Le Spectateur ou le Socrate moderne: XLIII. Discours
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Niveau 1
XLIII. Discours
Citation/Devise
Divisum sic breve fiet
Opus.
Mart. L. IV. Ep. 83.
L’Ouvrage ainsi partagé en deviendra plus court.
Mart. L. IV. Ep. 83.
L’Ouvrage ainsi partagé en deviendra plus court.
Metatextualité
Dans tous les Objets
qui nous environnent, il y a quelque chose de grand, de beau
ou d’extraordinaire, qui plait à l’Imagination.
Metatextualité
Dans tous les Objets
qui nous environnent, il y a quelque chose de grand, de beau
ou d’extraordinaire, qui plait à l’Imagination.
Niveau 2
J’examinerai d’abord ces Plaisirs de
l’Imagination, qui naissent de la vûe actuelle des Objets
exterieurs ; & il me semble que les premiers doivent leur
origine à ce que l’on aperçoit de grand, d’extraordinaire ou de
beau dans les autres. Il est vrai qu’il peut y avoir quelque
chose de si terrible ou de si choquant, que l’horreur ou le
dégout qu’on a pour un Objet l’emporte sur le plaisir qui
résulte de sa grandeur, de sa nouveauté ou de sa
beauté ; mais dans ce dégoût même il y aura toûjours un mêlange
de plaisir proportionné à ces qualitez, selon que l’une ou
l’autre y domine le plus. Par la grandeur, je ne veux pas dire
la masse d’un Objet simple, mais l’entendue de tout ce que l’on
voit presque en même tems, & qu’on peut envisager comme une
espèce de Tout. Tel est l’Aspect d’une Campagne ouverte, d’un
vaste Désert inculte, d’un amas confus de Montagnes entassées
les unes sur les autres, de Rochers & de Précipices afreux,
ou d’une prodigieuse étendue d’eau, dont ce qui nous frappe
n’est ni la beauté ni la nouveauté de l’Objet, mais cette rude
& grossiere magnificence qui paroit dans ces étonnans
Ouvrages de la Nature. Notre Imagination aime à être engloutie
par un Objet, ou à s’acrocher à ce qu’elle ne sauroit enfermer
dans ses bornes. Nous sentons une agréable surprise à la vûe de
ces Objets immenses, qui plongent l’Ame dans une espèce de
tranquilité, ou d’extase. L’Esprit de l’Homme hait naturellement
tout ce qui semble le gêner, & il croit être enclavé dans
une sorte de Prison, lors que la Vûe est consinée dans un petit
Cercle, & qu’elle est bornée de tous côtez par le voisinage
de Murs où de Montagnes. Mais il est mis en quelque maniere en
liberté à la vûe d’un vaste Horizon, où l’Œuil se promène à son
aise, se perd au milieu de la variété des Objets
qui l’environnent de toutes parts. Ces Aspects qui n’admettent
point de bornes sont aussi agréables à l’Imagination, que les
reflexions sur l’Eternité ou l’Infini le peuvent être à
l’Entendement. Mais si le beau ou l’extraordinaire accompagne
cette grandeur, comme dans une Mer agitée, dans un Ciel orné
d’Etoiles & de Météores, ou dans un vaste Païsage, où l’on
voit des Rivieres, le Plaisir augmente, plus il y a des
Principes qui le font naître. Tout ce qui est nouveau ou
extraordinaire excite un Plaisir dans l’Imagination, parce qu’il
remplit l’Ame d’une agréable surprise, qu’il satisfait sa
curiosité, & qu’il l’enrichit, d’une Idée qu’elle n’avoit
pas. Nous sommes si accoûtumez à de certains Objets, & les
mêmes Scènes reviennent si souvent, qu’elles nous fatiguent,
& que tout ce qui est nouveau ou extraordinaire contribue un
peu à diversifier la Vie, à réjoüir nos Esprits tout le tems que
la nouveauté dure : C’est ce qui nous fournit une espèce de
rafraichissement, & qui diminue le dégoût que nous trouvons
dans tout ce qui sert tous les jours à nous entretenir. C’est ce
qui donne des charmes à un Monstre, & de la vient que les
Imperfections même de la nature nous plaisent. De là vient aussi
qu’on recherche la Varieté, qui offre à tout moment quelque
chose de nouveau à l’Esprit, & qui ne permet pas que son atention s’épuise à contempler toûjours le même Objet.
