Le Spectateur ou le Socrate moderne: XL. Discours
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XL. Discours
Zitat/Motto
Decet affectus animi
neque le nimium erigere, nec subjacere serviliter.
Cic. de Finibus &c.
Il ne faut pas donner trop de liberté aux Passions, ni les tenir trop dans l’esclavage.
Cic. de Finibus &c.
Il ne faut pas donner trop de liberté aux Passions, ni les tenir trop dans l’esclavage.
Metatextualität
L’étude de la Nature
Humaine & ses Passions.
Metatextualität
L’étude de la Nature
Humaine & ses Passions.
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Brief/Leserbrief
Mr. le Spectateur. « J’ai
toûjours fort aimé vos Speculations, tant à cause de la
varieté des Sujets, que pour la maniere dont vous les
traitez. J’ai toûjours cru que la Nature Humaine étoit
l’objet le plus utile que la Raison Humaine pût
envisager, & que l’Esprit Humain ne sauroit mieux
s’occuper qu’à se rendre cette
Contemplation plus agréable. Peut-être deviendrons-nous
plus habiles si nous cultivions quelque autre Partie de
la Philosophie ; mais celle-ci se propose le même but,
& nous rend avec tout cela meilleurs. De là vient
que l’Oracle nomma Socrate le plus sage de tous les
Hommes, parce qu’il choisît habilement la Nature Humaine
pour l’Objet de ses reflexions ; Etude, qu’on doit
préferer d’autant plûtôt à toutes les autres, qu’il nous
importe plus de savoir ce qui est Juste ou Injuste, que
de fixer la distance des Planetes, & de suppurer le
tems qu’elles emploient à leurs révolutions. Un bon
effet, que cette recherche produira d’abord, est que
nous ne serons plus surpris de certaines Actions, dont
la plûpart des Hommes ne peuvent rendre compte : Puis
qu’il n’y a rien dans le Monde qui n’ait une Cause, si
nous observons de près la nature & le train des
Passions, nous déveloperons chaque Action qui en
resulte, & nous la suivrons d’un bout à l’autre :
Les démarches de Catilina ou de Tibere n’auront plus
rien qui nous surprenne, lors que nous saurons que l’un
étoit animé d’une cruelle Jalousie, & l’autre d’une
furieuse Ambition ; La Raison doit servir à regler nos
Passions, mais elles seront toûjours les Principes de
nos Actions. Tout de même les Passions peuvent
être utiles ou dangereuses à l’Esprit ; Il faut donc que
la Raison lui serve de Pilote, qui ne manquera jamais de
le bien gouverner, pourvû qu’elle n’abuse pas de ses
lumieres : Les Passions lui doivent être assujeties,
& leur violence ne sera jamais reçue comme une
excuse légitime, lors qu’on s’y laisse entraîner ; Tout
Homme qui soufre qu’elle prennent le dessus, renonce à
la Liberté de son Ame. Il semble que la Nature ait formé
de tous les Etres une espèce de Chaîne, & que
l’Homme, placé entre les Anges & les Bêtes brutes,
en soit le Chaînon du milieu : Il tient
ainsi de la Chair & de l’Esprit ; ce qui l’expose à
une guerre continuelle avec ses Passions ; & suivant
qu’il se tourne vers sa Patrie angelique ou animale, il
est réputé bon ou méchant, sage ou vicieux ; si la
charité, la Compassion & le bon-Naturel prévalent en
lui, ces qualitez l’aprochent de la nature des Anges ;
si la Haine, la Cruauté & l’Envie le dominent, ces
défauts le reduisent au rang des Bêtes brutes. De là
vient que certains Philosophes de l’Antiquité
s’imaginoient que les Hommes, après leur Mort, seroient
transformez en Anges ou en Bêtes, selon qu’ils auroient
imité les uns ou les autres durant cette Vie. Quel
plaisir n’y auroit-il pas alors à considérer les
différentes métamorphoses qui arriveroient aux Tyrans,
aux avares, aux Orgueilleux & aux Esprits malins ?
En conséquence de cette Origine, toutes les Passions se
trouvent dans tous les Hommes ; mais elles n’éclatent
pas également en tous ; le Temperament, l’Education, la
Coûtume, la Raison, & les autres Causes de cette
nature en peuvent augmenter ou diminuer la force, quoi
que les semences en restent toûjours, & qu’elles
soient toûjours en état de produire leurs fruits, pour
peu qu’on les encourage. J’ai ouï dire d’un très-honête
Homme, qui avoit de la Piété, qu’aïant été nourri avec
du Lait de Chevre, étoit fort modeste en
public par le soin qu’il prenoit de veiller sur ses
actions ; mais qu’en particulier il emploioit souvent
une heure à gambader & à faire des cabrioles. Je ne
doute pas même que, si l’on pouvoit examiner en secret
les Philosophes les plus rigides, on ne les vît exposez
à la tyranie de ces passions qu’ils cachent, avec tant
d’art, aux yeux du Public. Machiavel observe que chaque
Etat doit être toûjours en garde contre ses Voisins,
afin qu’il ne soit jamais pris au dépourvû dans un cas
extraordinaire : De même la Raison doit toûjours se
tenir en garde contre les Passions, & ne soufrir
jamais qu’elles aient aucun dessein qui puisse tourner à
son préjudice ; quoi que d’un autre côté elle doive être
fort soigneuse de ne pas les afoiblir jusqu’à les rendre
inutiles, & à se dépouiller ainsi de leur secours.
