Virg. Georg. L. II. 155.
Ajoutez à cela tant de Villes magnifiques,
& d’autres Ouvrages faits par l’industrie des Hommes.
Discours précédens l’ont placée, sans
toucher aux Régles & aux Maximes que les habiles Maitres en
donnent, & qu’ils ont expliquées au long dans une infinité de
Traitez publics.
La grandeur, dans les Ouvrages d’Architecture,
peut se raporter à la masse & au corps de l’Edifice, ou à la Maniere dont il est bâti. A l’égard de la
premiere, les Anciens, sur tout ceux des Païs Orientaux,
l’emportoient de beaucoup sur les Modernes.
Babel dont les fondemens, si nous en croïons un Auteur
fort ancien, ressembloient à une vaste Montagne ; que pouvoit-on
voir de plus superbe que les Murailles de Babylone, que ses Jardins élevez sur des Voutes, & que
son Temple dédié à Jupiter
Belus, qui s’élevoit à la hauteur d’un
Mille, où il y avoit huit différens Etages, chacun haut d’un Mesure des Anciens, qui contenoit
125. Pas géometriques.Stade, & au sommet
l’Observatoire Babylonien ? Que-dirons-nous de cet immense Rocher,
qu’on avoit taillé en sorte qu’il representoit la Reine
On voit encore en Egypte leurs Pyramides, qui
répondent aux descriptions que les Anciens en ont faites ; & je
ne doute pas
La Muraille de la Chine est un de ces superbes
Edifices des Orientaux, qui figure dans la Mappe-Monde, & dont
la description paroitroit fabuleuse, si la Muraille même ne
subsistoit aujourd’hui.
Nous sommes obligez à la Dévotion des Bâtimens les plus magnifiques qui ont orné les différens Païs de la Terre. C’est elle qui a porté les Hommes à élever des Temples & des Lieux destinez à servir au Culte public, non seulement afin que la noblesse de la structure engageât la Divinité à y resider, mais aussi afin que ces superbes Ouvrages de l’Art excitassent de vastes idées dans l’Esprit de ces Adorateurs, & qu’ils les rendissent propres à converser avec la Divinité du Lieu. En effet tout ce qui est majestueux imprime du respect & de la crainte, & sympatise avec la grandeur naturelle de l’Ame.
Pour venir à la grandeur de la maniere dans
les Ouvrages d’Architecture, elle a tant de force sur l’imagination,
qu’un petit Bâtiment, où elle paroit, donnera de plus nobles idées à
l’Esprit qu’un autre vingt-fois plus étendu à l’égard de sa masse,
où cette maniere est commune ou négligée. Alexandre faite Lysippe, quoi qu’elle ne fût pas plus
grande que le naturel, qu’on ne l’auroit été à la vûe de Mont Athos, si, comme Phidias le proposoit, on l’eût taillé pour representer ce
Conquerant, avec une Riviere sur l’une de ses mains, & une Ville
sur l’autre.
Rome & y ont vû le Panthéon n’ont qu’à reflechir sur l’état où leur Esprit
s’est trouvé la premiere fois qu’ils y sont entrez, & ils se
souviendront qu’il a été frapé de quelque chose de grand & de
majestueux ; au lieu que la vûe d’une Eglise Gothique ne les touche presque pas en comparaison, quoi
qu’elle soit cinq ou six fois plus grande que l’autre ; ce qui ne
peut venir que de la grandeur da la maniere observée dans l’une,
& de la médiocrité ou de la petitesse de cette maniere qu’il y a
dans l’autre.
Mr. Errard, dans son Parallèle de l’Architecture Antique avec la Moderne, a
remarqué là-dessus une chose qui m’a fait beaucoup de plaisir, &
que je vai raporter dans les propres termes de l’Art, dont il s’est
servi lui-même. Je vais remarquer sur ce propos, dit-il, une chose à mon avis assez curieuse, touchant le
principe de la difference des manieres ; & d’où vient qu’en
une pareille quantité de superficie, l’une semble grande &
magnifique ; & l’autre paroit petit & mesquine : la
raison en est fort belle
& n’est pas commune. Je dis donc que, pour introduire dans
l’Architecture cette grandeur de maniere dont nous parlons, il
faut faire que la division des principaux membres des Ordres ait
peu de parties, & qu’elles soient toutes grandes & de
grand relief, afin que l’œil n’y voyant rien de petit,
l’imagination en soit fortement touché. Dans une Corniche, par
exemple, si la doucine du couronnement, le larmier, les
modillons ou les denticules viennent à faire une belle montre
avec de grandes saillies, & qu’on n’y remarque point cette
confusion ordinaire de petits cavets, de quarts, de ronds,
d’astragales, & je ne sai quelques autres particules
entre-mélées, qui n’ont aucun bon effet dans les grand Ouvrages,
& qui occupent du lieu inutilement & aux dépens des
principaux membres ; il est très-certain que la maniere en
paroitra fiere & grande : & tout au contraire elle
deviendra petite & chetive par la quantité de ces menus
ornemens ; qui partagent l’angle de la vûë en tant de rayons
& si pressez, que tout lui semble confus.
Entre toutes les figures qui paroissent dans les Ouvrages
d’Architecture, il n’y en a point qui aient un plus grand air que la
concave & la convexe ; & nous voïons dans toute
l’Architecture ancienne & moderne, aussi bien dans les Quartiers
reculez de la Chine, que dans les Païs plus
voisins du nôtre, que les Colomnes rondes & les Voutes font une
grande partie de ces Bâtimens qui servent à la pompe & à la
magni-Sirach l’a décrit d’une
maniere fort Poëtique : Contemplez, dit-il,
l’Arc-en-Ciel, & louez ce-lui qui l’a fait : il est d’une grande
beauté par son éclat : Il environne le Ciel d’un Cercle
glorieux ; les mains du très-Haut l’ont tendu.
Après avoir parlé de cette grandeur qui frape l’Esprit dans l’Architecture, je pourrois montrer le plaisir qui revient à l’Imagination de ce qui paroit extraordinaire & beau dans cet Art ; mais puis que chacun a naturellement plus de goût pour ces deux qualitez dans tous les Bâtimens qui s’ofrent à sa vûe, que pour celle dont j’ai traité jusques-ici, je n’embrasserai pas mes Lecteurs d’aucune réflexion là-dessus. Il me sufira de remarquer, pour mon but, qu’il n’y a rien dans tout cet Art qui plaise à l’Imagination que ce qui est grand, extraordinaire, ou beau.
O.