Citazione bibliografica: Anonym (Ed.): "XXXI. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.4\031 (1720), pp. 183-188, edito in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Gli "Spectators" nel contesto internazionale. Edizione digitale, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1329 [consultato il: ].


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XXXI. Discours

Citazione/Motto► Nescio quâ præter solitum dulcedine læti.
Virg. Georg. I. 412.
Je ne sai, par quelle douce temperature de l’air, ils sont plus gais qu’à l’ordinaire. ◀Citazione/Motto

Metatestualità► Sur la Gaieté que le Printems nous donne, & le bon usage que l’on en peut faire. ◀Metatestualità

Livello 2► Occupé l’autre jour à examiner diverses Lettres que l’on m’a écrites, je tombai par hazard sur la suivante, que je reçus de Danemarc, il y a environ deux années, & qui me venoit d’un Ami fort spritituel. La voici mot pour mot.

De Copenhague le I. de Mai 1710.

Mon cher Monsieur,

« Le Printems s’est déja manifesté chez vous dans les Prairies & les Bois ; Tout y rit & invite à la Promenade ou à la Solitude, & à former des plaintes sur le moindre sujet : Les Amoureux commencent à gémir, & leurs blessures se renouvellent. De mon côté, quoi qu’éloigné de ces doux Climats, je ne suis pas sans mes chagrins. Peut-être vous moquerez-vous de moi, & que vous me prendrez pour un franc Visionaire, lors que je [184] vous aurai dit la cause de mon inquiétude ; avec tout cela, je ne saurois m’empêcher de me croire malheureux au pié de la lettre, lors que je me voi dans une Region, qui est les antipodes de l’ancien Paradis. Toutes les Saisons de l’Année y sont desagreables, & la Campagne y est destituée de tous les plaisirs champêtres. II y a deux ans que je n’ai pas entendu le chant d’un Oisillon, ni le murmure d’un Ruisseau, ni le soufle d’un Zephir, & que ma vûe n’a pas été régalée d’un seul Pré émaillé de fleurs. Chaque Vent forme ici un Orage, & tout amas d’eau y devient une Mer. Lors que vous reflechirez un peu là-dessus, je me flate que vous ne trouverez pas mes plaintes frivoles, ni indignes d’un Homme capable d’avoir des pensées serieuses ; puis que l’amour des Bois, des Champs & des Pleurs, des Rivieres & des Fontaines, semble être né dans le cœur de l’Homme, avant même que le beau Sexe fût au Monde. Je suis, &c. » ◀Lettera/Lettera al direttore ◀Livello 3

Si par un seul acte de ma Volonté, je pouvois me transporter d’un Païs à l’autre, je voudrois passer l’Hiver en Espagne, le Printems en Italie, l’Eté en Angleterre, & l’Automne en France. De toutes les Saisons, il n’y en a point, qui, pour la beauté & l’agrément, le puisse disputer au Printems. Il a le même éclat, entre les Saisons de l’Année, que le Matin à l’égard des dif-[185]férentes parties du Jour, ou la Jeunesse entre les Periodes de la Vie. L’Eté est plus agréable en Angleterre que dans aucun autre Païs de l’Europe, pour cela seul qu’on y voit un plus grand mêlange du Printems. La douceur de nôtre Climat, & les fréquentes Pluies, ou les Rosées, qui servent à y rafraichir l’air, donnent une face riante à nos Campagnes, & y entretiennent une verdure continuelle dans les Mois les plus chauds de l’Année.

A l’arrivée du Printemps, lors que toute la Nature commence à reprendre ses forces, le même plaisir animal qui fait chanter les Oiseaux, & qui réjouit toute l’engeance des Bêtes brutes, s’éleve d’une maniere très-sensible dans le cœur de l’Homme. Je ne sâche pas qu’il y ait aucun Poëte, qui ait si bien observé que Milton ces secrets épanchemens de joie qui saisissent l’Esprit de celui qui contemple les agréables Scènes de la Nature ; il y revient deux ou trois fois dans son Paradis perdu, & il en donne une très-belle description, sous le nom de Plaisir Printanier, dans cet endroit où il dit que le Diable lui-même y est presque sensible.

