Le Spectateur ou le Socrate moderne: XXXI. Discours
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Nivel 1
XXXI. Discours
Cita/Lema
Nescio quâ præter
solitum dulcedine læti.
Virg. Georg. I. 412.
Je ne sai, par quelle douce temperature de l’air, ils sont plus gais qu’à l’ordinaire.
Virg. Georg. I. 412.
Je ne sai, par quelle douce temperature de l’air, ils sont plus gais qu’à l’ordinaire.
Metatextualidad
Sur la Gaieté que le
Printems nous donne, & le bon usage que l’on en peut
faire.
Metatextualidad
Sur la Gaieté que le
Printems nous donne, & le bon usage que l’on en peut
faire.
Nivel 2
Occupé l’autre jour à examiner
diverses Lettres que l’on m’a écrites, je tombai par hazard sur
la suivante, que je reçus de Danemarc, il y a environ deux
années, & qui me venoit d’un Ami fort spritituel. La voici
mot pour mot.
Si par un seul acte de ma Volonté, je pouvois me
transporter d’un Païs à l’autre, je voudrois passer l’Hiver en
Espagne, le Printems en Italie, l’Eté en Angleterre, &
l’Automne en France. De toutes les Saisons, il n’y en a point,
qui, pour la beauté & l’agrément, le puisse disputer au
Printems. Il a le même éclat, entre les Saisons de l’Année, que
le Matin à l’égard des différentes parties du
Jour, ou la Jeunesse entre les Periodes de la Vie. L’Eté est
plus agréable en Angleterre que dans aucun autre Païs de
l’Europe, pour cela seul qu’on y voit un plus grand mêlange du
Printems. La douceur de nôtre Climat, & les fréquentes
Pluies, ou les Rosées, qui servent à y rafraichir l’air, donnent
une face riante à nos Campagnes, & y entretiennent une
verdure continuelle dans les Mois les plus chauds de l’Année. A
l’arrivée du Printemps, lors que toute la Nature commence à
reprendre ses forces, le même plaisir animal qui fait chanter
les Oiseaux, & qui réjouit toute l’engeance des Bêtes
brutes, s’éleve d’une maniere très-sensible dans le cœur de
l’Homme. Je ne sâche pas qu’il y ait aucun Poëte, qui ait si
bien observé que Milton ces secrets épanchemens de joie qui
saisissent l’Esprit de celui qui contemple les agréables Scènes
de la Nature ; il y revient deux ou trois fois dans son Paradis
perdu, & il en donne une très-belle description, sous le nom
de Plaisir Printanier, dans cet endroit où il dit que le Diable
lui-même y est presque sensible. Divers Auteurs ont écrit sur la
vanité de toutes les choses du Monde, & fait voir
l’incapacité où elles sont de nous procurer aucun plaisir réel
ou solide. Ces Discours peuvent être fort utiles aux Sensuels
& aux Voluptueux ; mais les Speculations qui nous montrent
les Créatures par leur bel endroit, & qui nous
étalent tous les plaisirs innocens que l’on goûte à l’occasion
de plusieurs Objets qui nous environnent ne sont pas moins
avantageuses aux Personnes d’une humour sombre &
mélancolique. C’est pour cela même que j’ai recommandé de la
Gaieté de l’Esprit dans deux de mes derniers Discours, & que
je la voudrois inculquer ici de nouveau, non seulement par la
consideration de nous-mêmes, & de cet Etre infini duquel
nous dépendons, ni par l’inspection générale de cet Univers où
il nous a placez ; mais par des réflexions sur la 1Saison de l’année où nous
sommes. La Création est un Festin continuel pour l’Esprit d’un
Homme de bien ; tout ce qu’il voit le rejouït & l’égaie ; la
Providence a répandu tant d’agrémens sur la Nature, qu’il est
impossible à un Esprit, que le Plaisir sensuel & grossier
n’a pas abruti, de les envisager sans qu’il en reçoive une
secrette joie. Le Psalmiste, dans plusieurs de ses divins
Cantiques, a célébré ces belles & charmantes Scènes qui
rejouïssent le Cœur de l’Homme, & y font naître ce Plaisir
printanier, que Milton a si bien décrit. La connoissance de la
Physique releve le goût qu’on trouve à contempler les Ouvrages
de la Nature, & sert non seulement à le rendre agréable à
l’Imagination, mais aussi à l’Entendement. Elle ne s’arrête pas
au murmure des Ruisseaux, ni à la mélodie des
Oiseaux, ni à l’ombre des Bois & des Forêts, ni l’émail des
Prairies ; mais elle y observe différentes vûes de la
Providence, & les traits miraculeux de la Sagesse Divine qui
y brillent de toutes parts. Elle augmente les plaisirs de la
Vûe, & excite dans l’Ame une si juste & noble
admiration, qu’elle n’est pas fort éloignée de la Pieté. Il
n’est pas au pouvoir de toute sorte de Genies d’offrir cette
