Sugestão de citação: Anonym (Ed.): "XX. Discours", em: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.4\020 (1720), S. 114-121, etidado em: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Os "Spectators" no contexto internacional. Edição Digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1318 [consultado em: ].


Nível 1►

XX. Discours

Citação/Divisa► Non possidentem multa vocaveris
Rectè beatum : rectiùs occupat
Nomen beati, qui Deorum
Muneribus sapienter uti,
Duràmque callet pauperiem pati,
Pejusque letho flagitium timet.
Hor. L. IV. Ode IX. 45. 30
Ce ne sont pas les grands biens qui rendent l’Homme heureux : celui-là l’est à plus juste titre, qui sait user avec sagesse des presens que lui font les Dieux ; qui a le don de souffrir avec patience la pauvreté, & qui redoute le crime plus que la mort. ◀Citação/Divisa

Metatextualidade► Exemple d’une grande confiance dans l’Adversité qui fut dignement récompensée. ◀Metatextualidade

Nível 2► J’ai eu plus d’une fois occasion de parler de ce beau sentiment de Seneque le Philosophe, qui nous dit 1 qu’une Personne vertueuse, qui lute contre la mauvaise Fortune, & s’éleve au-dessus d’elle, est un Objet digne de l’atention des Dieux, & qu’ils regardent avec plaisir. Metatextualidade► J’entretiendrai aujourd’hui mes Lecteurs d’une grande Adversité, soutenue avec courage dans une Vie privée. ◀Metatextualidade

Nível 3► Narração geral► Un de nos riches Citoïens, qui avoit vê-[115]cu d’une maniere honête & en bonne reputation, fut, par une suite de malheurs & par un embarras inévitable dans son Négoce, reduit à un fort bas état. Il y a une certaine Modestie qui accompagne toûjours la Pauvreté, qu’on ne s’est pas attirée par sa faute : C’est ce qui l’obligea de se mettre sur un pié conforme à la situation où il se trouvoit, plûtôt que d’avoir recours à ses Amis pour soutenir l’éclat d’un Bien, dont il n’avoit pas la réalité. Sa Femme, qui avoit du bon-Sens & de la Vertu, se conduisit dans cette occasion de la maniere du monde la plus décente, & jamais elle ne parut si aimable à ses yeux qu’alors. Bien loin de lui reprocher la perte de sa Dot, qui n’étoit pas médiocre, & qu’elle avoit refusé plusieurs bons Partis en sa faveur, elle redoubla toutes les marques de sa tendresse à son égard, pendant qu’il gemissoit lui-même en sa présence & qu’il lui témoignoit sa desolation d’avoir ruïné la meilleure de toutes les Femmes. Lors qu’il se rendoit au Logis à une heure à la quelle il n’y étoit pas attendu, & qu’il la surprenoit couverte de larmes, elle ne manquoit jamais de les essuïer au plûtôt, & de le recervoir d’un air gai & content. Pour diminuer leur dépense, leur Fille ainée (que j’apellerai Amabile) fut envoïée à la Campagne chez un honête Fermier, qu’avoit épousé une de leurs Servantes. Avant son départ, cette jeune Demoiselle, qui s’étoit aperçue du mauvais état où les affaires de sa Maison se [116] trouvoient alors, & qui en craignoit la ruïne, engagea une de ses Amies du voisinage à lui écrire, de tems en tems, ce qu’elle en sauroit. Amabile étoit dans la fleur de son âge & de sa beauté, lors que le Seigneur du Fief, qui alloit souvent chez ce Fermier, dans ses Parties de Chasse, devint passionnément amoureux d’elle. C’étoit un Homme qui ne manquoit pas de générosité, mais qui, par une mauvaise éducation, avoit conçu de l’antipatie pour le Mariage. De sorte qu’il forma le dessein d’attaquer la Vertu d’Amabile, quoi qu’il ne jugea pas à propos de le découvrir d’abord. L’innocente Créature, qui ne se défioit pas de lui, trouvoit sa Personne agréable, & se flata même, dès qu’elle vit augmenter sa passion, qu’elle pourroit bien-tôt rétablir la fortune délabrée de sa Famille, par un Mariage si avantageux. Un jour qu’il lui rendit visite, il la trouva toute éplorée à l’occasion d’une Lettre qu’elle venoit de recevoir de son Amie, qui lui marquoit, qu’on avoit saisi tous les effets de son Pere, par ordre de la Justice. L’Amant n’eut pas plûtôt découvert, quoi qu’avec quelque peine, la cause de sa douleur, qu’il lui fit une Proposition bien hardie. On ne sauroit exprimer la honte qu’elle ressentit, lors qu’elle s’aperçut de ses vûes mal-honêtes. Frustrée de toutes ses esperances, & sans avoir la force de parler, au milieu du trouble qui l’environnoit, elle courut dans sa Chambre, où elle s’enferma. Là-dessus, il envoïa un Exprès à son Pere avec la Lettre suivante.

