Le Spectateur ou le Socrate moderne: XXII. Discours
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Nivel 1
XXII. Discours
Cita/Lema
Æquam memento rebus in
arduis
servare mentem ; non secus in bonis
ab insolenti temperatam
Lætitiâ, moriture Delli.
Hor. L.II. Ode III. I.
Vous mourrez, Dellius, Que cette pensée vous fasse souvenir de conserver, en tout, une grande égalité d’ame, dans l’adversité de même que dans la prosperité : qu’une joie moderée balance au-dedans de vous-même tout ce que l’un & l’autre peut avoir d’extraordinaire.
servare mentem ; non secus in bonis
ab insolenti temperatam
Lætitiâ, moriture Delli.
Hor. L.II. Ode III. I.
Vous mourrez, Dellius, Que cette pensée vous fasse souvenir de conserver, en tout, une grande égalité d’ame, dans l’adversité de même que dans la prosperité : qu’une joie moderée balance au-dedans de vous-même tout ce que l’un & l’autre peut avoir d’extraordinaire.
Metatextualidad
Eloge de la Bonne
Humeur en qualité d’une Vertu morale.
Metatextualidad
Eloge de la Bonne
Humeur en qualité d’une Vertu morale.
Nivel 2
J’ai toûjours préferé la bonne Humeur
à la Joie. Je regarde celle-ci comme un Acte, & l’autre
comme une Habitude de l’Esprit. La Joie est courte &
passagere, au lieu que la bonne Humeur est fixe & durable.
Les Personnes sujettes à la plus profonde Mélancolie tombent
souvent dans les plus grands transports de Joie ; mais si la
bonne Humeur ne donne guére à l’Esprit une Joie éclatante, elle
empêche qu’il ne s’abate sous le poids du Chagrin. Ceux qui ont des principes d’une
Morale austere pensent que la Joie est trop folâtre &
dereglée pour un état d’épreuve, & qu’elle marque une
certaine présomption du cœur, qui est incompatible avec une Vie
exposée à tout moment aux plus grands dangers. Les Ecrivains de
cette trempe ont observé qu’on ne vit jamais rire nôtre Sauveur,
qui étoit le grand Modèle de la Perfection. La bonne Humeur
n’est point sujette à de pareils reproches ; elle est d’un
naturel calme & serieux ; elle ne met pas l’Esprit dans une
situation peu conforme à l’état de la Vie Humaine, & elle
est sur tout remarquable dans les Caractères des plus grands
Philosophes du Paganisme, aussi bien qu’entre ceux des Chrétiens
qui ont passé à juste titre pour de saints Personnages. Si nous
envisageons la bonne Humeur sous trois diférentes vûes, par
raport à nous-mêmes, à ceux avec qui nous conversons, & á
l’Auteurs de notre Existence, elle ne peut que se faire estimer
à tous ces égards. Celui qui possede cette excellente
disposition de l’Esprit n’est pas seulement tranquille en
lui-même, il est aussi le Maître absolu de toutes les puissances
& de toutes les facultez de son Ame : Son Imagination n’est
jamais troublée, ni son Jugement prévenu : Il est toûjours égal
& uniforme, soit qu’il se trouve en compagnie ou tout seul. Il reçoit de bon cœur tous les Biens que la
Nature lui presente ; il goûte tous les Plaisirs qui
l’environnent, & il ne sent pas tout le poids des Maux qui
lui arrivent par accident. Si nous considerons cet Homme par
raport à ceux qu’il fréquente, sa bonne humeur lui attire leur
Amitié & leur Bienveillance. Afable & obligeant qu’il
est envers tout le monde, il excite les même<sic>
dispositions dans tous ceux qui l’aprochent. Le Cœur s’épanouit alors de son propre mouvement, &
ne peut qu’avoir de l’estime & de l’amitié pour celui dont
il reçoit de si bénignes influences. Lors que je reflechis sur
cet heureux état de l’Esprit au troisiéme égard, je ne puis
l’envisager que comme une Reconnoissance habituelle envers
l’Auteur suprême de la Nature. C’est chanter ses louanges d’une
maniere implicite, & lui rendre de très humbles actions de
grace pour tous les effets de sa Providence. C’est une sorte
d’aquiescement à l’état où il nous a mis, & une secrete
aprobation de sa volonté dans la conduite qu’il observe á
l’égard du Genre Humain. Il n’y a, selon moi, que deux choses
qui nous puissent priver de cette bonne humeur. L’une est le sentiment du Crime, ou les remors de la
Conscience. Une Homme qui mene une vie dereglée &
impenitente ne sauroit jamais obtenir ce calme & cette
égalité d’Ame, qui en est, pour ainsi dire, l’embonpoint, &
l’effet naturel de la Vertu & de l’Innocence. La bonne
Humeur dans un tel Homme mérite un nom plus rude qu’aucun de
ceux que notre Langue puisse fournir, & surpasse de beaucoup
ce qu’on apelle d’ordinaire Sorise ou Folie. L’Athéisme, qui nie
l’existence d’un Etre suprème, & par consequent une Vie à
venir, sous quelques Noms qu’il se cache, peut aussi fort bien
dépouiller un Homme de cette gaieté de l’Esprit. Il y a quelque
chose de si afreux & de si opposé à la Nature Humaine dans
l’esperance de l’Anéantissement, que je m’étonne, avec une
infinité d’illustres Ecrivains, qu’il y ait un seul Homme
capable de survivre à une pareille atente. Pour moi, je trouve
qu’il est si facile de se convaincre de l’existence d’un Dieu,
que c’est presque la seule Verité qu’on ne puisse pas revoquer
en doute ; puis qu’elle s’offre dans tous les Objets qui nous
environnent, dans tous les évenemens, & dans toutes nos
pensées. Si nous examinons les Caractères de cette Engeance
d’Incrédules, nous les voïons formez d’Orgeuil, de Rage & de
Chicane : Il ne faut pas non plus s’étonner que des Hommes,
toûjours inquiets en eux-mêmes, soient disposez à inquieter les
autres ; & comment ne seroient-ils pas dans un
trouble continuel, lors qu’ils sont à toute heure en danger de
perdre leur existence & de tomber dans le Néant ? Ainsi le
Vicieux & l’Athée n’ont aucun droit à la bonne humeur, &
leur conduite seroit fort déraisonnable, s’ils y prétendoient.