espéce de Culte au grand Auteur de la Nature, & de
s’abandonner à ces méditations rafinées de l’Esprit Humain, qui
ne peuvent sans doute qu’être fort agréables à ses yeux : Ainsi,
pour conclure ce petit Essai sur la Gaieté que cette Saison de
l’Année inspire naturellement, je recommanderai un Exercice qui
est à la portée de tout le monde. Je voudrois donc que mes
Lecteurs moralisassent un peu là-dessus, & qu’ils fissent,
de ce Plaisir naturel de l’Ame, une Vertu Chrétienne. Lors que
nous nous trouvons animez de cet agréable instinct, ou de cette
satisfaction secrette, qui naît à la vue des beautez répandues
dans l’Univers, examinons à qui nous sommes redevables de tous
les plaisirs de nos Sens, & qui est celui 2qui n’a pas plûtôt ouvert sa main, que ses
Créatures sont rassasiées de ses biens. 3Un Apôtre nous enseigne à tirer avantage de la
situation où nos Esprits se trouvent, & à
pratiquer quelque Exercice religieux conforme à cet état, lors
qu’il exhorte ceux qui soufrent à prier Dieu, & ceux qui ont
l’esprit content à chanter des Psaumes ou des Cantiques. La
Gaieté, qui nous est inspirée à la vûë des Ouvrages de la
Nature, ne peut que nous disposer à la Gratitude. L’esprit qui
est rempli de cette joie secrette a fait un grand pas vers les
Louanges & les actions de graces qu’il doit à son Créateur :
Un sentiment de reconnoissance pour l’Etre suprême qui la
produit, la sanctifie dans l’Ame, & lui donne son juste
prix. Cette disposition d’Esprit, formée en habitude, consacre
tout ce qui s’offre à nos yeux, soit un Champ ou un Bois ; elle
tourne une Promenade ordinaire en un Sacrifice du matin ou du
soir, &, de ces raïons passagers de joie qui brillent dans
l’Ame & la rafraîchissent en ces occasions, elle en fera un
état permanent, un bonheur inalterable & continuel. L.
Nivel 3
Carta/Carta al director
De Copenhague le I. de Mai
1710. Mon cher Monsieur, « Le Printems s’est
déja manifesté chez vous dans les Prairies & les
Bois ; Tout y rit & invite à la Promenade ou à la
Solitude, & à former des plaintes sur le moindre
sujet : Les Amoureux commencent à gémir, & leurs
blessures se renouvellent. De mon côté, quoi qu’éloigné
de ces doux Climats, je ne suis pas sans mes chagrins.
Peut-être vous moquerez-vous de moi, & que vous me
prendrez pour un franc Visionaire, lors que je vous aurai dit la cause de mon inquiétude ;
avec tout cela, je ne saurois m’empêcher de me croire
malheureux au pié de la lettre, lors que je me voi dans
une Region, qui est les antipodes de l’ancien Paradis.
Toutes les Saisons de l’Année y sont desagreables, &
la Campagne y est destituée de tous les plaisirs
champêtres. II y a deux ans que je n’ai pas entendu le
chant d’un Oisillon, ni le murmure d’un Ruisseau, ni le
soufle d’un Zephir, & que ma vûe n’a pas été régalée
d’un seul Pré émaillé de fleurs. Chaque Vent forme ici
un Orage, & tout amas d’eau y devient une Mer. Lors
que vous reflechirez un peu là-dessus, je me flate que
vous ne trouverez pas mes plaintes frivoles, ni indignes
d’un Homme capable d’avoir des pensées serieuses ; puis
que l’amour des Bois, des Champs & des Pleurs, des
Rivieres & des Fontaines, semble être né dans le
cœur de l’Homme, avant même que le beau Sexe fût au
Monde. Je suis, &c. »
Si par un seul acte de ma Volonté, je pouvois me
transporter d’un Païs à l’autre, je voudrois passer l’Hiver en
Espagne, le Printems en Italie, l’Eté en Angleterre, &
l’Automne en France. De toutes les Saisons, il n’y en a point,
qui, pour la beauté & l’agrément, le puisse disputer au
Printems. Il a le même éclat, entre les Saisons de l’Année, que
le Matin à l’égard des différentes parties du
Jour, ou la Jeunesse entre les Periodes de la Vie. L’Eté est
plus agréable en Angleterre que dans aucun autre Païs de
l’Europe, pour cela seul qu’on y voit un plus grand mêlange du
Printems. La douceur de nôtre Climat, & les fréquentes
Pluies, ou les Rosées, qui servent à y rafraichir l’air, donnent
une face riante à nos Campagnes, & y entretiennent une
verdure continuelle dans les Mois les plus chauds de l’Année. A
l’arrivée du Printemps, lors que toute la Nature commence à
reprendre ses forces, le même plaisir animal qui fait chanter
les Oiseaux, & qui réjouit toute l’engeance des Bêtes
brutes, s’éleve d’une maniere très-sensible dans le cœur de
