Le Spectateur ou le Socrate moderne: XLIX. Discours
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Nivel 1
XLIX. Discours
Cita/Lema
ferat & rubus asper
amomum.
Virg. Eclog. III. 89
Virg. Eclog. III. 89
Puissiez-vous cueillir l’Amome odoriferant des Ronces couvertes d’épines.
Metatextualidad
Sur les Descriptions
qui plaisent à l’Imagination.
Metatextualidad
Sur les Descriptions
qui plaisent à l’Imagination.
Nivel 2
Les plaisirs dérivez de l’imagination
sont plus étendus & plus universels que les primitifs ; car
non seulement ce qui est grand, extraordinaire ou beau, mais
tout ce qui est desagréable à voir, nous plait lorsqu’il est
décrit d’une maniere exacte. Le principe de ce plaisir n’est
autre chose que l’action de l’Esprit, qui compare les Idées que
les Mots y font naître, avec celles qui lui
viennent dans la presence même des Objets ; & nous avons
déjà vû pour quelle raison cet acte de l’Esprit est accompagné
de tant de plaisir. De là vient que la Description d’un Fumier,
conçue en des termes propres & significatifs, plait à
l’Imagination, ou plûtôt à l’Entendement ; puis que ce n’est pas
la chose même décrite qui nous plait, mais l’exactitude & la
proprieté des Mots qui servent à la dépeindre. Mais si la
Description de ce qui est petit, commun ou diforme, est agréable
à l’Imagination, la Description de ce qui est grand,
extraordinaire ou beau, l’est infiniment davantage : parce
qu’alors ce n’est pas la seule comparaison de la Peinture avec
l’Original qui nous plaît ; mais nous sommes aussi ravis de
l’Original même. Je croi que la plûpart de mes Lecteurs sont
plus charmez de la Description que Milton fait du Paradis, que
de celle qu’il donne de l’Enfer ; peut-être qu’elles sont toutes
deux également parfaites dans leur genre ; mais dans l’une le
Feu & le Souphre ne plaisent pas tant à l’Imagination, que
les Parterres de Fleurs & les Bocages odoriferans dans
l’autre. Il y a une circonstance qui releve une Description plus
que tout le reste, je veux dire lors qu’elle nous represente des
Objets capables d’exciter une secrete émotion dans l’Esprit du
Lecteur, & de mettre en jeu ses Passions. Alors nous sommes
animez & instruits tout-à-la-fois ; de sorte
que le plaisir devient plus universel, & que nous pouvons y
être sensibles à divers égards. C’est ainsi que, dans la
Peinture, on se plait à regarder un visage qui ressemble bien à
l’Original ; mais le plaisir augmente, si le Visage representé
est beau ; & il redouble encore, si la beauté en est
accompagnée d’un air triste & mélancholique. Les deux
Passions dominantes, que les Ouvrages les plus serieux de la
Poësie tâchent d’exciter en nous, sont la Terreur & la
Pitié. Ce qu’il y a de singulier en ceci est que les mêmes
Passions, qui nous sont très-desagréables en tout autre tems,
viennent à nous plaire lors que de belles & vives
Descriptions les élevent dans nos cœurs. Il n’est pas surprenant
que nous trouvions du plaisir à de certains endroits capables
d’exciter en nous l’Esperance, la Joie, l’Admiration, ou de
telles autres Emotions, parce qu’elles sont toûjours
accompagnées d’un plaisir secret. Mais d’où vient que nous nous
plaisons à être épouvantez ou afligez par une Description, lors
que nous sentons une si grand inquiétude dans la Crainte &
la Douleur qui nous viennent d’une tout autre cause ? Si nous
considerons bien la nature de ce Plaisir, nous trouverons qu’il
ne vient pas tant de la Description de ce qui est terrible, que
de la reflexion que nous faisons sur nous-mêmes en la lisant.
Lors que nous envisageons des Objets si hideux, nous sommes ravis de nous voir à l’abri de tout le danger qu’il y
auroit à craindre de leur part. Si d’un côté ils nous paroissent
terribles, nous savons de l’autre qu’ils sont hors d’état de
nous nuire : de sorte que plus leur aspect est éfraïant, plus
nous goûtons de plaisir à n’avoir rien à craindre de leurs
insultes. En un mot, nous regardons les terreurs qu’une
Description nous imprime, avec la même curiosité & le même
plaisir que nous trouvons à contempler un Monstre mort. C’est
ainsi que Virgile décrit la vûe de Cacus, qu’Hercule venoit de
tuer. C’est pour
cela même que nous nous plaisons à reflechir sur les dangers
passez, ou à regarder sur les dangers passez, ou à regarder un
Précipice de loin, qui nous rempliroit d’une toute autre espece
d’horreur, si nous le voïons pendre sur nos têtes. Ainsi lors que nous lisons quelque Histoire où il s’agit de
Tourmes, de Blessures, de Morts, & de pareils Desastres, le
plaisir que nous y trouvons ne vient pas tant de la douleur
qu’un si triste recit nous cause, que d’une secrete comparaison
que nous faisons entre nous-mêmes & la Personne qui souffre.