C’est ce qui donne du relief à la Grandeur ou à la Beauté, &
qui fait que l’une ou l’autre plait davantage à l’Esprit. Les
Bois, les Champs & les Prairies sont agréables à voir dans
toutes les Saisons de l’Année, mais beaucoup plus à l’arrivée du
Printems, lors que tout y paroit frais & nouveau, avec son
premier lustre, & lors que l’Oeuil n’y est pas encore trop
accoutumé. C’est pour cela même qu’il n’y a rien qui égaie
davantage une Perspective que les Rivieres, les Jets d’eau, ou
les Cascades, où la Scène change à tout moment, & offre sans
cesse à la vûe quelque nouvel Objet. Nous sommes bientôt las de
regarder les Montagnes & les Vallées, où tout est immobile
& demeure fixe dans la même situation ; mais l’Esprit est un
peu agité & rafraichi à la vûe de ces Objets qui se meuvent
toûjours, & qui échapent insensiblement aux yeux du
Spectateur. Mais il n’y a rien qui aille si droit à l’Ame que la
Beauté, qui répand d’abord un plaisir secret dans l’Imagination,
& qui acheve de perfectionner tout ce qui est grand ou
extraordinaire. Dès qu’on la découvre, l’Esprit en ressent de la
joie, & toutes ses Facultez y prennent part. Il peut bien
être qu’il n’y a pas plus de beauté ou de laideur réelle dans
une portion de matiere que dans une autre, parce que nous
aurions pû être faits en sorte que tout ce qui nous déplait aujourd’hui nous auroit paru agréable : mais
l’Experience nous enseigne qu’il y a diverses modifications de
la matiere, que l’Esprit trouve tout d’un coup, sans y avoir
même reflechi, belles ou diformes. Ainsi nous voïons que les
différentes Espèces des Créatures sensibles ont des idées
différentes de la Beauté, & que chacune d’elles est plus
touchée des beautez qui servent à l’ornement de son Espèce. Il
n’y en a point en qui cela soit plus remarquable que dans les
Oiseaux de la même grosseur & du même plumage, où nous
voïons souvent que le Mâle se détermine dans ses Amours par une
seule tache ou la simple couleur d’une plume, & qu’il ne
trouve jamais aucun charme que dans le plumage des Femelles de
son Espèce. Voici de quelle maniere un Poëte moderne a exprimé
cet Instinct en Vers Latins :
Il y a une autre sorte de Beauté dans les Ouvrages de
l’Art & de la Nature, qui ne produit pas sur l’Imagination
le même feu & la même ardeur que la Beauté qu’on voit dans
notre Espèce; mais qui avec tout cela y excite un plaisir secret
& un penchant pour les Endroits ou les Objets où nous la
découvrons. Cette Beauté consiste dans la gaieté ou la variété
des couleurs, dans la symmetrie & la proportion des parties,
dans l’arrangement & la disposition des Corps, ou dans un
juste mêlange & le concours de toutes ces choses ensemble.
Entre ces différentes Beautez, l’Oeuil se plait davantage à
celle qui resulte des couleurs. Il n’y a point de Spectacle dans
la Nature qui soit plus beau ou plus agréable, que celui qui
paroit dans le Ciel au lever & au coucher
du Soleil, & qui est composé de ces différentes nuances de
lumiere qu’on voit sur les Nuées. C’est pour cela même que les
Poëtes, qui s’adressent toûjours à l’Imagination, empruntent
plus leurs Epithetes des couleurs que de tout autre Lieu commun.
Puis que l’Imagination se plait dans tout ce qui est grand,
extraordinaire, ou beau, & que son plaisir augmente à mesure
qu’elle trouve plus de ces perfections dans le même Objet, elle
est aussi capable de recevoir un surcroît de plaisir par le
secours d’un autre Sens. C’est ainsi qu’un Son continué, tel que
la Musique des Oiseaux, ou que la chute d’une Cascade, excite à
tout moment l’Esprit du Spectateur, & le rend plus atentif à
considerer les différentes beautez du Lieu où il se trouve.
C’est ainsi que les bonnes Odeurs ou les Parfums relevent les
plaisirs de l’Imagination, & rendent même les couleurs &
la verdure d’un Païsage plus agréables ; car les idées de la Vûe
& de l’Odorat s’entraident les unes les autres, &
donnent bien plus de satisfaction unies ensemble que séparées;
de même que les différentes couleurs d’un Tableau se donnent
mutuellement du relief, & reçoivent un surcroît de beauté
par l’avantage de leur situation. O.
Niveau 3
Citation/Devise
Scit thalamo servare fidem,
sanctasque veretur
Connubii leges, non illum in pectore candor
sollicitat niveus ; neque pravum accendit amorem
Splendida lanugo, vel honesta in vertice crista
Purpureusve nitor pennarum ; ast agmina latè
Fœminea explorat cautus, maculasque requirit
cognatas, paribusque interlita corpora guttis :
Ni faceret, pictis sylvam circum undique monstris
Confusam aspiceres vulgò, partusque biformes,
Et genus ambiguum, & Veneris monumenta nefandæ
Hinc Merula in nigro se oblectat nigra marito ;
Hinc socium lasciva petit Philomela canorum,
Agnoscitque pares sonitus, hinc Noctua tetram
Canitiem alarum, & glaucos miratur ocellos.
