Le Spectateur ou le Socrate moderne: LII. Discours
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LII. Discours
Zitat/Motto
Flumina gaudebat,
studio minuente laborem.
Ovid. Metam L. IV. 294.
Ovid. Metam L. IV. 294.
Il se plaisoit à parcourir mille endroits & à voir des Fleuves qui lui étoient inconnus, & il avoit une si grande passion pour cela, qu’elle servoit à diminuer sa fatigue.
Metatextualität
Des Allusions les plus
agréables à l’Imagination, qui n’est pas moins sensible à la
douleur qu’au plaisir.
Metatextualität
Des Allusions les plus
agréables à l’Imagination, qui n’est pas moins sensible à la
douleur qu’au plaisir.
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Les Auteurs, dont les Ecrits roulent
en particulier sur les Objets materiels, ne sont pas les seuls
qui plaisent à l’imagination, les habiles Ecrivains de Morale,
de critique, & d’autres speculations détachées de la
matiere, qui, sans traiter directement des parties visibles de
la Nature, en tirent souvent leurs Comparaisons, leurs
Métaphores & leurs Allégories, lui procurent de même
beaucoup de plaisir. A la faveur de ses Allusions, une Vérité,
qui est dans l’Entendement, est reflechie, pour ainsi dire, par
l’imagination, elles nous disposent à voir dans une idée quelque
sorte de couleur & de figure, & à décourvrir un tissu de
pensées tracé sur la Matiere. C’est ici que deux Facultez de
l’Esprit s’exercent avec un plaisir incroïable, lors que
l’imagination copie d’après l’Entendement, & qu’elle transporte des idées du Monde intellectuel dans
le materiel. L’habileté d’un Ecrivain paroit dans le choix de
ses Allusions, qui doivent être agréables & tirées presque
toûjours des grands ou des beaux Ouvrages de l’Art ou de la
Nature ; car, quoi que tout ce qui est nouveau ou extraordinaire
plaise à l’imagination, puis que le but principal d’une Allusion
est d’illustrer & d’éclaircir les Passages d’un Auteur, elle
devroit toûjours être empruntée de ce qui est plus connu que les
Passages mêmes qu’elle sert à expliquer. Les Allégories bien
choisies sont autant de traits de lumiere dans un Discours, qui
donnent de l’éclat & de la beauté à tout ce qui les
environne. Une belle Métaphore placée à propos darde aussi une
sorte de raïons dans tout son voisinage, & répand quelque
lustre sur un Paragraphe entier : Ces différentes sortes
d’Allusions ne sont qu’une espéce de Similitude ; mais, afin
qu’elles plaisent à l’imagination, il faut que la ressemblance
soit fort exacte, ou fort agréable, comme nous aimons à voir un
Portrait où la ressemblance est juste, où l’air & les
attitudes ont quelque chose de gracieux. Il y a de célébres
Ecrivains qui manquent beaucoup à cet égard & des Savans du
premier ordre qui tirent leurs Comparaisons & leurs
Allusions des Sciences qui leur sont les plus familieres ; en
sorte qu’on peut voir toute l’étendue de leur
Erudition dans un Traité sur le moindre Sujet. J’ai lû moi-même
un Discours sur l’Amour, qu’il étoit impossible d’entendre à
moins qu’on ne fût très-habile Chimiste, & j’ai entendu bien
des Sermons qui ne devoient jamais être prononcés que devant une
Assemblée de Cartesiens. Tout au contraire, les Gens occupez des
affaires du Monde ont recours à des Exemples trop bas & trop
familiers. Ils engagent un Lecteur à voir jouer aux Echecs ou à
la Paume ; ils le conduisent de Boutique en Boutique, &
l’entretiennent d’un stile particulier à chaque Métier ou chaque
Profession. Il est certain qu’on peut trouver une infinité
d’Allusions fort agréables dans l’une & l’autre de ces deux
Sources ; mais on puise d’ordinaire les plus divertissantes dans
