Metatextualidad
J’ai reçu quantité de Lettres de
plusieurs Dames qui sont fort afligées de ce qu’on les
décrie mal-à-propos : elles se plaignent de quelques Esprits
malins, qui ne pensent qu’à noircir la reputation des
autres, & qui donnent un mauvais tour aux actions les
plus innocentes ou les plus indifférentes de leur nature.
Elles ont même le malheur de se justifier d’une maniere à
insinuer que le soupçon est assez légitime.
Il est
vrai qu’il y a de certaines Personnes oisives qui passent des
heures entieres à gloser en compagnie sur les défauts des
autres, & qu’elles n’ont aucune autorité pour cela ; mais
puis qu’il leur plait d’en agir ainsi, celles qui font quelque
cas de leur reputation devroient éviter les apparences qui
peuvent y nuire. Le mal est que nos jeunes Filles, aussi bien que nos Demoiselles d’un âge moïen &
celles qui ne respirent que la joie à mesure que la Vieillesse
les talonne, sans former là-dessus aucune Ligue positive,
conviennent tacitement d’une méthode abregée pour sauver leur
reputation, & menent à bon compte une Vie qui, tout au plus,
n’est pas vicieuse. Lors qu’une de ces jeunes Babillardes d’un
esprit malin, qui n’est pas de leurs petites Cabales, a dit
quelque chose au desavantage de l’une d’entre elles, leur
méthode est de la faire passer pour une des plus envenimées
& des plus dangereuses Langnes qu’il y ait au Monde. C’est
ainsi qu’elles mettent à couvert leur Reputation plûtôt que leur
Modestie, & qu’elles sont moins sensibles au Crime qu’aux
reproches qu’on leur en fait.
Ejemplo
Orbicilla est la plus obligeante Créature qu’il y ait en
Ville, & qui rougit à tout bout de champ : elle n’a pas
perdu tout sentiment de pudeur ; mais elle a perdu son
Innocence. Si elle avoit plus de hardiesse, & qu’elle ne
fît rien qui pût colorer ses jouës, ne seroit-elle pas plus
modeste sans cette rougeur ambigue, qui est la livrée du
crime & de la vertu ? La Modestie consiste à n’avoir
aucun Crime à se reprocher, & non pas à rougir de celui
qu’on a commis.
Lors qu’on veut regler ses actions
sur un autre principe que sur la pureté du cœur, il est au
pouvoir des méchantes Langues d’entrainer la foule, & de
l’obliger à suivre les mauvais exemples pour se
garantir de la Censure. D’un autre côté, il ne faut que
s’aquiter exactement de son devoir, si l’on veut imposer silence
à la Calomnie ou la rendre inutile. Spencer, dans a Pièce
intitulée
1La Reine des Fées, donne un bon
conseil aux jeunes Dames, qui se plaignent de ce qu’on attaque
leur réputation. Voici de quelle maniere il l’exprime :
Cita/Lema
L’Avis, dit-il, le plus sûr &
loïal Est d’éviter l’occasion du Mal ; Car, la cause une
fois ôtée, L’effet se réduit en fumée. Abstenez-vous des
Plaisirs criminels ; Obéïssez aux Ordres éternels ; Domtez
vos passions & bridez votre Langue : Mangez fort
sebrement, priez Dieu sans Harangue ; Parlez à cœur ouvert,
& fuïez le secret ; Alors vous fermerez la bouche à
l’indiscret.
Au lieu de cette vigilance à l’égard des
paroles & des actions, qu’un de nos anciens Poëtes, du tems
de la Reine Elizabet, recommande au beau Sexe, on veut
aujourd’hui qu’une jeune Dame puisse dire & faire tout ce
qui lui plait, sans discontinuer d’être la plus jolie & la
plus agréable Femme du Monde. Si un Pere ou un Frere, veut défendre l’honeur équivoque d’une Fille ou d’une
Sœur, il est aussi peu en danger que s’il étoit à l’abri de la
plus grande Innocence. Plusieurs de ces Afligées, qui sont en
bute aux traits des méchantes Langues, font elles-mêmes si peu
de mal, qu’elles dorment tous les jours de la vie jusques à
midi ; qu’elles ne se mêlent d’autre chose que de leurs
Personnes jusques à deux heures ; qu’elles prennent ensuite leur
repas jusques à quatre ; qu’elles visitent, vont à la Comédie
& passent la nuit à jouer. Faut-il, après cela, que le monde
soit assez malin pour tirer des conséquences énormes de quelques
coups d’œiul fort innocens en eux-mêmes, de quelques mots dits à
l’oreille, ou de quelques fines railleries un peu libres avec
des Gentilshommes polis, parce que ces Beautez ne sont pas aussi
rigides que des Vestales ? J’avouë que la Vertu ne consiste pas
en des airs gênez & de sotes grimaces ; mais il y a une
certaine Bienséance, dans le regard & les manieres des
Dames, fondée sur la Vertu & la Modestie, qu’on peut mieux
sentir que décrire. Une jeune Dame, qui en est ornée, a droit à
l’estime & à l’amitié des autres, & n’est point sujette
aux traits de la Médisance ; ou, si elle en soufre d’abord, elle
n’a qu’à perseverer dans son Innocence, qui en dissipe bientôt
la malignité. Pour le dire franchement, il y a de si prodigieux
Essains de Coquettes dans cette grande Ville, que, si elles
n’étoient pas retenuës par quelques méchantes
Langues de leur propre Sexe, il n’y auroit jamais aucune Paix
entre elles, & qu’il nous seroit impossible de les y engager
nous-mêmes. En qualité de Spectateur qui observe qu’une partie
du Sexe Feminin sert à contrebalancer les fausses démarches de
l’autre, quelque idée que j’aie des Raporteuses & des
Médisantes, je ne voudrois non plus les suprimer tout-à-fait
qu’un Général d’Armée ne voudroit bannir les Espions. Ses
Ennemis ne manqueroient pas de le surprendre, s’ils venoient à
savoir qu’il ne reçoit aucun avis de leurs mouvemens. Je me
trouve si éloigné de cette pensée, que je soufre volontiers
qu’il y ait une ou deux Médisantes dans chaque Quartier de la
Ville, qu’elles vivent de bonne intelligence avec les Coquettes,
qu’elles jouënt le même role, & qu’elles se conforment à
toutes leurs manieres libres, mais innocentes ; pourvû qu’elles
aient soin de m’avertir de ce qui se passe dans leurs Societez
respectives. A l’égard de ce qu’on apelle Vertueux dans le
Monde, c’est si peu de chose, & il est si facile de
l’obtenir, qu’il ne faut pas une heure de reflexion tous les
Mois pour en venir à bout. Il y a du plaisir d’entendre de
jolies Dames parler de la Vertu & du Vice qui regnent dans
leur Sexe. Celle-ci, dit l’une, est la plus lâche & la plus
indolente Créature qu’il y ait au Monde ; mais il faut avouer
qu’elle est d’une Vertu rigide. Celle-là, dit une
autre, est la plus chagrine & la plus bizarre petite Salope
qu’on ait jamais vûe, quoi que d’une Vertu sans sache. Enfin la
troisième n’a pas la moindre charité pour aucune de ses Amies ;
mais elle est d’une Vertu exemplaire. Si, parmi le gros des
Hommes, on donne le titre d’Homme d’honeur à celui qui n’est pas
un Poltron ; de même, entre la Cohue du beau Sexe, on apelle une
Femme vertueuse celle qui n’est pas entierement plongée dans le
desordre. T.