l’Homme. Je ne sâche pas qu’il y ait aucun Poëte, qui ait si
bien observé que Milton ces secrets épanchemens de joie qui
saisissent l’Esprit de celui qui contemple les agréables Scènes
de la Nature ; il y revient deux ou trois fois dans son Paradis
perdu, & il en donne une très-belle description, sous le nom
de Plaisir Printanier, dans cet endroit où il dit que le Diable
lui-même y est presque sensible. Divers Auteurs ont écrit sur la
vanité de toutes les choses du Monde, & fait voir
l’incapacité où elles sont de nous procurer aucun plaisir réel
ou solide. Ces Discours peuvent être fort utiles aux Sensuels
& aux Voluptueux ; mais les Speculations qui nous montrent
les Créatures par leur bel endroit, & qui nous
étalent tous les plaisirs innocens que l’on goûte à l’occasion
de plusieurs Objets qui nous environnent ne sont pas moins
avantageuses aux Personnes d’une humour sombre &
mélancolique. C’est pour cela même que j’ai recommandé de la
Gaieté de l’Esprit dans deux de mes derniers Discours, & que
je la voudrois inculquer ici de nouveau, non seulement par la
consideration de nous-mêmes, & de cet Etre infini duquel
nous dépendons, ni par l’inspection générale de cet Univers où
il nous a placez ; mais par des réflexions sur la 1Saison de l’année où nous
sommes. La Création est un Festin continuel pour l’Esprit d’un
Homme de bien ; tout ce qu’il voit le rejouït & l’égaie ; la
Providence a répandu tant d’agrémens sur la Nature, qu’il est
impossible à un Esprit, que le Plaisir sensuel & grossier
n’a pas abruti, de les envisager sans qu’il en reçoive une
secrette joie. Le Psalmiste, dans plusieurs de ses divins
Cantiques, a célébré ces belles & charmantes Scènes qui
rejouïssent le Cœur de l’Homme, & y font naître ce Plaisir
printanier, que Milton a si bien décrit. La connoissance de la
Physique releve le goût qu’on trouve à contempler les Ouvrages
de la Nature, & sert non seulement à le rendre agréable à
l’Imagination, mais aussi à l’Entendement. Elle ne s’arrête pas
au murmure des Ruisseaux, ni à la mélodie des
Oiseaux, ni à l’ombre des Bois & des Forêts, ni l’émail des
Prairies ; mais elle y observe différentes vûes de la
Providence, & les traits miraculeux de la Sagesse Divine qui
y brillent de toutes parts. Elle augmente les plaisirs de la
Vûe, & excite dans l’Ame une si juste & noble
admiration, qu’elle n’est pas fort éloignée de la Pieté. Il
n’est pas au pouvoir de toute sorte de Genies d’offrir cette
espéce de Culte au grand Auteur de la Nature, & de
s’abandonner à ces méditations rafinées de l’Esprit Humain, qui
ne peuvent sans doute qu’être fort agréables à ses yeux : Ainsi,
pour conclure ce petit Essai sur la Gaieté que cette Saison de
l’Année inspire naturellement, je recommanderai un Exercice qui
est à la portée de tout le monde. Je voudrois donc que mes
Lecteurs moralisassent un peu là-dessus, & qu’ils fissent,
de ce Plaisir naturel de l’Ame, une Vertu Chrétienne. Lors que
nous nous trouvons animez de cet agréable instinct, ou de cette
satisfaction secrette, qui naît à la vue des beautez répandues
dans l’Univers, examinons à qui nous sommes redevables de tous
les plaisirs de nos Sens, & qui est celui 2qui n’a pas plûtôt ouvert sa main, que ses
Créatures sont rassasiées de ses biens. 3Un Apôtre nous enseigne à tirer avantage de la
situation où nos Esprits se trouvent, & à
pratiquer quelque Exercice religieux conforme à cet état, lors
qu’il exhorte ceux qui soufrent à prier Dieu, & ceux qui ont
l’esprit content à chanter des Psaumes ou des Cantiques. La
Gaieté, qui nous est inspirée à la vûë des Ouvrages de la
Nature, ne peut que nous disposer à la Gratitude. L’esprit qui
est rempli de cette joie secrette a fait un grand pas vers les
Louanges & les actions de graces qu’il doit à son Créateur :
Un sentiment de reconnoissance pour l’Etre suprême qui la
produit, la sanctifie dans l’Ame, & lui donne son juste
prix. Cette disposition d’Esprit, formée en habitude, consacre
tout ce qui s’offre à nos yeux, soit un Champ ou un Bois ; elle
tourne une Promenade ordinaire en un Sacrifice du matin ou du
soir, &, de ces raïons passagers de joie qui brillent dans
l’Ame & la rafraîchissent en ces occasions, elle en fera un
état permanent, un bonheur inalterable & continuel. L.
Nivel 3
Carta/Carta al director
De Copenhague le I. de Mai
1710.