Le Spectateur ou le Socrate moderne: XXXVII. Discours
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XXXVII. Discours
Zitat/Motto
Qui mores hominum
multorum vidit
Hor. A.P.V. 142.
Il a connu les mœurs & le genie d’une infinité d’Hommes.
Hor. A.P.V. 142.
Il a connu les mœurs & le genie d’une infinité d’Hommes.
Metatextualität
Raisonnemens des
Politiques dans les Caffez publics, à l’occasion de la
fausse Nouvelle, qui avoit couru sur la Mort de Louïs XIV.
Metatextualität
Raisonnemens des
Politiques dans les Caffez publics, à l’occasion de la
fausse Nouvelle, qui avoit couru sur la Mort de Louïs XIV.
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Lors que j’examine tous les quartiers
& les differentes Paroisses de cette grande Ville, je la
regarde comme une assemblage de differentes Nations distinguées
les unes des autres par leurs Coûtumes, leurs Manieres &
leurs Intérêts. On ne voit pas tant de difference à tous ces
égards entre les Cours de deux Païs, qu’il y en a ici entre la
Cour & la Ville. En un mot ; les Habitans de St. James, quoi
qu’ils vivent sous les mêmes Loix, & qu’ils parlent la même
Langue, sont un Peuple distinct de ceux qui demeurent à
Cheapside ; & ceux-ci à leur tour ne différent pas moins,
dans leurs idées & leur conversation, de ceux du Temple d’un
côté, & de ceux de Smithfield de l’autre, que
s’ils étoient à plusieurs dégrez de Longitude les uns des
autres, & qu’ils vécussent sous differens Climats. De-là
vient que, lors qu’il y a quelque affaire importante sur le
tapis, je me plais à entendre les reflexions qui s’élevent
là-dessus dans les divers Quartiers de Londres & de
Westminster, & á courir de tous côtez une journée entiere,
pour savoir les differentes idées que mes ingeneiux Compatriotes
en ont. Ainsi je connois de visage nos plus célébres Politiques
dans l’etenduë de l’une & de l’autre Ville ; & informé
d’ailleurs que tout Caffé a son Ministre d’Etat en particulier,
qui est la Bouche & l’Interprete de la Ruë où il demeure, je
m’assieds toûjours auprès de lui, pour savoir ce qu’il pense de
la situation des affaires. Durant le dernier circuit que j’ai
fait dans ce dessein, 1il y a environ trois mois, le bruit
courut que le Roi de France étoit mort. Persuadé que cet
évenement changeroit toute la face des affaires en Europe, &
qu’il produiroit quantité de belles Speculations dans nos Caffez
publics, j’étois bien aise d’aprendre ce que nos plus grands
Politiques en croïoient.
L.
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Allgemeine Erzählung
Pour commencer aussi près de
la Source qu’il m’étoit possible, j’allai d’abord au
Caffé de St. James, où je trouvai la premiere Chambre,
qui donne sur la Ruë, pleine d’un Essain de Politiques.
Les Raisonnemens qui se faisoient vers la porte étoient bien peu de chose ; mais ils se
rasinoient à mesure qu’on aprochoit de l’autre bout,
& ils s’élevoient à un si haut degré de perfection
dans la seconde Chambre, où il y avoit un petit Cercle
de Speculatifs, assis à la portée des vapeurs qui
s’exhaloient de la Caffetiere, qu’on y disposa de toute
la Monarchie d’Espagne, qu’on y pourvut à toute la race
des Bourbons, en moins d’un quart d’heure. Je me rendis
ensuite au Caffé de Giles, où je vis une troupe de
François qui raisonnoient sur la vie & sur la mort
de leur grand Monarque. Ceux qui avoient embrassé le
Parti des Whigs disoient positivement qu’il étoit mort
depuis environ huit jours, & là-dessus ils
prétendoient que leurs Freres condamnez aux Galeres en
sortiroient bientôt , & qu’eux-mêmes seroient aussi
rétablis ; mais sur ce qu’ils n’étoient pas d’accord, je
résolus de poursuivre ma tournée. A mon arrivée au Caffé
de Jeannette Man, j’aperçus un jeune Eveillé, qui,
voïant entrer un de ses Amis en même-tems que moi,
retroussa son Chapeau, & l’aborda en ces termes :
Il lâcha plusieurs
autres reflexions de la même solidité ; ce qui m’obligea
de me retirer au plus vite. Entre Charing-Cross &
Covent-Garden je ne trouvai que peu de
variation dans les Raisonnemens politiques. Lors que
j’arrivai au Caffé de Guillaume, le discours y avoit
déjà passé de la mort de Louïs XIV. à celle de Mrs.