Il est impossible qu’un Homme soit de bonne humeur, & qu’il
goûte le plaisir de son existence, s’il craint les Tourmens ou
l’Anéantissement, d’être miserable ou de n’être point du tout.
Après avoir dit que ces deux Principes détruisent la gaieté par
eux-mêmes & qu’il n’est rien d’ailleurs de plus conforme à
la Raison, je n’en vois aucun autre qui puisse bannir cet
heureux temperament de l’Esprit d’un honnête-Homme. La Douleur
& les Maladies, la Honte & les Injures, la Pauvreté
& la Vieillesse, qui plus est, la Mort même, ne méritent pas
le nom de Maux, eu egard à leur courte durée, à l’avantage que
nous en pouvons recueillir. Un cœur bon & honête peut les
soûtenir avec courage, avec indolence, & même avec gaieté.
Il ne s’alarme pas à la vûë d’une Tempête, qui le doit conduire
sûrement à un heureux Port. Un homme, qui emploie tous ses
éforts pour vivre suivant les lumieres de la droite Raison &
les principes de la Vertu, a deux sources continuelles de
Gaieté, lors qu’il fait atention à sa propre Nature, & à
celle de l’Etre infini duquel il dépend. S’il rentre en lui-même, il ne peut que se réjouïr à la vûe de
cette Existence, qu’il vient de recevoir, & qui sera
toûjours nouvelle, au bout de Millions & de Milliars de
Siécles. Combien de félicitations intimes ne s’adresse pas un
Esprit, qui vient à reflechir sur son entrée dans l’Eternité,
lors qu’il examine les Facultez qu’il a reçues, avec le progrès
considerable qu’elles ont fait en peu d’années, même depuis le
moment de son existence, qui se perfectionneront à l’infini,
& qui, par consequent, augmenteront son Bonheur ? Le
sentiment d’une pareille Existence répand une joie continuelle
dans l’Ame d’un honête Homme, & fait qu’il se trouve à tout
moment plus heureux qu’il ne peut se l’imaginer. La seconde
source de la Gaieté vient de ce que l’Esprit contemple cet Etre
infini, dans la dépendance duquel nous sommes, & en qui nous
voïons tout ce qu’il y a de grand, de glorieux, ou d’aimable,
quoique ce ne soit encore qu’une foible lueur de ses Perfections
infinies. Nous nous trouvons sans cette soutenus par sa Bonté,
environnez de son Amour & de sa Misericorde. En un mot, nous
relevons d’un Etre, dont le Pouvoir le met en état de nous
rendre heureux par une infinité de moïens, dont la Bonté &
la Fidelité l’engagent à nous accorder cette grace, si nous la
demandons avec zéle, & dont l’Immutabilité nous est un sûr
garant que nous jouïrons de ce Bonheur dans toute l’Eternité.
Ces considerations, ou d’autres pareilles, que
chacun devroit nourrir dans son sein, banniront de nos Esprits
cette langueur secrete, cet ennui accablant, où tombent la
plûpart des Hommes qui vivent sans reflechir, quoi qu’ils
n’aient aucun sujet légitime de se plaindre, elles dissiperont
tous ces Chagrins que nous pouvons sentir à l’arrivée de quelque
mal imprévu : elles écarteront tous ces petits accès de joie
& de folie, où l’on se plonge d’ordinaire, quoi qu’ils
soient plus propres à ruïner qu’à soutenir la Vertu ; en un mot,
elles produiront en nous cette Humeur douce & enjouée, qui
peut seule nous rendre agréables à nous-mêmes, à ceux avec qui
nous conversons, & à l’Auteur de notre existence, qui nous à
créez pour lui plaire & obéir à sa Volonté. I.
Alegoría
La Joie ressemble au feu d’un
Eclair, qui s’échape au travers de Nuages sombres, & qui
brille pour un moment ; la bonne Humeur entretient dans
l’Esprit une espèce de lumiere, qui aproche de
la clarté du jour, & qui lui donne une serenité ferme
& constante.
Alegoría
Il en est de sa presence comme de celle du
Soleil, qui vient à briller tout d’un coup ; elle inspire un
secret plaisir à tous ceux qui en jouïssent, sans même
qu’ils y prennent garde, ou qu’ils en devinent la cause.