Le Spectateur ou le Socrate moderne: XXXIV. Discours
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Niveau 1
XXXIV. Discours
Citation/Devise
dolor ipse
disertum
fecerat.
Ovid. Metam. L. XIII. 228.
La douleur, dont j’étois accablé, me rendoit éloquent.
fecerat.
Ovid. Metam. L. XIII. 228.
La douleur, dont j’étois accablé, me rendoit éloquent.
Metatextualité
Sur la Compassion,
& l’éloquence naturelle à la douleur.
Metatextualité
Sur la Compassion,
& l’éloquence naturelle à la douleur.
Niveau 2
Comme les Stoïciens bannissent toutes
les Passions en général, ils ne veulent pas que leur Sage prenne
aucune part aux afflictions des autres. Les plus
rigides de cette Secte n’en vouloient pas venir jusques à ce
dehors afecté ; & si l’on parloit à l’un d’eux de quelque
calamité survenue au plus cher de ses Amis, il répondoit
d’abord, Si l’on agravoit les circonstances de son
Malheur, & que l’on fît voir qu’il lui en étoit arrivé
plusieurs les uns à la suite des autres, il repondoit de
nouveau, Pour moi, je
croi que la Compassion n’aide pas seulement à
rasiner & à polir la Nature Humaine, mais qu’il y a quelque
chose de plus doux & de plus agréable que tout ce qu’on peut
trouver dans ce Bonheur plein d’indolence, ou cette
Insensibilité pour le Genre Humain, en quoi les Stoïciens
faisoient consister la Sagesse. La Pitié n’est autre chose que
l’Amour, la plus agréable de toute les Passions, adoucie par
quelque mêlange de Chagrin : C’est une espéce de Souci tendre,
ou une genéreuse Sympathie, qui unit tous les Hommes ensemble,
& les confond dans le même sort. Ceux qui ont donné des
régles sur l’Art Oratoire & le Poëtique conseillent à celui
qui écrit, soit en Prose ou en Vers d’exciter en lui-même le
degré de douleur qu’il veut inspirer aux autres. De là vient
qu’il n’y a Personne qui soit aussi en état d’émouvoir à la
Pitié que ceux qui racontent leurs propres soufrances. La
douleur a une Eloquence toute particuliere, & fournit des
traits plus pathetiques que la plus belle Imagination n’en
sauroit inventer. La Nature dicte en cette occasion mille
sentimens passionnez, où l’Art ne peut jamais atteindre. De là
vient aussi que les courtes Harangues ou les belles Sentences,
qu’on trouve souvent dans les Historiens, font plus d’impression
sur l’Esprit des Lecteurs, que les Endroits les plus étudiez
d’une Tragédie bien écrite. D’un côté le recit d’un Fait, ou
d’une grande Verité, met, pour ainsi dire, devant
nos yeux la Personne intéressé ; au lieu que de l’autre la
Fiction l’éloigné davantage de nôtre vûe. Je ne sache pas avoir
jamais lû une Histoire, ancienne ou moderne, plus touchante
qu’une Lettre d’Anne de Boulen, Epouse d’Henri VIII, & Mere
de la Reine Elizabeth :2On la
trouve écrite de sa propre main dans la Bibliotheque du
Chevalier Cotton. 3Shakespear, lui-même
n’auroit pû lui prêter un Stile si conforme à son état & à
son Caractère. On y voit le plaintes d’une Amante méprisée, les
ressentimens d’une Femme ofensée, & les chagrins d’une Reine
en prison. Il est presque inutile d’avertir mes Lecteurs que
cette Princesse étoit alors pousuivie en Justice pour avoir
souillé la couche du Roi, & qu’elle fut ensuite décapitée en
public à cette occasion, quoi que plusieurs aient cru qu’on lui
fit plûtôt son Procès à cause que le Roi étoit devenu amoureux
de Jeanne Seymour, que pour aucun crime qu’elle eût commis.
Voici de quelle maniere elle s’exprimoit dans cette Lettre.
L.
Citation/Devise
1Si vous voiez dit Epictete, votre Ami
dans le trouble, vous pouvez en paroitre afligé, & lui
témoigner même que vous y êtes sensible ; mais gardez-vous
bien d’en avoir une véritable douleur.
Citation/Devise
Qu’est-ce que cela
m’importe ?
Citation/Devise
Tout cela peut être
vrai ; mais qu’est-ce que cela me fait ?
Metatextualité
Lettre d’Anne de
Boulen à Henri VIII.
Metatextualité
Lettre d’Anne de
Boulen à Henri VIII.
