Le Spectateur ou le Socrate moderne: XXVII. Discours
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Niveau 1
XXVII. Discours
Citation/Devise
meliora pii docuere parentes.
Mon Pere & ma Mere qui avoient de la Pieté, m’ont enseigné de meilleures choses.
Mon Pere & ma Mere qui avoient de la Pieté, m’ont enseigné de meilleures choses.
Metatextualité
Réflexions sur
l’Atheisme, les Athées, & la manière de les punir.
Metatextualité
Réflexions sur
l’Atheisme, les Athées, & la manière de les punir.
Niveau 2
Il n’y a rien qui ait plus étonné les
Savans d’Angleterre, que le prix excessif où l’on poussa en
dernier lieu, dans une Vente publique, un petit Livre intitulé,
1La Destruction de la Bête triomphante. Il y
fut vendu trente Livres Sterlin. L’Auteur nommé Jordanus Brunus,
ou Bruni, un Achée de profession, l’a écrit pour tourner la
Religion en ridicule & chacun étoit disposé à conclure, de
ce haut prix, qu’il doit y avoir des Argumens fort redoutables.
J’en ai lû moi-même un Exemplaire, qui m’étoit tombé entre les
mains, avec ce préjugé ; mais il y a si peu à craindre de cette
lecture, que je me hazarderai à rendre ici un fidéle compte de
tout le Plan que l’Auteur a suivi dans cette merveilleuse Pièce.
Cette
courte Fable, où l’on ne voit aucune ombre de Raisonnement,
& où il n’y a que très-peu d’Esprit, ne roule que sur
l’Impieté d’un bout à l’autre, & c’est pour cela même
qu’elle est devenue l’Idole de ces foibles Genies, qui
voudroient se distinguer par la singularité de leurs Opinions.
Il y a deux Faits qu’on a souvent allegués contre les Athées,
& dont ils n’ont pû se tirer jusques-ici. L’un est, que les
Hommes les plus sages & les plus habiles de tous les Siécles
ont été contre eux, & qu’ils ont toûjours suivi le Culte
public reçu dans leur Païs, lors qu’il n’y avoit rien d’opposé à
l’honeur de l’Etre infini, ou de préjudiciable aux intérêts du
Genre Humain. Les Platons & les Cicerons entre les Anciens ; les Bacons, les Boyles & les Lockes
entre nos Compatriotes modernes nous fournissent tous de beaux
Exemples de ce que je viens d’avancer, pour ne rien dire des
célébres Théologiens, puisque nos Antagonistes les récusent,
sous prétexte qu’ils ont trop d’intérêt dans la Cause dont il
s’agit, pour être admis à y servir de Témoins. L’autre fait que
l’on a poussé contre eux, qui paroit d’un plus grand poids,
n’est pas la seule opinion des plus sages, mais le consentement
universel de tous les Hommes, qui ne peuvent avoir reçu cette
importante Verité que par l’un ou l’autre de ces trois moïens ;
soit par l’Idée d’un Dieu que la Nature ait gravée dans leur
Esprit, ou par le Raisonnement, qui a dû être facile & à la
portée des moindres Genies ; ou enfin par une Tradition
descendue jusques à nous depuis le premier Homme. Les Athées
sont également confondus, à laquelle de ces trois Causes que
l’on atribue l’idée que nous avons d’un Dieu. Aussi, pour se
tirer de cet embarras, ont-ils prétendu à la fin avoir découvert
un Peuple entier de ces habiles Philosophes, qui n’admettent
aucune Divinité, je veux dire la Nation polie des Hotentots. Je
craindrois de choquer mes Lecteurs, si je m’avisois de les
entretenir ici des coûtumes & des mœurs de ces Barbares, qui
sont à peine un degré au-dessus des Bêtes brutes, & qui
n’ont entre eux qu’un miserable Jargon, qu’ils
n’entendent presque pas eux-mêmes On ne sauroit croire avec tout
cela jusqu’où va le triomphe des Athées, lors qu’ils
s’aplaudissent de ces bons Amis & fidéles Alliez. Si nous
nous vantons d’un Socrate, ou d’un Seneque, ils leur peuvent
d’abord opposer les illustres Hotentots. Quoi qu’on soit fondé,
en quelque maniere, à revoquer en doute la créance de ce Peuple,
je ne voi pas qu’il en pût revenir aucun mal à la Religion, si
l’on abandonnoit aux Athées cette noble partie du Genre Humain.
