Cita bibliográfica: Anonym (Ed.): "XXI. Discours", en: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.4\021 (1720), pp. 121-126, editado en: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Los "Spectators" en el contexto internacional. Edición digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1319 [consultado el: ].


Nivel 1►

XXI. Discours

Cita/Lema► Scire tuum nihil est, nisi te seire hoc sciat alter.
Pers. Sat. I. 27.
Votre science n’est rien, si l’on ne sait que vous en avez. ◀Cita/Lema

Metatextualidad► Le Science doit être communicative, & s’exprimer d’une maniere intelligible à tout le monde. ◀Metatextualidad

Nivel 2► J’ai souvent trouvé bien étrange cette Maxime bizarre, qu’on a soutenu quelquefois dans les Ecoles, & qui est exprimée dans un ancien Vers Latin, qui nous dit que Cita/Lema► 1 la Science d’un Homme n’est rien, s’il la communique à un autre. ◀Cita/Lema Il n’y a pas de plaisir plus sensible pour un bon Naturel, que celui de pouvoir satisfaire ou éclairer l’Esprit des autres. Je pourrois ajouter que [122] cet Exercice est naturellement suivi de sa recompense, puis qu’il est presque impossible qu’il n’en revienne quelque avantage à celui qui le pratique. La lecture des Livres, & les occurrences de la Vie nous fournissent tous les jours de la matiere à penser & à reflechir. Il nous est aussi très-naturel de souhaiter que nos pensées soient revêtues de mots, sans lesquels il nous est difficile d’en avoir nous-mêmes une idée claire & distincte ; Lors qu’on les voit ainsi exprimées, il n’y a rien qui découvre mieux si elles sont justes ou fausses, que l’effet qu’elles ont sur l’Esprit des autres.

Metatextualidad► Je me flate que, dans le cours de mes Speculations, j’ai traité divers Sujets, & avancé plusieurs Maximes touchant le<sic> Vie civile, que le gros de mes Lecteurs ignoroit, ou que le petit nombre de ceux qui en avoient quelque idée, regardoient comme autant de Secrets qu’ils destinoient à leur usage, & qu’ils ne vouloient jamais communiquer au Public.
Ce qui me confirme dans cette pensée, est que j’ai reçu diverses Lettres de mes Correspondans, qui me reprochent d’avoir abandonné la Science à la discretion du Vulgaire, & d’en avoir fait, comme l’un d’eux s’énonce, une Prostituée publique : Un autre m’accuse d’avoir exposé les Secrets de la Prudence & les Ressorts de la Politique aux yeux de tout le monde. ◀Metatextualidad

La bassesse d’esprit, qu’on voit dans ces Lettres, est d’autant moins suprenante, [123] qu’elle a paru dans tous les Siècles : Exemplum► Nous avons encore une Epître qu’Alexandre le grand écrivit à son Précepteur Aristote, sur ce que ce Philosophe avoit publié quelques uns de ses Ouvrages ; Alexandre s’y plaint de ce qu’il avoit fait connoitre à tout le monde ce qu’il lui avoit enseigné en particulier ; & il conclut, Cita/Lema► Qu’il aimeroit mieux surpasser le reste des Hommes en Savoir qu’en Puissance. ◀Cita/Lema ◀Exemplum

Exemplum► Louise de Padilla, Comtesse d’Aranda qui avoit beaucoup de Savoir, fut aussi choquée de ce que le fameux Gracian avoit publié son Traité du Discreto ; sous ombre qu’il y dévelopoit aux yeux du Vulgaire ces Maximes, qui devoient être reservées pour la connoissance des Grands. ◀Exemplum

Plusieurs trouvent qu’il y a tant de solidité dans ses Objections, que, pour justifier les Auteurs que je viens de nommer, ils prétendent qu’ils ont afecté un stile obscur, afin que leurs Ouvrages ne pûssent être entendus que d’un petit nombre de Personnes.