Niveau 3
Lettre/Lettre au directeur
Sire, « Le déplaisir de Votre
Grandeur & mon emprisonnement me
paroissent des choses si étranges, que je ne sai point
du tout ni ce que je dois écrire ni sur quoi je dois
m’excuser. Vous m’avez envoïé dire, par un Homme, que
vous savez être mon Ennemi déclaré depuis longtems, que
pour obtenir votre faveur, je dois reconnoître une
certaine Verité. Il n’eut pas plûtôt fait son Message,
que je m’aperçus de votre dessein ; mais si, comme vous
le dites, l’aveu d’une Verité peut me procurer ma
délivrance, j’obéîrai à vos ordres de tout mon cœur
& avec une entiere soumission. Que votre Grandeur ne
s’imagine pas que votre pauvre Femme puisse jamais être
amenée à reconnoitre une Faute, dont la seule pensée ne
lui est pas venue dans l’Esprit. Pour vous dire la
verité, jamais Prince n’a eu une Femme plus fidéle à
l’égard de tous ses devoirs, & dans toute sorte
d’afection sincere, que celle que vous-avez trouvée en
la Personne d’Anne de Boulen, qui auroit pû se contenter
de ce nom & de son état, s’il avoit plu à Dieu &
votre Grandeur de l’y laisser. Mais au milieu de mon
élevation & de la Roïauté où vous m’avez admise, je
ne me suis jamais oubliée jusques à ce point, que je
n’ai toûjours aprehendé quelque Revers pareil à celui
qui m’arrive aujourd’hui ; Comme elle n’avoit pas un
fondement plus solide que la Fantaisie de votre
Grandeur, je croïois bien que la moindre
alteration seroit capable de vous tourner vers quelque
autre Objet. Vous m’avez élevée, d’un bas étage, à la
Roïauté, & à devenir votre Compagne, fort au-delà de
mon mérite, ou de mes desirs. Si donc vous m’avez crue
digne de cet honneur, ne soufrez pas, bon Prince,
qu’aucune Fantaisie volage, ou qu’aucun mauvais Conseil
de mes Ennemis, me prive de votre Faveur Roïale ; ne
soufrez pas, bon Prince, qu’une tache si noire & si
indigne, que celle d’avoir été infidéle à votre
Grandeur, ternisse la réputation de votre
très-obéïssante Femme, & de la jeune Princesse votre
Fille. Ordonnez, bon Roi, que l’on instruise mon
Procès ; mais que l’on y observe les Loix de la Justice,
& ne permetez pas que mes Ennemis jurez soient mes
Accusateurs & mes Juges : Ordonnez même qu’on me le
fasse en public, puis que ma Fidélité ne craint pas
d’être exposée à la honte ; alors vous verrez mon
Innocence justifiée, vos Soupçons levez, votre Esprit
satisfait, & la Calomnie réduite au silence, ou mon
Crime paroitra aux yeux de tout le monde. Ainsi, quoi
qu’il plaise à Dieu ou à vous d’ordonner de moi, votre
grandeur peut se garantir de la Censure publique, &
mon Crime étant une fois prouvé en Justice, vous êtes en
pleine liberté, devant Dieu & devant les Hommes,
non-seulement de me punir comme une Epouse
infidéle, mais de suivre votre inclination, que vous
avez déja fixée sur cette Personne, pour l’amour de
laquelle je me vois réduite dans cet état, & que
j’aurois pû vous nommer il y a long-tems, puis que votre
Grandeur n’ignore pas jusqu’où alloient mes soupçons à
cet égard. Mais si vous avez résolu de me perdre, &
que ma mort, fondée sur une infame Calomnie, vous
doivent mettre en possession du Bonheur que vous
souhaitez, je prie Dieu qu’il veuille vous pardonner ce
grand Crime, aussi bien qu’à mes Ennemis, qui en sont
les instrumens ; & qu’assis, au dernier jour, sur
son Trône, devant lequel vous & moi comparoitrons
bientôt, & où je ne doute pas, quoi que le monde
puisse croire de moi, que mon Innocence ne soit
ouvertement reconnue, je le prie, dis-je, qu
alors<sic> il ne vous fasse pas rendre un compte
rigoureux du traitement cruel & indigne que vous
m’aurez fait. La derniere & la seule chose que je
vous demanderai, est que je porte moi seule tout le
poids de votre indignation, & que ces pauvres &
innocens Gentilshommes, qui, à ce que j’ai ouï dire,
sont retenus, à cause de moi, dans une étroite Prison
n’en reçoivent aucun mal. Si jamais j’ai trouvé grace
auprès de vous ; si jamais le Nom d’Anne de Boulen a été
agréable à vos oreilles, soufrez que
j’obtienne ma demande, & je ne vous inquieterai plus
sur quoi que ce soit ; mais j’adresserai toûjours mes
ardentes Prieres à la Trinité, afin qu’il lui plaise
vous maintenir en sa bonne garde, & qu’elle vous
dirige dans toutes vos actions. De ma triste Prison à la
Tour le 6. de Mai. » Votre très-fidéle &
très-obéïssante Femme, Anne de Boulen.