Le Spectateur ou le Socrate moderne: XXX. Discours
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Nivel 1
XXX. Discours
Cita/Lema
Per ambages, Deorùmque
ministerial, præcipitandus est liber Spiritus.
Petr. Satyric. Cap. 118.
1Un Homme qui parle avec trop de franchise mérite d’être précipité par le ministere des Dieux.
Petr. Satyric. Cap. 118.
1Un Homme qui parle avec trop de franchise mérite d’être précipité par le ministere des Dieux.
Metatextualidad
Metamorphose de Fidelio
en Miroir.
Metatextualidad
Metamorphose de Fidelio
en Miroir.
Nivel 2
Carta/Carta al director
Mr. le Spectateur. « Je me trouvai
en dernier lieu à boire du Thé avec jeunes Dames, qui
entretinrent la Compagnie d’une Coquette du voisinage, qu’on
avoit surprise à faire toutes ses petites minauderies à se
composer devant son Miroir. Pour rompre les Chiens, &
détourner un discours, qui commençoit à devenir malin, de
spirituel qu’il étoit d’abord, la Maîtresse du Logis en prit
occasion de souhaiter qu’il y eût, entre les Hommes d’aussi
fidèles Conseillers, pour diriger les Dames à orner leur Esprit, que le sont les Mirois pour leur aider
à parer leur Corps. Elle ajoûta que, si un Ami sincere
venoit, par quelque prodige, à être métamorphosé en Miroir,
elle n’auroit pas honte de le consulter souvent. Cette
pensée grotesque opera si bien toute la soirée sur mon
Imagination, que, la nuit suivante, je fis un Rêve qui n’est
pas moins étrange, & dont voici le détail.
Nivel 3
Sueño
Il me sembla que, debout
devant mon Miroir, j’y aperçus la figure d’un jeune
Homme, qui avoit l’air franc & ouvert, &
qui, d’un ton de voix aigu, me parla en ces termes :
Nivel 4
Diálogo
Le Miroir, que vous
voïez, étoit autrefois un Homme, c’est-à-dire,
moi-même, l’infortuné Fidelio. Ces étranges disparitez plaisoient une ou
deux fois à la Compagnie ; mais l’on s’en
dégoûtoit à la fin ; de sorte qu’on les retira de
la Cour, & qu’ils furent envoïez à
l’Université pour y étudier les Mathématiques. Il
est inutile de vous dire que j’étois bien-fait de
ma personne, & que j’avois la reputation
d’être un Gentilhomme poli, & de briller en
Compagnie. J’étois le Confident & le Mignon de
toutes les Belles ; & si le Vieilles ou 1es
Laides parloient mal de moi, tout le monde sait
qu’elles étoient animées d’un esprit de vengeance,
au desespoir de ce que je ne voulois pas les
flater. Quoi qu’il en soit, ni les unes, ni les
autres n’alloient jamais au Bal ou aux Assemblées
qu’après avoir consulté mon goût. Flavie coloroit
ses cheveux en ma presence, Celie me montroit ses
dents ; Panthé´e enfloit sa gorge, & Cléanthe
faisoit briller son Diamant à mes yeux ; J’ai vû
le pié de Cloé, & j’ai attaché, avec beaucoup
d’artifice, les jartieres de Rhodope. C’est une
Maxime génerale, que les Personnes qui s’aiment
trop elles-mêmes n’ont guére d’affection pour les
autres : J’ai remarqué, avec tout cela, que plus
les Dames étoient prévenues en leur faveur, plus
elles avoient de la tendresse pour moi. Cela parut
dans mes Amours avec Philautie, qui
m’étoit si dévouée, que l’on disoit fort
plaisamment que, si j’avois été assez petit, elle
m’auroit toûjours porté pendu à sa Ceinture. Mon
plus dangereux Rival fut un certain Sot enjoué,
qui, par une longue habitude avec elle & ses
dons naturels, lui étoit devenu semblable à tous
égards. Elle n’auroit pas manqué de me bannir, si
elle ne s’étoit aperçue qu’il me demandoit souvent
mon avis sur des matieres de la derniere
conséquence ; & ce fut cela même qui me rendit
plus cher à ses yeux. Quoi que je fusse toûjours
caressé des Dames, les Hommes avoient si bonne
opinion de ma Vertu, qu’ils ne me portérent jamais
envie.