Exemplum► Perse, le Poëte satirique, afectoit d’être obscur par un autre motif, dont, avec tout cela, Mr. Cowley étoit si choqué, qu’il en écrivit à un de ses Amis en ces termes : Nivel 3► Cita/Lema► « Vous me dites que vous ne sauriez décider si Perse est un bon ou un mauvais Poëte, parce que vous ne l’entendez pas ; c’est à cause de cela même que je soutiens qu’il n’est pas bon Poëte. » ◀Cita/Lema ◀Nivel 3 ◀Exemplum

Quoi qu’il en soit, cet Art d’écrire d’u-[124]ne maniere intelligible a été poussé fort loin, & suivi par quantité de nos Auteurs modernes. Après avoir observé le penchant universel que les Hommes ont à fouiller dans un Secret, & la réputation que plusieurs ont aquise à la faveur des termes obscurs & des phrases embrouillées, dont ils ont envelopé leurs idées, ils ont resolu, pour se rendre eux-mêmes plus abstrus, d’écrire sans avoir aucune idée. Cet Art, de la maniere dont il est pratiqué aujourd’hui par une inifinté de célèbres Auteurs, consiste à jetter au hasard un certain nombre de mots qui forment diverses Periodes, & à laisser au Lecteur curieux le soin d’en pénétrer le véritable sens.

Allegorie► Les Egyptiens, qui emploïoient des Hieroglyphes pour exprimer diverses choses, representoïent un Homme, qui bornoit sa science & ses découvertes en lui-même, par la figure d’une Lanterne sourde fermée de tous côtez, qui, bien qu’éclairée au-dedans, ne donnoit pas la moindre lumiere à ceux qui l’environnoient. Pour moi, disposé à communiquer, de tems en tems, au Public tout ce qui pourra venir à ma connoissance, & qui me paroitra digne de son estime, j’aimerois mieux qu’on me comparât à une Lampe qui se consume & qui brûle pour l’avantage de tous les passans. ◀Allegorie

Metatextualidad► Je finirai ce Discours par l’histoire du Tombeau, où La Rose-Croix étoit inhumé. Il n’y a personne qui ne sâche que ce Chimiste avoit fondé la Secte des Freres de [125] la Rose-Croix, & que ses Disciples prétendent toûjours à de nouvelles découvertes, qu’ils ne doivent jamais communiquer au reste du Genre Humain. ◀Metatextualidad

Nivel 3► Relato general► « Une certaine Personne, qui eut occasion de creuser un peu pronfondément à l’endroit où ce Philosophe étoit inhumé, y trouva une petite Porte bordée d’une muraille à droite & à gauche. Sa curiosité naturelle & l’esperance de quelque Trésor caché l’obligerent bientôt à enfoncer la Porte. Surpris tout d’un coup par un éclat de lumiere, il découvrit une très-belle Voute, au fond de laquelle il y avoit la Figure d’un Homme armé, assis auprès d’une Table, où il s’appuïoit la tête sur le bras gauche. Il tenoit un Tronçon de la main droite, & il y avoit une Lampe ardente devant lui. Dès que nôtre Curieux eut mis le pié dans la Voute, la Statue se leva & se tint debout ; lors qu’il eut fait un autre pas, elle leva la main qui tenoit le Tronçon ; & lors qu’il en vint au troisième, elle frapa un terrible coup, qui brisa la Lampe en mille morceaux : de sorte que le curieux fut laissé dans les ténèbres.

A l’ouïe ce cette Avanture, le Peuple de la Campagne se rendit au Tombeau avec des Lanternes ou des Torches allumées, & l’on découvrit que la Statue, faite de bronze, n’étoit autre chose qu’une Piéce d’Horlogerie ; que le [126] Pavé de la Voute étoit formé de planches mobiles, & qu’il y avoit au-dessous divers Ressorts, qui, dès qu’on marchoit sur le Pavé, produisoient naturellement tous les effets qui s’en étoient d’abord ensuivis.

La Rose-Croix, à ce que raportent ses Disciples, avoit mis cette Invention en usage, pour faire voir au monde qu’il avoit retrouvé le secret des Lampes inextinguibles des Anciens, & pour empêcher qu’un autre en profitât. » ◀Relato general ◀Nivel 3

X. ◀Nivel 2 ◀Nivel 1

1Si sciat hoc alter, scire tuum nihil est.