Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "XXXV. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.4\035 (1720), S. 206-211, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1333 [aufgerufen am: ].
Ebene 1►
XXXV. Discours
Zitat/Motto► Ut nemo in sese tentat
descendere ! nemo !
Pers. Sat. IV 23.
Ah ! qu’il est
vrai que personne ne tâche de s’examiner, & de se connoitre !
Non, personne.
◀Zitat/Motto
Metatextualität► Différentes sortes d’Hypocrisies, & les moïens de s’en garantir, ou d’arriver à la Connoissance de soi-même. ◀Metatextualität
Ebene 2► L’Hypocrisie, au quartier de la Ville où se trouve la Cour, est bien différente de celle qu’on voit dans la Cité. L’Hypocrite à la mode tâche de paroitre plus déreglé qu’il n’est, & l’Hypocrite Citoïen voudroit passer pour avoir plus de Vertu qu’il n’en a. Le premier semble craindre tout ce qui a quelque apparence de Religion, & souhaiteroit qu’on le crût engagé dans plusieurs Intrigues amoureuses & cri-[207]minelles, dont il n’est pas coupable. Le dernier se revêt d’un exterieur devot, & cache une infinité de Vices sous les belles apparences de la Vertu.
Mais il y a une autre sorte d’Hypocrisie, qui differe de ces deux-là, & qui doit servir de sujet à ce Discours : je veux dire cette Hypocrisie, qui engage un Homme non-seulement à en imposer aux autres, mais aussi à se tromper lui-même ; cette Hypocrisie, qui le rend la dupe de son propre cœur, qui le persuade qu’il a plus de Vertu qu’il n’en a dans le fonds , qui l’empêche de faire atention à ses Vices, ou qui l’oblige à les prendre pour des vertus. C’est de cette fatale Hypocrisie & de cet Aveuglément de soi-même, dont le Psalmiste parle, lors qu’il dit, Zitat/Motto► 1 Qui est celui qui connoit ses fautes commises par erreur ? Purge-moi de mes fautes cachées. ◀Zitat/Motto
Si les Impies de profession méritent que les Ecrivains de Morale emploient tous leurs éforts pour les ramener du Vice & de l’Egarement, quel soin & quelle compassion ne doivent pas attendre de leur part ceux qui marchent dans les sentiers de la Mort, & s’imaginent être dans le chemin de la Vertu ? C’est pour cela même que je tâcherai de poser ici quelques Régles qui puissent aider à découvrir ces Vices qui se tiennent cachez sous les envelopes & les replis du Cœur, & de montrer les Moïens [208] par lesquels on peut ateindre à une véritable connoissance de soi-même. Ceux que l’on prescrit d’ordinaire sont de nous examiner sur les Préceptes & les Maximes de l’Evangile, qui doivent servir à regler toutes nos démarches, & de comparer notre Vie à celle de Jesus-Christ, le Modéle de la Perfection, aussi bien que le Guide & le Maitre de ceux qui reçoivent sa Doctrine. Quoi qu’on ne sauroit trop insister sur ces deux Articles, il y a tant d’habiles Ecrivains qui les ont touchez, que je ne m’y arrêterai pas davantage.
Ainsi je vai proposer les Moïens suivans à ceux qui ont envie de connoitre leurs défauts secrets, & de ne s’estimer que ce qu’ils valent.
- I.
Je les exhorte à bien reflechir en premier lieu sur le Caractére qu’ils soutiennent auprès de leurs Ennemis. Il arrive souvent que nos Amis nous flatent, & qu’ils nous déguisent tout, de même que 1’Amour propre. Ou bien ils ne voient pas nos Défauts, ou ils nous les cachent, ou ils les extenuent à nos yeux d’une telle maniere, que nous les croïons trop legers pour y prendre garde & y remédier. Nos Ennemis au contraire épient toutes nos démarches ; ils découvrent jusques aux moindres imperfections qui se trouvent en nous, & quoi que leur Malice les engage quelquefois à les agraver, elle est presque toûjours fondée sur quelque chose de réel. Un Ami grossit les Vertus, & un Ennemi exag-[209]gere les Vices. Un Homme sage & prudent doit faire atention à ce qu’ils disent tous deux, pour s’animer à la pratique des unes, & s’éloigner des autres. Plutarque a écrit un Essai sur les bons offices qu’on peut recevoir de ses Ennemis, & il nous dit qu’un de ces avantages consiste en ce que leurs reproches nous montrent par le côté le plus laid, & qu’ils nous découvrent plusieurs Défauts, que nous n’aurions jamais observé, sans le secours de ces malins Censeurs.
