Le Spectateur ou le Socrate moderne: XXIX. Discours
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Ebene 1
XXIX. Discours
Zitat/Motto
Non tu prece poscis
emaci,
Quae nisi seductis nequeas committere Divis.
At bona pars procerum tacitâ libabit acerrâ. Haud cuivis promptum est, murmurque humilesque susurros
Tollere de Templis; et aperto vivere voto.
Mens bona, fama, fides, haec clarè, et ut audiat hospes.
Illa sibi introrsùm, et sub lingua immurmurat: ô si Ebulliat patruus praeclarum funus! Et, o si
Sub rastro crepet argenti mihi seria dextro
Hercule! pupillumve utinam, auem proximus haeres
Impello, expungam!
Pers. S. II. 3-13.
Vous ne prétendez pas acheter, si j’ose parler ainsi, par de somptueux sacrifices, certaines graces qu’on ne demande aux Dieux qu’après avoir tâché de les corrompre. La plûpart de nos grands Seigneurs ne vous ressemblent pas ; ils viennent presenter de l’encens aux Dieux ; mais leur vœux & leurs prieres se font sans que personne sâche ce qu’ils disent, ils ont pour cela leurs raisons. Hélas ! Il n’est pas facile de bannir des Temples ces sortes de prieres , qui se font à voix basse & à petit bruit. Voici ce qu'ils demandent tout haut, & que tout le monde entend : Grands Dieux, donnez-nous de l’esprit, du crédit, de la reputation. Et que demandent-ils tout bas, & marmotant entre leurs dents ? Ah ! dit l’un, si mon Oncle mouroit subitement ! que je plaindrois peu la dépense d'un superbe Convoi ! Ah, dit l’autre, si je pouvois, à la faveur d’Hercule, trouver un trésor en labourant ma terre ! Si je pouvois, dit celui-ci, supplanter ce Pupille, substituer, dans ce Testament, mon Nom à la place du sien !
Quae nisi seductis nequeas committere Divis.
At bona pars procerum tacitâ libabit acerrâ. Haud cuivis promptum est, murmurque humilesque susurros
Tollere de Templis; et aperto vivere voto.
Mens bona, fama, fides, haec clarè, et ut audiat hospes.
Illa sibi introrsùm, et sub lingua immurmurat: ô si Ebulliat patruus praeclarum funus! Et, o si
Sub rastro crepet argenti mihi seria dextro
Hercule! pupillumve utinam, auem proximus haeres
Impello, expungam!
Pers. S. II. 3-13.
Vous ne prétendez pas acheter, si j’ose parler ainsi, par de somptueux sacrifices, certaines graces qu’on ne demande aux Dieux qu’après avoir tâché de les corrompre. La plûpart de nos grands Seigneurs ne vous ressemblent pas ; ils viennent presenter de l’encens aux Dieux ; mais leur vœux & leurs prieres se font sans que personne sâche ce qu’ils disent, ils ont pour cela leurs raisons. Hélas ! Il n’est pas facile de bannir des Temples ces sortes de prieres , qui se font à voix basse & à petit bruit. Voici ce qu'ils demandent tout haut, & que tout le monde entend : Grands Dieux, donnez-nous de l’esprit, du crédit, de la reputation. Et que demandent-ils tout bas, & marmotant entre leurs dents ? Ah ! dit l’un, si mon Oncle mouroit subitement ! que je plaindrois peu la dépense d'un superbe Convoi ! Ah, dit l’autre, si je pouvois, à la faveur d’Hercule, trouver un trésor en labourant ma terre ! Si je pouvois, dit celui-ci, supplanter ce Pupille, substituer, dans ce Testament, mon Nom à la place du sien !
Metatextualität
Allegorie des payens
sur la Priere.
Metatextualität
Allegorie des payens
sur la Priere.
Ebene 2
Allgemeine Erzählung
Lors qu’Homere, introduit Phoenix
sur la Scène, pour engager Achille à bannir son
ressentiment, & à se rendre aux instances de ses
Compatriotes, il le fait parler d’une maniere conforme à son
Caractère, & il lui prête un Dicours plein de ces Fables
& de ces Allégories que les Vieillards se plaisent à
raconter, & qui sont d’ailleurs fort instructives.
Cette noble Allégorie n'a pas besoin d'explication ;
car, soit que la Déesse Até, qui est le mot de l'Original,
signifie l’Injure, comme Madame Dacier l’a traduit ; ou le
Crime en général, comme d’autres l’entendent ; ou la Justice
Divine, comme je le croirois plûtôt ; il est facile d’en
pénétrer le sens.