Je ne finirois pas si je m’amusois à vous
parler de toutes mes avantures. Soufrez donc que
j’en vienne au plûtôt à celle où je reçûs le coup
de mort, & où Philautie trouva son bonheur.
Cupidon, qui suit toujours les Belles,
& qui eut pitié du sort d’un aussi fidéle
serviteur que moi, obtint, de la Destinée, que mon
Corps seroit incorruptible, & qu’il
retiendroit les qualitez de mon Esprit. Je perdis
aussitôt la Figure Humaine, je devins poli &
brillant, & jusques à ce jour je suis le
premier Favori des Dames. »
Retrato ajeno
J’avois deux Freres, dont la diformité
du corps étoit réparée par la beauté de leur
Esprit : Mais, avec tout cela, chacun d’eux, comme
il est assez ordinaire, avoit un travers d’Esprit
qui répandoit à la bizarre fabrique de son Corps.
L’aine, dont le Ventre s’enfonçoit en dedans d’une
maniere monstrueuse, étoit un grand Poltron &
quoi que son humeur splénique lui fît prendre feu
tout-d’un coup, elle servoit à lui grossir les
Objets qui venoient à le choquer, au-delà de leur
naturel. Le second, dont la Poitrine s’élevoit en
bosse, prenoit au contraire à tâche de diminuer
tout, & l’on peut dire qu’il étoit à tous
égards, les Antipodes de son Frere.
Nivel 5
Relato general
Un Amant jaloux de
Philaute crut un jour de l’avoir surprise dans un
Entretien amoureux ; &, malgré la distance, où
il étoit, qui l’empêchoit d’entendre, il se figura
mille chimeres à la vûe de ses airs & de ses
gestes. Il est vrai que, retirée dans sa Chambre,
tantôt elle reculoit quelques pas en arriere, avec
un air serain et atentif, & qu’il lui échapoit
ensuite un petit souris innocent : Tantôt elle
prenoit un air dédaigneux, quoi que plein de
majesté ; elle fermoit à-demi les yeux d’une
maniere languissante ; elle se couvroit le visage
d’une main, après avoir rougi ; Tantôt elle
lâchoit un soupir, & 1’on auroit dit qu’elle
étoit prête à rendre l’ame. Frapé de
ces attitudes, l’Amant furibond parut ; mais dans
quelle surprise ne tomba-t-il pas de n’y voir que
l’innocent Fidelio tout seul avec le dos apuïé
contre la muraille, & placé entre deux
Croisées.
Nivel 5
Relato general
Elle eut
malheureusement la petite Vérole, & l’on me
défendit d’une maniere bien expresse de la voir,
dans la crainte que ma vûe n’augmentât son mal,
& que je ne l’atrapasse moi-même du premier
coup d’œil. Aussitôt qu’on lui eut permis de
rester levée dans sa Chambre, elle en sortit un
jour en cachette, pour se rendre à l’Apartement
voisin, où elle me trouva tout seul. D’abord elle
courut vers moi, avec des transports de joie,
& sans craindre, le moins du monde, aucun
rebut de ma part. Mais helas ! de quelle fureur ne
la vis-je pas animée, lors qu’elle entendit que
j’étois éfraïé à la vûe d’un spectable si
dégoûtant ? Bousie de rage, elle se recula, pour
voir si j’aurois l’insolence de le repeter de
nouveau. Je n’y manquai point, & je lui dis
même de plus, que sa passion mal ordonnée
augmentoit sa laideur. Incapable de se retenir,
& au desespoir, elle saisit une Aiguille de
tête, & me l’enfonça dans le cœur
de toute sa force. Il n’y eut pas moïen de
survivre à ce trait ; mais je gardai ma sincerité
jusque’au bout ; j’exprimai toûjours mes
véritables sentimens, quoi qu’avec des paroles
entrecoupées, &, par des grimaces pleines de
reproches, j’anonçai jusques à mon dernier soupir
la diformité de ma Meurtriere.
1Cette traduction a plus de rapport au sujet de ce Discours, qu’au sens de l’Original, qui est tout autre & qui regarde l’Enthousiasme poëtrique. On peut voir ce passage dans Petrone p. 146 Etid. Paris. Cum Notis Bourdelotti, etc. in 12 Ao. 1677, ou dans le II. Tome, p. 120 du Petrone Latin & François, suivans le MS. trouvé à Belgrade en 1688. nouv. Edition in 8 ; 1709