Divers Auteurs ont écrit sur la vanité de toutes les choses du Monde, & fait voir l’incapacité où elles sont de nous procurer aucun plaisir réel ou solide. Ces Discours peuvent être fort utiles aux Sensuels & aux Voluptueux ; mais les Speculations qui nous montrent les Créatures par leur bel [186] endroit, & qui nous étalent tous les plaisirs innocens que l’on goûte à l’occasion de plusieurs Objets qui nous environnent ne sont pas moins avantageuses aux Personnes d’une humour sombre & mélancolique.

C’est pour cela même que j’ai recommandé de la Gaieté de l’Esprit dans deux de mes derniers Discours, & que je la voudrois inculquer ici de nouveau, non seulement par la consideration de nous-mêmes, & de cet Etre infini duquel nous dépendons, ni par l’inspection générale de cet Univers où il nous a placez ; mais par des réflexions sur la 1 Saison de l’année où nous sommes. La Création est un Festin continuel pour l’Esprit d’un Homme de bien ; tout ce qu’il voit le rejouït & l’égaie ; la Providence a répandu tant d’agrémens sur la Nature, qu’il est impossible à un Esprit, que le Plaisir sensuel & grossier n’a pas abruti, de les envisager sans qu’il en reçoive une secrette joie. Le Psalmiste, dans plusieurs de ses divins Cantiques, a célébré ces belles & charmantes Scènes qui rejouïssent le Cœur de l’Homme, & y font naître ce Plaisir printanier, que Milton a si bien décrit.

La connoissance de la Physique releve le goût qu’on trouve à contempler les Ouvrages de la Nature, & sert non seulement à le rendre agréable à l’Imagination, mais aussi à l’Entendement. Elle ne s’arrête pas [187] au murmure des Ruisseaux, ni à la mélodie des Oiseaux, ni à l’ombre des Bois & des Forêts, ni l’émail des Prairies ; mais elle y observe différentes vûes de la Providence, & les traits miraculeux de la Sagesse Divine qui y brillent de toutes parts. Elle augmente les plaisirs de la Vûe, & excite dans l’Ame une si juste & noble admiration, qu’elle n’est pas fort éloignée de la Pieté.

Il n’est pas au pouvoir de toute sorte de Genies d’offrir cette espéce de Culte au grand Auteur de la Nature, & de s’abandonner à ces méditations rafinées de l’Esprit Humain, qui ne peuvent sans doute qu’être fort agréables à ses yeux : Ainsi, pour conclure ce petit Essai sur la Gaieté que cette Saison de l’Année inspire naturellement, je recommanderai un Exercice qui est à la portée de tout le monde.

Je voudrois donc que mes Lecteurs moralisassent un peu là-dessus, & qu’ils fissent, de ce Plaisir naturel de l’Ame, une Vertu Chrétienne. Lors que nous nous trouvons animez de cet agréable instinct, ou de cette satisfaction secrette, qui naît à la vue des beautez répandues dans l’Univers, examinons à qui nous sommes redevables de tous les plaisirs de nos Sens, & qui est celui 2 qui n’a pas plûtôt ouvert sa main, que ses Créatures sont rassasiées de ses biens. 3 Un Apôtre nous enseigne à tirer avantage de la situ-[188]ation où nos Esprits se trouvent, & à pratiquer quelque Exercice religieux conforme à cet état, lors qu’il exhorte ceux qui soufrent à prier Dieu, & ceux qui ont l’esprit content à chanter des Psaumes ou des Cantiques. La Gaieté, qui nous est inspirée à la vûë des Ouvrages de la Nature, ne peut que nous disposer à la Gratitude. L’esprit qui est rempli de cette joie secrette a fait un grand pas vers les Louanges & les actions de graces qu’il doit à son Créateur : Un sentiment de reconnoissance pour l’Etre suprême qui la produit, la sanctifie dans l’Ame, & lui donne son juste prix. Cette disposition d’Esprit, formée en habitude, consacre tout ce qui s’offre à nos yeux, soit un Champ ou un Bois ; elle tourne une Promenade ordinaire en un Sacrifice du matin ou du soir, &, de ces raïons passagers de joie qui brillent dans l’Ame & la rafraîchissent en ces occasions, elle en fera un état permanent, un bonheur inalterable & continuel.

L. ◀Livello 2 ◀Livello 1

1A la fin du Mois de Mai.

2Psaum, CIV. 18.

3S. Jag. V. 13