les Ouvrages de la Nature, qui sont à la portée de tous les
Esprits, & plus agréables que tout ce qu’on voit dans les
Arts & les Sciences. Le talent d’afecter ainsi l’imagination
est ce qui donne du relief au bon Sens même, & qui rend les
Ouvrages d’un Homme plus agréables que ceux d’un autre. Il sert
de lustre à tous les Ecrits en général ; mais il est l’ame &
le tout de la Poësie. Il a soutenu, durant bien des Siecles,
divers Poëmes, où il brille au plus haut degré, & qui n’ont
que cela seul qui les recommande au Goût du Public ; mais toute
Piece, où il manque, paroit séche & insipide, quoi qu’on y
voie d’ailleurs toutes les autres beautez. Il a,
pour ainsi dire, l’Art de créer ; il donne une espece
d’existence, & il met devant les yeux du Lecteur divers
Objets qu’on ne trouve pas dans le Monde. Il ajoute à la Nature,
& imprime une plus grande variété à tous ses Ouvrages. En un
mot, il peut embellir & orner les plus illustres Scénes de
l’Univers, ou remplir l’Esprit de plus beaux spectacles, qu’on
n’en voit aucune part. Nous avons découvert à present les
différentes sources, d’où viennent les Plaisirs de
l’imagination ; & peut-être qu’il ne seroit pas bien
difficile de ranger, sous certains Chefs généraux, les Objets
contraires, qui lui causent du Dégoût & de la Terreur ; puis
qu’elle n’y est pas moins sensible qu’au plaisir. Lors que le
Cerveau est blessé par quelque accident, ou que l’Esprit est
fatigué par des Réves ou la Maladie, l’imagination est pleine de
tristes idées, & d’un million de Monstres affreux qu’elle se
forme & qui l’épouvantent. C’est ainsi que Virgile nous dit,
Il n’y a point
d’Objet plus mortifiant dans la Nature que celui d’un Homme,
dont l’imagination est troublée, & qui a l’Esprit en
desordre. Babylone, avec toutes ses ruines, ne forme pas un si
triste Spectacle. Mais, pour en détourner la vûe, je remarquerai
ici, par voie de Conclusion, que cette Faculté donne un avantage
infini sur nos Ames à un Etre tout-puissant, & qu’elle nous
rend capables de recevoir un haut degré de Bonheur, ou de
Misere. Nous avons déjà vû l’influence qu’un Homme a sur
l’imagination d’un autre, & avec quelle facilité il y peut
introduire diverses idées ; quel ne sera donc pas le pouvoir de
celui qui connoit toutes les manieres d’afecter l’imagination,
qui peut la remplir des idées qu’il veut, & accompagner ces
idées de tel degré de terreur ou de plaisir qu’il juge à
propos ? II peut exciter des Images dans l’Esprit sans le
secours des Paroles, & nous mettre différentes Scénes devant les yeux sans l’entremise d’aucun objet
exterieur. Il peut charmer l’imagination par des idées si belles
& si ravissantes, qu’il nous est impossible aujourd’hui de
les concevoir, ou l’obseder par des Spectres si hideux, qu’ils
nous feroient souhaiter l’anéantissement, & regarder
l’existence comme une malediction. En un mot, avec cette seule
Faculté, il peut ravir ou afliger l’Ame jusques à un tel point,
que cela seroit capable de constituer le Paradis ou l’Enfer de
tout Etre fini. O.
Zitat/Motto
que Penthée hors du sens
croïoit voir des armées de Furies à ses trousses, le Soleil
double &, deux Villes de Thebes ; qu’Oreste, fils
d’Agamemnon, célébre dans les Tragédies, prit la fuite dès
qu’il eut tué sa Mere ; qu’il crut la voir courir après lui
armée de Flambeaux & de Serpens, & que les Furies
vengeresses le poursuivoient par tout, jusques dans les
Temples.
Zitat/Motto
1Euminidum veluti demens
videt agmina Pentheus, Et Solém geminum, & duplices se
ostendere Thebas : Aut Agamemnonius Seems agitatus Orestes,
Armatam facibus matrem, & serpentibus atris, Cùm fugit,
ultricésque sedent in limine Dirsæ.
1Æneid. L. IV. 469