Malgré la singularité de cette Fable à certains
égards, ou le ridicule, si l'on veut, la Morale en est
très-bonne, & mérite bien notre atention. C'est la même
qui a été inculquée par Socrate & par Platon pour ne
rien dire de Juvenal & de Perse, qui ont fait là-dessus
la plus belle de toutes leurs Satires. On y découvre la
vanité des souhaits de l'esprit humain, qui sont une espèce
de Prieres naturelles, de même que le ridicule de plusieurs
actes secrets de la dévotion que les hommes ofrent à la
Divinité. Entre les différentes raisons qu'on allégue pour
avoir une Liturgie fixe dans le Service public, j'ai
toûjours cru qu'une des meilleures étoit, qu'on-retient
par-là dans de justes bornes la folie & l'extravagance
de nos desirs, & qu'on les empêche de s’évaporer en
demandes absurdes & impertinentes.
Ebene 3
Allegorie
« 1Les Dieux, dit Phoenix à son Eleve, ne
se laissent-ils pas fléchir, eux à qui appartiennent
proprement la Vertu, la Force & la Gloire ? Tous
les jours les Hommes, après les avoir
offensez par des transgressions crimmelles,
parviennent enfin à les appaiser par des vœux, par
des presens, par des sacrifices, par des libations
& par des prieres ; car vous devez savoir, mon
Fils, que les Prieres sont Filles de Jupiter ; elles
sont boiteuses, ridées, toûjours les yeux baissez,
toûjours tampantos, & toûjours humilées ; elles
marchent tôujours après l’Injure ; car l’Injure
altiere, pleine de confiance en ses propres forces,
& d’un pié leger, les devance toûjours, &
parcourt la Terre pour offenser les Hommes, &
les humbles Prieres la suivent pour guérir les maux
qu’elle a faits. Celui qui les respecte & qui
les écoute en reçoit de grands secours ; elles
l'écoutent à leur tour dans ses besoins, &
portent ses vœux aux piez du trône du grand
Jupiter ; mais celui qui les refuse & les
rejette éprouve à son tour leur redoutable
courroux ; elles prient leur Pere d'ordonner à
l’Injure de punir ce cœur barbare & intraitable,
& de venger le refus qu'elles en ont reçu. »
Metatextualität
Je vais inserer ici une autre Fable Païenne, qui regarde
les Prieres & qui est d'un tour plus divertissant.
Si l'on en jugeoit par quelques endroits qu’il y a, on
croiroit que Lucien en est l’Auteur, ou du moins qu’un
autre a tâché d’imiter son Stile ; mais comme les
recherches de cette nature sont plus curieuses que d’une
grande utilité, je donnerai cette Fable sans
m’embarrasser de son Auteur.
Ebene 3
Fabel
« Lors que JUPITER eut
introduit, pour la seconde fois, le Philosophe
Menippe dans le Ciel, il voulut fournir de la
matiere à ses speculations, & leva une Trape qui
étoit placée tout auprès de son Marche-pié. Il
sortit d’abord de cet endroit un si grand bruit
& tant de cris, que le Philosophe en fut étonné.
Sur ce qu’il demanda ce que c’étoit ; Jupiter lui
dit que c’étoit les Prieres que les Hommes lui
adressoient. Au milieu de cette confusion de Voix,
que la seule Oreille de Jupiter pouvoit distinguer,
Menippe entendit repéter, en différens Tons &
Langages, les mots Richesses, Honeurs & une
longe Vie. Lors que le premier charivari de ces
Voix, qui montoient en foule, eut passé, on les
entendit d’une maniere plus distincte. La premiere,
qui venoit d’Athènes, fut remarquable par sa grande
singularité ; elle demandoit à Jupiter qu’il voulût
bien augmenter la Sagesse & la Barbe de son
très-humble Supliant. Menippe connut, au ton de la Voix, que c’étoit la Priere de son
Ami Licandre le Philosphe. Celle-ci fut suivie de la
Requête d’un autre qui venoit de charger un
Vaisseau, & qui promettoit à Jupiter que, s’il
avoit soin de le ramener heureusement au Port avec
de grandes richesses, il lui ofriroit une Coupe
d’argent. Jupiter n’en fit pas le moindre cas ; mais
il inclina son oreille avec plus d’atention qu’à
l’ordinaire, pour entendre une Voix qui se plaignit
de la cruauté d’une Veuve Ephesienne, & qui le
pria de vouloir exciter la compassion dans son cœur.