Nempe sibi semper constat, crescitque quotannis
Lucida progenies, castos confessa parentes ;
Dum virides inter saltus lucósque sonoros
Vere novo exsultat, plumásque decora Juventus
Explicat ad Solem, patriisque coloribus ardet. C’est à dire, le Mâle est fidèle à sa Couche, & observe religieusement les saintes loix du Mariage : Cette blancheur de neige qu’il voit à la gorge d’une Fémelle d’une autre Espèce ne le tente point ; le duvet éclatant, la hupe magnifique, ou le beau plumage d’une autre ne l’embrasa point d’un amour illicite : mais il a la précaution d’examiner les troupes des Fémelles qui l’environnent de toutes parts, jusqu’à ce qu’il y trouve les taches, dont il est marqueté lui-même, disposées dans la même symmétrie. Sans une pareille conduite, nous verrions les Forêts pleines de Monstres hideux, des Animaux d’une double Espèce, une Engeance incertaine, & de bizarres Monumens d’un Amour vague & déreglé. De là vient que la Merlesse, qui est noire, ne se plait qu’avec un Merle noir ; que la Fémelle amoureuse du Rossignol cherche un Mâle de la même Espèce, qu’elle recconoit aux accens mélodieux de sa voix ; & que la chouette admire la couleur cendrée & obscure des ailes, aussi bien que les yeux verdâtres du Hibou. C’est ainsi que les Oiseaux sont toûjours fidèles à l’Amour conjugal, & qu’ils sont tous les ans des Petits, qui reconnoissent & imitent la chasteté de ceux qui leur ont donné la vie. C’est ainsi que leurs Petits s’égaient dans les Bois à l’arrivée du Printems, qu’ils y font resonner leur voix harmonieuse, qu’ils y étalent leur beau plumage aux raïons du Soleil, & qu’ils ne brûlent d’amour que pour les Fémelles de la même Espèce.
Connubii leges, non illum in pectore candor
sollicitat niveus ; neque pravum accendit amorem
Splendida lanugo, vel honesta in vertice crista
Purpureusve nitor pennarum ; ast agmina latè
Fœminea explorat cautus, maculasque requirit
cognatas, paribusque interlita corpora guttis :
Ni faceret, pictis sylvam circum undique monstris
Confusam aspiceres vulgò, partusque biformes,
Et genus ambiguum, & Veneris monumenta nefandæ
Hinc Merula in nigro se oblectat nigra marito ;
Hinc socium lasciva petit Philomela canorum,
Agnoscitque pares sonitus, hinc Noctua tetram
Canitiem alarum, & glaucos miratur ocellos.
Nempe sibi semper constat, crescitque quotannis
Lucida progenies, castos confessa parentes ;
Dum virides inter saltus lucósque sonoros
Vere novo exsultat, plumásque decora Juventus
Explicat ad Solem, patriisque coloribus ardet. C’est à dire, le Mâle est fidèle à sa Couche, & observe religieusement les saintes loix du Mariage : Cette blancheur de neige qu’il voit à la gorge d’une Fémelle d’une autre Espèce ne le tente point ; le duvet éclatant, la hupe magnifique, ou le beau plumage d’une autre ne l’embrasa point d’un amour illicite : mais il a la précaution d’examiner les troupes des Fémelles qui l’environnent de toutes parts, jusqu’à ce qu’il y trouve les taches, dont il est marqueté lui-même, disposées dans la même symmétrie. Sans une pareille conduite, nous verrions les Forêts pleines de Monstres hideux, des Animaux d’une double Espèce, une Engeance incertaine, & de bizarres Monumens d’un Amour vague & déreglé. De là vient que la Merlesse, qui est noire, ne se plait qu’avec un Merle noir ; que la Fémelle amoureuse du Rossignol cherche un Mâle de la même Espèce, qu’elle recconoit aux accens mélodieux de sa voix ; & que la chouette admire la couleur cendrée & obscure des ailes, aussi bien que les yeux verdâtres du Hibou. C’est ainsi que les Oiseaux sont toûjours fidèles à l’Amour conjugal, & qu’ils sont tous les ans des Petits, qui reconnoissent & imitent la chasteté de ceux qui leur ont donné la vie. C’est ainsi que leurs Petits s’égaient dans les Bois à l’arrivée du Printems, qu’ils y font resonner leur voix harmonieuse, qu’ils y étalent leur beau plumage aux raïons du Soleil, & qu’ils ne brûlent d’amour que pour les Fémelles de la même Espèce.