De telles Representations nous enseignent à nous former une
juste idée de nôtre état, & à nous estimer bien-heureux
d’être exemts de si grandes calamitez. Avec tout cela, c’est une
sorte de plaisir que nous sommes incapables de recevoir, lors
que nous voïons une Personne actuellement sous la Torture ;
parce que l’Objet frape alors nos Sens de trop près, & qu’il
nous cause une telle émotion, qu’il ne nous donne pas le loisir
de reflechir sur nous-mêmes. Nôtre Esprit est si occupé des
souffrances du Patient, qu’il ne sauroit penser à notre propre
Bonheur. Tout-au-contraire nous envisageons les Malheurs, dont
nous lisons le recit dans les Historiens ou les Poëtes, comme
déjà passez, ou comme feints ; de sorte que la reflexion sur
nous-mêmes s’éleve insensiblement, & surmonte la douleur que
nous concevrons pour les souffrances des Affligez. Mais parce
que l’Esprit de l’Homme demande quelque chose de plus parfait
dans la Matiere, qu’il n’y trouve, & qu’il ne peut jamais
trouver dans la Nature aucun Objet qui réponde bien aux plus
hautes idées qu’il y a de l’Agrément ; ou, pour me
servir d’autres termes, parce que l’Imagination peut se
representer à elle-même des choses plus grandes, plus
extraordinaires & plus belles qu’aucunes que l’œuil ait
jamais vûes, & qu’elle aperçoit toûjours quelque défaut dans
tout ce qu’il a vû ; c’est à cause de cela même qu’un Poëte doit
donner l’effort à son imagination dans les idées qu’elle se
forme ; je veux dire qu’il doit corriger & perfectionner la
Nature lors qu’il décrit une Réalité, & qu’il doit accumuler
de plus grandes beautez qu’il ne s’en trouve ensemble dans la
Nature, lors qu’il décrit une Fiction. Il n’est pas obligé de
suivre la Nature dans les progressions lentes qui la font passer
d’une Saison à l’autre, ni d’observer sa conduite dans la
production successive des Plantes & des Fleurs. Il peut
renfermer dans sa Description toutes les beautez du Printems
& de l’Automne, & engager l’Année entiere à contribuer
quelque chose pour la rendre plus agréable : Ses Rosiers, ses
Chevre-feuilles, & ses Jasmins peuvent fleurir tous
ensemble, & ses Couches peuvent être ornées en même tems de
Lis, de violettes & d’Amaranthes. Son terroir n’est pas
borné à un certain ordre particulier de Plantes ; mais il est
propre à nourrir ou des Chênes ou des Martyrs, & il favorise
le produit de tous les Climats. Les Oranges y peuvent croître
dans les Bois ; on y peut trouver de la Myrthe sur toutes les
Haies, & s’il lui plait d’y avoir un Bocage
d’Aromates, il lui est permis d’engager le Soleil à l’y exciter
par sa chaleur. Si tout cela n’est pas capable de fournir une
agréable Scene, il peut élever plusieurs nouvelles Especes de
Fleurs, enrichies d’odeurs plus exquises & de couleurs plus
vives, qu’aucune de celles qui croissent dans les Jardins de la
Nature. Les Concerts de ses Oiseaux peuvent être aussi pleins
& harmonieux, & les Forêts peuvent être aussi épaisses
& aussi sombres qu’il lui plait. Il ne lui en coûte pas
davantage pour une Perspective d’une longue étendue, que pour
une fort bornée, & il peut aussi aisément faire tomber ses
Cascades d’un Précipice d’un demi-Mille, que de la hauteur de
vingt Aunes. Il a les Vents à ses ordres, & il peut tourner
le cours des Rivieres dans tous les Méandres qui peuvent être
les plus agréables à l’Imagination des Lecteurs. En un mot, il a
toute l’économie de la Nature entre ses mains, & il peut lui
donner les charmes qu’il lui plait, pourvû qu’il ne la réforme
pas trop, & que pour vouloir exceller, il ne s’engage pas
dans des absurditez. O.
Cita/Lema
Son énorme Cadavre, dit-il,
est traîné par les pioz. Les Spectateurs ne peuvent se
lasser de regarder les yeux qui étoient si terribles, son
visage affreux, son corps vélu comme celui d’une Bête, &
sa guele éteinte, qui ne vomit plus ni flammes ni fumée.
1Pedibúsque
informe endaver Protrahitur. Nequeunt expleri corda tuende
Terribiles oculos, vultum, villosáque setis Pectora
semiferi, arque exstinctos faucibus ignes.
1Æneid. Lib. VIII. 264.