- II.
En deuxième lieu, pour arriver à la connoissance de nous-mêmes, il faut examiner jusqu’à quel point nous méritons les éloges qu’on nous donne, si les actions, qui nous les attirent, partent d’un bon principe, & si nous possedons les Vertus pour lesquelles on nous aplaudit. Cet Examen eft d’une absolue nécessité, puis que nous sommes fort disposez à nous estimer ou à nous condamner suivant l’opinion des autres, & à sacrifier le témoignage de notre cœur au jugement du Public.
- III.
En troisième lieu, afin de ne pas nous égarer sur un article de si grande importance, nous ne devons pas avoir une trop haute idée de certaines Vertus que nous possedons, & qui sont un peu suspectes ; puis qu’il y a une infinité de Personnes, aussi sages & aussi éclairées que nous, qui en ont une tout autre idée. Nous devrions toûjours agir avec beaucoup de retenue en certains cas, où il n’est pas impossible que [210] nous errions. Un zèle ardent, la Bigoterie & la Persecution en faveur d’un Parti ou d’une Opinion, quelques louables que les croient certains Esprits foibles de tous les Partis, exposent le Genre Humain à un nombre infini de calamitez, & sont des Principes très-criminels en eux-mêmes : Avec tout cela, combien de Personnes d’une pieté exemplaire n’y a-t-il pas qui nourrissent ces Monstres dans leur sein, & qui les prennent pour des Vertus ? J’avouë de bonne foi que je n’ai jamais vû aucun Parti si juste & si raisonnable, qu’un Homme pût le suivre dans toute l’ardeur de son zèle, & conserver en même tems son innocence
- IV.
Nous devrions aussi nous défier de ces actions qui viennent du Temperament, de nos Passions favorites, d’une Education particuliere, ou de tout ce qui s’accorde avec nos intérêts mondains. A l’égard de tous ces Cas & de leurs semblables, le Jugement d’un Homme est facile à pervertir, & il se trouve embarrassé d’un poids qui l’entraîne. Ce sont les avenues secretes de l’Esprit, à travers lesquelles un million d’Erreurs & de Préjugez se glissent, sans qu’on y prenne garde, ou qu’on les observe. Un Homme sage tiendra pour suspectes ces démarches qui lui sont dictées par tout autre Principe que celui de la Raison, & il craindra toûjours quelque mal caché dans tout Dessein qui est d’une nature équivoque, lors qu’il se trouve conforme à son temperament, à son âge, ou à sa maniere [211] de vivre, & qu’il favorise sa passion ou son intérêt.
Il n’y a rien qui nous soit plus important que de sonder ainsi nos pensées, & de fouiller dans tous les replis de nos cœurs, si nous voulons afermir nos Ames & les orner d’une Vertu solide, capable de nous être de quelque usage au dernier jour, lors qu’elle devra soutenir l’épreuve d’une Sagesse & d’une Justice infinie.
Pour en venir à la conclusion de cet Essai, j’observerai que les deux sortes d’Hypocrisies, dont j’ai parlé d’abord, c’est à dire celle qui nous engage à tromper les autres, & celle qui nous reduit à nous en imposer à nous-mèmes, sont touchées d’une maniere très-belle & fort vive dans le Psaume CXXXIX. La vanité de la premiere y est étalée par des reflexions sur la toute sience & la toute présence de Dieu que l’Auteur y célèbre en des termes aussi poëtiques & aussi nobles que j’en aïe jamais vû dans aucune Pièce, sacrée ou profane. L’autre sorte d’Hypocrisie y est insinuée dans les deux derniers versets, où le Psalmiste adresse cette demande emphatique à celui qui sonde les cœurs & les reins : Zitat/Motto► O Dieu, sonde-moi, & cherche le fond de mon cœur : éprouve-moi, & examine mes pensées. Regarde, s’il y a quelque malice en moi, & veuille me conduire dans le chemin éternel. ◀Zitat/Motto
L. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1
1Psau, XIX. 13