Boileau, Racine, Corneille, & de plusieurs autres
Poëtes fameux, qu’on regretoit à cette occasion, parce
qu’ils auroient pû enrichir le Public de belles Elegies
sur la mort d’un si grand Prince, le Protecteur & le
Mécene des Savans. Dans un Caffé tout-auprès du Temple,
je vis deux jeunes Messieurs qui disputoient avec
beaucoup de feu sur la succession à la Monarchie
d’Espagne. Ils sembloient être gagez tous deux, l’un
pour servir d’Avocat au Duc d’Anjou, l’autre à Sa
Majesté Imperiale. Ils vouloient décider du Droit à ce
Roïaume par les Loix Parlementaires du nôtre ; mais
incapable de les suivre dans tous ces Labyrinthes, je me
rendis à un Caffé proche de l’Eglise de S. Paul, où un
Savant raisonnoit à perte de vûe ; & entretenoit la
Compagnie du déplorable état de la France sous la
Minorité du Roi défunt. De là je tournai à la droite
pour enfiler la Ruë des Poissonniers, & j’entrai
dans un Caffé, où le grand Politique du Quartier n’eut
pas plutôt fumé sa Pipe & ruminé un peu sur la
nouvelle qui couroit, qu’il s’énonça en ces termes :
Ensuite il examina
quelle influence la Mort de ce grand Monarque auroit sur
nos Sardines ; il en discourut si juste, & il égaïa
si bien la matiere, qu’il remplît de joie tous ses
Auditeurs. Peu sensible moi-même à ces reflexions, je
partis de la main, j’allai donner dans un Caffé borgne,
situé au bout d’une Ruelle, où je trouvai un Non-Jureur
aux prises avec un Passementier Non-Conformiste, le
Protecteur & l’Appui d’un Conventicule du voisinage.
L’un soutenoit que le feu Roi de France pouvoit être mis
en parallele avec Auguste, & l’autre qu’il avoit
plûtôt ressemblé à Neron. La dispute s’échaufa
beaucoup ; mais sur ce que je m’aperçus qu’ils
tournoient souvent les yeux vers moi ; dans la crainte
qu’ils n’en apellassent à ma décision, je païai la
valeur d’une Tasse de Caffé, & je pris ma route vers
Cheapside. Alors il me falut examiner plusieurs
Enseignes, avant que d’en trouver une qui répondit à mon
but. Enfin j’entrai dans un Caffé, où la premiere
Personne que je vis rémoignoit une grande sensibilité
pour la Mort du Roi de France ; mais sa douleur ne
venoit pas tant de la perte de ce Monarque, comme il
s’en expliqua lui-même, que de la vente de ses Actions à
la Banque, depuis environ trois jours. Là-dessus un
Chapelier, qui étoit l’oracle de ce Caffé & qui n’y
étoit jamais sans avoir un Cercle d’Admirateurs, en prit bon nombre d’entre eux à
témoins qu’il leur avoit déclaré, il y avoit plus d’une
semaine, que le Roi de France étoit mort : Il ajoûta
qu’eu égard aux derniers Avis qui étoient venus de ce
Roiaume, il étoit impossible que la nouvelle ne fût
vraie. Dans le tems qu’il raisonnoit de cette maniere,
& qu’il parloit, d’un ton de Maître, à ses
Auditeurs, il entra un Monsieur, qui venoit du Caffé de
2Garraway & qui nous dit que la
Poste de France étoit arrivée. Il assûra même qu’il y
avoit plusieurs Lettres qui marquoient que le jour de
leur départ, le Roi se portoit si bien, qu’il étoit allé
ce matin à la Chasse. Dès que Mr. le Chapelier eut
entendu cette Nouvelle, il escamota son Chapeau qui
étoit pendu à une cheville, & il se retira, tout
confus à sa Boutique. Pour moi, je finis là mes Courses
de cette Journée, ravi d’avoir observé les differentes
Opinions qu’il y avoit sur un si grand Evénement, &
combien chacun est porté à envisager tout ce qui arrive
par raport à son état & à son intérêt particulier.
Dialog
Eh bien, mon Ami, le
vieux Pécheur est enfin mort. Alerte, Camarade.
C’est à-present, ou jamais, qu’il faut aller tout
droit aux portes de Paris.
Dialog
Si le Roi de France,
dit-il, est mort, nous allons avoir quantité de
Maquereaux ; parce que ses Capres, qui désolent notre Pêche depuis une dixaine d’années,
ne la troubleront plus.