Il me semble qu’il n’y a rien qui découvre mieux la foiblesse de
leur Cause, que de les avoir réduits à se joindre avec une
Societé d Hommes, qui, de leur propre aveu, ont presque éteint
les lumieres de la Raison, & qui ne se distinguent des Bêtes
que par leur Figure Humaine. Il est vrai qu’outre ces pauvres
malheureux, il y a eu, de tems en tems, chez différentes
Nations, un petit nombre de Cerveaux foibles, qui ont nié
l’existence d’une Divinité.
Je suis fort disposé à croire, que si un pareil Châtiment
s’introduisoit dans la Grande Bretagne, il y a tant de bon Sens
naturel parmi nous, que, soit qu’on mît un’Athée tout entier
dans une Pièce d’Artillerie, ou qu’on le pulverisât, comme on
fait en Pologne, nous aurions très-peu de charges. Avec tout
cela, pendant que cette Munition dureroit, je voudrois proposer
qu’au lieu de braquer nos Canons vers la Tartarie, nous en
eussions toûjours deux ou trois pointez vers le Cap de Bonne
Esperance, afin d’envoïer nos Incrédules dans le Païs des
Hotentots. Selon moi, une Sentence de Mort prononcée
judiciairement fait trop d’honeur à un Athée, quoi que l’usage
de le tirer en l’air, comme on le pratique dans cette espéce de
Martyre, ait quelque chose d’assez proportionné à la nature de
son Crime. D’un autre côté, il faut avouer qu’il y a une grande
Objection contre une pareille Méthode. Le Zèle pour la Religion
est si plein d’ardeur, qu’il ne sait presque jamais où il doit
se borner ; c’est pour cela même qu’après avoir déchargé nos
Athées, je craindrois qu’on n’en vint à charger nos
Sectaires, & qu’eu égard à la vicissitude des choses
humaines, nous ne fussions un jour exposez à sortir de la bouche
d’une demi Couleuvrine. Si quelcun de mes Lecteurs croit que
j’ai traité ces Messieurs d’un air trop badin & trop
méprisant, qu’il me soit permis de lui dire que, selon mes
idées, on fait trop d’honeur à ces Incrédules de vouloir
raisonner avec eux sur un Point qui choque le Sens commun de
tous les Hommes, que c’est leur donner du relief dans le Monde,
& insinuer qu’il y a quelque probabilité dans leur Système,
quoi qu’il n’y aît rien de plus absurde. Pour ce qui est des
Personnes, qui admettent un Culte Religieux, & que je crois
être dans l’Erreur, je voudrois en user à leur égard avec une
grande circonspection, & tâcher de les ramener de leurs
égaremens avec tout le calme & toute la douceur possibles ;
mais pour ces Inifidèles, qui ne cherchent qu’à détruire toute
sorte de Religion, qu’à dépouiller les Hommes de ce qu’ils
avouent eux-mêmes être d’un excellent usage dans toutes les
grande Societez, sans rien substituer à la place, je croi que le
meilleur est de les battre de leurs propres armes ; c’est-à-dire
de les traiter avec mépris & de les tourner en ridicule. X.
Fable
Il supose d’abord que Jupiter,
resolu d’en venir à une Reforme entre les Constellations,
les assembla toutes un jour ; qu’il se plaignit à elles de
ce que le Culte des Dieux étoit fort négligé,
& qu’il trouva cela d’autant plus rude qu’il avoit donné
les noms des Divinitez du Paganisme à plusieurs de ces Corps
célestes, & fait ainsi du Ciel, en quelque maniere, un
Livre de la Théologie Païenne. Momus lui dit là-dessus,
qu’on ne doit pas s’en étonner, puis qu’il y a tant de
Contes scandaleux à l’égard de ces Divinitez ; d’où l’Auteur
prend occasion de critiquer toutes les autres Religions,
& conclud<sic>, que Jupiter, après avoir bien
examiné toutes choses, bannît les Divinitez du Ciel, &
imposa aux Etoiles les Noms des Vertus morales.
Niveau 3
Récit général
Mais Vanini, le plus célébre
de tous leurs Champions, déclara, devant ses Juges,
qu’il la croïoit : après avoir même levé une paille de
terre, il soutint qu’elle sufisoit pour l’en
convaincre ; & il allegua diverses preuves pour
montrer qu’il étoit impossible que la Nature seule pût
créer aucune chose.
Niveau 3
Récit général
Je lisois l’autre jour une
Relation sur le chapitre de Carsimir Liszynski,
Gentil-homme Polonais, qui fut convaincu d’Athéïsme
& executé pour ce Crime. La maniere dont on le punît
a quelque chose de bien singulier. Aussitôt qu’on eut
brûlé son corps, les cendres en furent mises dans un
Canon, & tirées en l’air vers la Tartarie.
1En Italien, Spaccio delle Bestia triomfante