L’Entendement est d’une si grande lenteur quand il faut
agir, qu’il a besoin d’être mis en mouvement par le doux
soufle des Passions, qui le peuvent empêcher de se
rouiller & de se corrompre ; du moins elles sont
aussi nécessaires au bon état de l’Ame, que la
circulation des esprits animaux le peut être à la sante
du Corps ; elles lui donnent de la force & de la
vigueur ; & sans elles, il lui seroit impossible de
s’aquiter de ses fonctions : Elles naissent &
meurent avec nous ; dans les uns, elles sont douces,
modestes & retenues ; dans les autres,
elles sont violentes, farouches & déréglées ; mais
il est toûjours au pouvoir de la Raison de les
gouverner. On peut remarquer en général qu’il y a une
proportion assez exacte entre la force de la Raison
& celle des Passions : Les grands Genies ont
d’ordinaire les Passions violentes, au lieu que les
petits Esprits les ont foibles ; & il est bien juste
que la fougue des Coursiers ne surmonte pas la force du
Conducteur. Les jeunes Gens, dont les Passions ne sont
pas un peu vives, ne donnent pas grande esperance de
leur avancement ; Le Feu de la Jeunesse s’éteint à la
longue & c’est un défaut, si même c’en est un, qui
diminue tous les jours ; ainsi à moins qu’un Homme n’ait
du feu dans sa Jeunesse, à peine lui reste-t-il quelque
chaleur dans un âge avancé. Il faut donc bien prendre
garde à ne pas anéantir les Passions, lors qu’on cherche
à les regler ; puis qu’elles sont la Lumiere de l’Ame,
& qu’un Homme qui n’en a point du tout, ou qui s’y
laisse entrainer, est toûjours également aveugle. La
trop rude sévérité qu’on exerce dans la plupart de nos
Ecôles a ce malheureux effet, qu’elle gâte le ressort de
l’Esprit, & qu’elle ruïne à coup sur plus de bons
Genies, qu’elle n’en peut mettre en état de se pousser.
C’est sans doute une lourde bévûe de s’imaginer qu’on
doit éteindre les passions & les retenir dans
l’esclavage ; tout au contraire, on doit
non seulement suporter quelquefois de petites
irrégularitez, mais aussi les cultiver, puis qu’elles
sont presque toûjours accompagnées des plus beaux
Talens. Tous les grands Genies ont quelques Défauts
mêlez avec leurs Vertus, & ressemblent au Buisson
ardent que Moïse vit, où la flamme laissoit les épines.
Puis donc que les Passions sont les Principes des
Actions humaines, nous devons les ménager d’une telle
maniere qu’elles conservent leur vigueur, & qu’elles
soient avec tout cela fort soumises ; nous devons plûtôt
les gouverner comme des Sujets libres que comme des
Esclaves, de peur qu’au lieu de les rendre obéïssantes,
elles ne deviennent incapables d’executer les grands
Desseins auxquels Dieu les a destinées. J’avouë même de
bonne-foi, que je n’ai pu jamais avoir aucune estime
pour cette Secte de Philosophes qui vouloient que leur
Sage tendît à une Indifference absolue, & qu’il
n’eût aucune Passion ; du moins il me semble que c’est
une chose contradictoire de vouloir qu’un Homme se
dépouille de l’Humanité, pour aquerir le calme de
l’Esprit, & qu’il déracine jusques aux principes de
ses actions, parce qu’ils peuvent produire de mauvais
effets. Je suis &c. » T.B.
Allegorie
Du
moins il est aussi naturel aux Hommes d’agir suivant
leurs Passions qu’à la Chaleur d’accompagner le Feu,
ou qu’à tout autre Effet de naître de
sa Cause :
Allegorie
La grande
varieté qui paroit dans les Actions les plus
bizarres & les plus étranges des Hommes est une
preuve manifeste qu’elles ne viennent pas
immédiatement de la Raison ; puis que des Eaux si
troubles & si bourbeuses ne sauroient découler
d’une Source si pure : II faut de toute nécessité
qu’elles viennent des Passions, qui sont à l’égard
de l’Esprit ce que les Vents sont pour un gros
Vaisseau ; ils peuvent seuls le faire voguer, &
devenir aussi la cause de sa perte ; si leur soufle
est doux & favorable, ils le conduisent
heureusement au Port ; mais s’il est orageux &
contraire, ils le renversent & le coulent à
fonds :