Metatestualità
Dans
1un de mes derniers Discours, j’ai parlé de
la bonne Humeur entant qu’elle est une Vertu morale, &
j’ai aussi allegué des Motifs proportionnez à
sa nature, pour nous engager à la cultiver dans nos
Esprits : Je vai la considerer sur le pié de qualité
physique, & nous y animer par des Motifs naturels, qui
ne tiennent ni de la Vertu ni du Vice.
La bonne
Humeur est en premier lieu ce qui contribue le plus à la Santé.
Les chagrins & les murmures secrets portent des coups
imperceptibles à ces fibres délicates qui composent les parties
vitales, & usent peu à peu la Machine ; pour ne rien dire de
ces violentes fermentations qu’ils excitent dans le sang, ni de
ces mouvemens irreguliers & interrompus qu’ils causent dans
les esprits animaux. De tous les Vieillards, auxquels j’ai pris
garde, & du nombre de ceux qui ne sentent presque point les
infirmitez d’un âge avancé, je n’en ai guére vû qui n’eût du
moins une certaine indolence de temperament, si ce n’est pas
même une gaieté & une bonne humeur tout extraordinaire. Il
n’y a nul doute que la Santé & la Gaieté ne se produisent
l’une l’autre, avec cette diférence, qu’on ne voit guére une
Santé victorieuse qui ne soit accompagnée de quelque dose de
bonne Humeur, au lieu qu’on voit souvent celle-ci là où l’autre
n’est pas fort robuste. La Gaieté a le même heureux effet sur
l’Esprit que sur le Corps : elle bannit tous les chagrins &
les soucis rongeans, elle calme les passions & tranquilise
l’Ame. Après avoir déja touché à ce dernier point, j’observerai ici que le Monde, où nous vivons, est rempli
d’une infinité d’objets propres à exciter & à nourrir dans
nos Esprits cet heureux temperament. Si l’on considere le Monde
par raport à l’utilité qui nous en revient, on croiroit qu’il a
été fait pour notre usage ; mais, si 1’on reflechit sur sa
Beauté naturelle & son Harmonie, on seroit tenté de conclure
qu’il a été fait pour notre plaisir. Le Soleil, qui est, pour
ainsi dire, l’Ame de cet Univers, & qui produit tout ce qui
est nécessaire à la Vie, a une grande influence sur nous ; il
égaie & réjouït le cœur de l’Homme. Ce nombre infini de
Créatures vivantes, qui sont faites pour nous entretenir la vie
où nous servir à divers usages, remplissent en même tems les
Bois de leur Musique, nous fournissent du Gibier pour la Chasse,
ou excitent des idées agréables dans nos Esprits par la beauté
qui les environne. Les Ruisseaux, les Lacs & les Fleuves
nous rafraichissent l’Imagination, de même que le Terroir à
travers lequel ils-passent. Il y a des Ecrivains fort
distinguez, qui ont regardé comme un effet de la Providence, le
soin qu’elle a eu de tapisser la terre de verd plûtôt que de
tout autre couleur, parce que le Verd est un si juste mêlange du
clair & du sombre, qu’il réjouït & fortifie la vûe, au
lieu de l’afoiblir ou de l’incommoder. De-là vient que plusieurs
Peintres ont un Tapis verd pendu tout auprès de l’endroit où ils travaillent, pour y jetter les yeux de tems
en tems, & les délasser de la fatigue que leur cause la
vivacité des couleurs.
2« Un célèbre Philosophe
moderne en raisonne de cette maniere :
Citazione/Motto
Toutes les couleurs, dit-il, qui sont plus
éclatantes, émoussent & dissipent les esprits animaux
emploïez à la vûe ; mais celles qui sont plus obscures ne
leur donnent pas assez d’exercice ; au lieu que les raïons
qui produisent en nous l’idée du Verd tombent sur l’œuil
dans une si juste proportion, qu’ils donnent aux esprits
animaux tout le jeu qui leur est nécessaire, & que, par
l’équilibre où ils les retiennent dans leur choc, ils
excitent en nous une sensation fort agréable. »
Que
la cause en soit tout ce qui vous plaira, on ne sauroit douter
de l’effet ; & c’est pour cela même que les Poëtes donnent
le titre de gai à cette couleur. Pour envisager de plus près
cette double fin qu’on observe dans les Ouvrages de la Nature,
c’est-à-dire leur utilité & leur agrément, nous voïons que
les plus importantes parties, dans le Cercle des Vegetaux, sont
aussi les plus belles. Je veux parler des Semences
qui servent à perpetuer les Plantes, & qui sont toujours
logées dans les Fleurs ou dans leurs boutons. Il semble que la
Nature cache son principal dessein, & qu’elle est
industrieuse à répandre sur la Terre un air gai & riant,
pendant qu’elle travaille en secret à son grand ouvrage, &
qu’elle est atentive à sa propre conservation. Il en est à peu