Celui-ci, dit Jupiter, est un fort galant Homme,
j’ai reçu beaucoup d’Encens de sa part, je ne veux
pas avoir la cruauté d’exaucer sa Priere. Il fut
alors interrompu par une volée entiere de Vœux qu’on
lui adressoit pour la santé d’un Tyran, & que
ses Sujets faisoient en sa presence. Menippe, qui
remarqua l’ardeur & le zèle dont ces Vœux
étoient accompagnez, fut bien surpris d’entendre de
petits Murmures qui venoient de la même Assemblée,
qui se plaignoient à Jupiter de ce qu’il laissoit
vivre un pareil Tyran, & qui lui demandoient
s’il n’avoit point de Foudres pour l’écraser ?
Jupiter fut si choqué de l’hypocrisie de ces
Marauts, qu’il admît les premiers Vœux, & qu’il
soufla les autres. A la vûe d’un gros Nuage qui
montoit vers le haut de la Trape, le Philosphe lui
demanda ce que c’étoit. Ceci, dit
Jupiter ; est la fumée d’une Hétacombe qu’un Général
vient de m’ofrir, il me sollicite beaucoup afin que
je l’aide à tailler en piéces une Armée de cent
mille Hommes qui est rangée en bataille contre la
sienne : Qu’est-ce que ce miserable Impudent croit
que je trouve en lui pour s’être mis dans l’esprit
que j’immolerai à sa gloire la vie de tant de
Mortels qui le valent bien lui-même ? Mais prêtez
l’oreille, ajouta-t-il, il y a une Voix que je n’ai
jamais entendue que lors qu’une Personne se trouve
en danger ; Oh ! c’est un Maraut qui a fait naufrage
dans la Mer d’Ionie : Il n’y a que trois jours que
je le sauvai sur une Planche, sur ce qu’il me promit
de changer de train ; Le perfide qu’il est ne vaut
pas quatre deniers, & avec tout cela il a
l’impudence de m’ofrir un Temple, si je veux
l’empêcher de couler à fond. ―― Qui est-ce donc que
je voi là-bas, continua-t-il ? Oh ! C’est un jeune
Gaillard, qui me suplie de retirer son Pere des
calamitez de la Vie Humaine, pour jouïr lui-même
d’un bien considerable. Mais qu’il ne s’y atende
pas ; malgré lui & ses dents, le bon Homme vivra
plusieurs années pour le faire enrager. Là-dessus on
entendit la douce voix d’une Dame pieuse, qui
demandoit à Jupiter la grace de paroitre aimable
& charmante aux yeux de son Empereur. Dans le
tems que le Philosophe ruminoit sur cette demande
extraordinaire, un petit Vent s’éleva
du fond de la Trape, qu’il prit d’abord pour un
Zéphir ; mais qu’il s’aperçut bientôt n’être qu’une
Brize de Soupirs : Ils avoient une odeur forte
d’Encens & de Fleurs, & ils furent suivis de
Plaintes les plus tragiques sur des blessures &
des tourmens, des feux & des flammes, la
Cruauté, la Rage, le Desespoir & la Mort.
Menippe s’imagina que tous ces Cris lamentables
venoient de quelque Execution genérale, ou de
quelques Malheureux qui soufroient la Torture ; mais
Jupiter lui dit qu’ils venoient de l’Isle de Paphos,
& qu’il recevoit tous les jours de pareilles
plantes de cette Engeance de Visionaires, qu’on
apelle des Amans. Je suis si distrait,
continua-t-il, par la Génération présente de l’un
& de l’autre Sexe, & il est si difficile,
pour ne pas dire impossible, de leur plaire, soit
que j’accorde ou que je refuse leurs demandes, qu’à
l’avenir j’ordonnerai à un Vent d’Ouest de les
intercepter dans leur passage, & de les répandre
à tout hasard sur toute la surface de la Terre.
J’entendis en dernier lieu la requête d’un Vieillard
qui après de cent ans ; il me demandoit encore une
année de vie, & prometoit qu’alors il mourroit
content. C’est le plus impertinent Corps qu’il y ait
au Monde ; il m’a fait la même Priere plus de vingt
années de suite. Lors qu’il n’avoit que cinquante
ans, il souhaita de pouvoir vivre
jusqu’à ce que son Fils fut établi ; j’y donnai les
mains. Alors il demanda la même grace pour sa Fille,
& ensuite qu’il pût voir l’éducation d’un
petit-Fils : Il a obtenu tout cela & il voudroit
à present achever une maison qu’il a commencé à
bâtir. En un mot, c'est un vieux Penard, qui n'est
pas raisonnable, & qui ne manque jamais de
prétextes ; je ne veux plus entendre parler de lui.
Là-dessus Jupiter en colere ferma la Trape
tout-d'un-coup, & résolut de ne donner plus
audience le reste de la Journée. »
1Voïez l’Iliade traduite par Mad. Dacier, Tome II. Liv. IX. P. 114. &c. de l’Edition d’Amsterdam en 1712.