes,

Armatam facibus matrem, & serpentibus atris,

Cùm fugit, ultricésque sedent in limine Dirsæ. ◀Citação/Divisa

Il n’y a point d’Objet plus mortifiant dans la Nature que celui d’un Homme, dont l’imagination est troublée, & qui a l’Esprit en desordre. Babylone, avec toutes ses ruines, ne forme pas un si triste Spectacle. Mais, pour en détourner la vûe, je remarquerai ici, par voie de Conclusion, que cette Faculté donne un avantage infini sur nos Ames à un Etre tout-puissant, & qu’elle nous rend capables de recevoir un haut degré de Bonheur, ou de Misere. Nous avons déjà vû l’influence qu’un Homme a sur l’imagination d’un autre, & avec quelle facilité il y peut introduire diverses idées ; quel ne sera donc pas le pouvoir de celui qui connoit toutes les manieres d’afecter l’imagination, qui peut la remplir des idées qu’il veut, & accompagner ces idées de tel degré de terreur ou de plaisir qu’il juge à propos ? II peut exciter des Images dans l’Esprit sans le secours des Paroles, & nous mettre différentes Scénes [317] devant les yeux sans l’entremise d’aucun objet exterieur. Il peut charmer l’imagination par des idées si belles & si ravissantes, qu’il nous est impossible aujourd’hui de les concevoir, ou l’obseder par des Spectres si hideux, qu’ils nous feroient souhaiter l’anéantissement, & regarder l’existence comme une malediction. En un mot, avec cette seule Faculté, il peut ravir ou afliger l’Ame jusques à un tel point, que cela seroit capable de constituer le Paradis ou l’Enfer de tout Etre fini.

O. ◀Nível 2 ◀Nível 1

1Æneid. L. IV. 469