prés de même à l’égard du Laboureur & de celui qui cultive
la Terre ; ils s’occupent à la rendre une espece de Jardin ou de
Païsage, & à donner un air riant à toute la Campagne qui les
environne, quoi qu’ils n’aient autre chose en vûe que la
Moisson, & le Fruit qui en doit revenir. On peut remarquer
d’ailleurs que la Providence, pour entretenir cette gaieté dans
nos Esprits, a eu soin de les former d’une telle maniere, qu’ils
sentent du plaisir à la vûe de certains Objets, qui paroissent
être de peu d’usage, comme sont les Rochers, les Déserts, &
autres parties grotesques de la Nature. Ceux qui savent
raisonner en Philosophes peuvent étendre cette idée plus loin,
& observer que, si la Matiere nous paroissoit avec les
qualitez essentielles dont elle est revêtue, elle ne fourniroit
qu’un assez triste spectacle. En effet, si la Providence lui a
donné le pouvoir d’exciter en nous des qualitez imaginaires,
telles que les Goûts & les Couleurs, les Sons & les
Odeurs, le Chaud & le Froid, c’est afin que l’Esprit de l’Homme, pendant qu’il sejourne ici-bas, puisse
être égaïé & diverti par ces agréables sensations. En un
mot, tout l’Univers est une espece de Théatre, plein d’Objets
qui nous donnent du plaisir, ou de l’admiration, ou qui nous
amusent. Chacun pensera bien de lui-même à la vicissitude du
Jour & de la Nuit, au changement des Saisons, & à toutes
ces diférentes Scènes, qui varient la face de la Nature, &
qui remplissent l’Esprit d’une suite continuelle d’Images, aussi
belles qu’agreables. Je ne mettrai pas ici en ligne de compte
tous les plaisirs qui nous viennent de l’Art, de l’Amitié, de la
Lecture, ou de la Conversation, ni tous les autres
divertissemens casuels de la Vie, parce que je ne voudrois
animer à la Gaieté que par des Motifs qui s’offrent d’eux-mêmes
à toutes sortes de Personnes, & qui sufissent pour nous
démontrer que la Providence n’a pas eu dessein que ce Monde fût
rempli de murmures & d’inquiétudes, ou que le Cœur de
l’Homme fût envelopé dans la tristesse & la mélancholie.
J’insiste d’autant plus sur cette bonne Humeur, que nos
Compatriotes, à ce que l’on-observe, en manquent plus qu’aucune
autre Nation. La Mélancolie est une espéce de Démon qui hante
notre Isle, & qui nous aflige d’ordinaire par un Vent d’Est.
Un François, célébre Ecrivain de Romans, pour s’opposer à ceux
qui les commencent par la Saison fleurie de
l’Année, entame un des siens de cette maniere :
Citazione/Motto
Dans le triste Mois de Novembre,
lors que les Anglois se pendent & se néient, un Amant au
desespoir alla se promener à la Campagne, &c.
Chacun dévroit se munir contre les malignes influences de son
Climat ou de son Temperament. Il faudroit pour cela s’accoutumer
à ces reflexions qui peuvent donner la serenité de l’Esprit,
& le mettre en état de soutenir avec courage les petits maux
& les revers de fortune qui sont communs à tous les Hommes,
& qui, par le bon usage que l’on en pourroit faire,
produiroient une joie abondante & une satisfaction
continuelle. Quoi que je veuille engager ici mes Lecteurs à
regarder le Monde dans son plus beau jour, je ne desavoue pas
qu’il n’y ait bien des maux qui naissent au milieu de tous les
plaisirs qu’il nous offre ; mais si on les prenoit du bon côté,
ils ne rempliroient pas l’Esprit d’amertume, & ne
détruiroient pas cette bonne Humeur de temperament que je viens
de recommander. En effet, Mr. Locke, dans son Essai sur
l’Entendement Humain, allegue à juste titre une raison morale,
pour rendre compte de ce mêlange de bien & de mal, de
plaisir & de peine, que les Créatures excitent en nous.
Voici de quelle maniere il s’énonce là-dessus :
Citazione/Motto
3Outre cela,
dit-il, nous pouvons trouver une autre raison pourquoi Dieu
a attaché differens dégrez de plaisir & de peine, à
toutes les choses qui nous environnent & qui agissent
sur nous, & pourquoi il les a joints ensemble dans la
possession de le plûpart des choses qui frapent notre Esprit
& nos Sens. C’est afin que convaincus, par notre
experience, que tous les plaisirs, qui nous viennent des
Créatures, sont mêlez de quelque amertume, & qu’ils ne
peuvent nous donner qu’une satisfaction imparfaite &
éloignée d’une entiere felicité, nous soïons portez à
chercher notre bonheur dans la jouissance de celui
4en qui il y a un rassasiment
de joie, & à la droite duquel il y a des plaisirs qui ne
tariront jamais.
L.