[117] Nível 4► Diálogo► Monsieur,

« A l’ouïe de vôtre malheur, j’ai ofert à votre Fille une Pension viagere de quatre cens Livres sterlin par an, si elle veut demeurer avec moi, & de fournir la Somme qui vous manque pour vous tirer d’embarras. Je vous dirai franchement que mon dessein n’est pas de l’épouser : mais si vous êtes sage, vous l’engagerez, par l’autorité que vous avez sur elle, à ne faire pas trop la délicate, & à profiter de l’occasion qu’elle a de vous rétablir, avec toute votre Famille, & de se rendre elle-même heureuse. Je suis, &c. » ◀Diálogo ◀Nível 4

Cette lettre tomba entre les mains de la Mere d’Amabile, qui l’ouvrit & la lût avec autant de surprise que de chagrin. Elle ne trouva pas à propos de s’expliquer là-dessus au Porteur, qu’elle pria de revenir le lendemain matin, & à qui elle remit une Lettre, pour sa Fille, conçue en ces termes :

Nível 4► Diálogo► Ma très-chere enfant.

« Vôtre Pere & moi venons de recevoir une Lettre d’un Gentilhomme qui prétend être amoureux de vous. Il insulte à nos malheurs par la proposition qu’il nous fait, & qui ne manqueroit pas de nous plonger, si elle étoit acceptée, dans un plus cruel état que celui où nous [118] sommes réduits. Comment est-ce que le Barbare a pû s’imaginer que le plus tendre de tous les Peres & la plus tendre de toutes les Meres seroient capables d’abandonner à la Honte & à l’Infamie la meilleure de toutes les Filles, pour subvenir à leurs besoins ? C’est un indigne & cruel artifice de nous proposer une telle démarche, lors qu’il croit que la Nécessité peut nous reduire à tout ; mais nous ne voulons pas manger notre Pain aux dépens de l’Honeur ; ainsi nous vous chargeons de n’avoir aucun égard à notre état, & d’éviter le piége qu’on tend à votre Vertu. Ne soyez pas trop sensible à nôtre disgrace : Les affaires ne sont pas si délabrées qu’on pourroit vous l’avoir dit. Tout ira bien, s’il plait à Dieu : & j’aurai occasion de vous écrire de bonnes nouvelles.

Nível 5► Narração geral► J’en étois ici lors qu’une Personne est venue fraper à notre Porte, & m’a fait quiter la plume en sursaut. Je ne sai par quel mouvement secret je vous disois que nos affaires prendroient un meilleur tour ; mais elle nous a païé une vielle dette sur laquelle nous ne comptions plus. ◀Narração geral ◀Nível 5 Oh ! ma chere Enfant, je vous dirai tout. J’ai été quelques jours sans avoir presque un sou, réduite à donner à votre pauvre Pere tout l’argent que j’avois pû ramasser. Vous pleurerez sans doute lors que vous saurez l’endroit où il est ; mais soyez persuadée qu’il sera [119] bientôt en liberté. Cette cruelle & indigne Lettre de vôtre Amant lui auroit donné le coup de mort, si je n’avois eu soin de la dérober à ses yeux. Je n’ai d’autre compagnie que celle de ma petite Fanchon, qui observe mes regards à mesure que j’écris, & qui demande à chaudes larmes sa bonne Sœur. Elle s’est mise dans l’esprit que vous êtes malade, parce qu’elle a découvert que je suis en peine pour vous. Mais ne croïez pas que je renouvelle ici mes chagrins pour vous afliger ; Non, ce n’est pas là mon but ; j’ai seulement en vûe de vous exhorter à ne les rendre pas insuportables, par une lâche complaisance mille fois pire que tout le reste. Soutenons courageusement une Epreuve, que nous ne nous sommes pas attirée nous-mêmes, & souvenez-vous qu’il y a un Etre invisible qui peut nous en délivrer par une meilleure voie, que par le sacrifice de vôtre Honeur. Dieu veuille garantir ma chere Enfant de la sentation ! Je suis, &c. » ◀Diálogo ◀Nível 4

Quoi que l’Exprès du Gentilhomme eut promis de donner cette Lettre à la jeune Demoiselle, il la remit à son Maître, dans la pensée qu’il se feroit un plaisir de la rendre lui-même. Le Maître, impatient de savoir quelle étoit le succès de sa proposition, la décacheta & la lût en secret. Il ne fut pas moins touché d’y voir un Portrait si naïf de la Vertu affligée, que surpris de trouver qu’on y rejettoit ses ofres. Cependant, [120] résolu de ne pas suprimer la Lettre, il la recacheta avec beaucoup de soin, & la porta à sa Maîtresse, qui ne voulut jamais le voir, quelques instances qu’il en fit, jusqu’à ce qu’elle sût qu’il avoit une Lettre de sa Mere à lui donner. Il ne s’en défaisit, qu’à condition qu’elle ne sortiroit pas de la Chambre pour la lire. Elle y donna les mains, & alors il fixa les yeux sur elle pour observer tous ses mouvemens : L’émotion, qu’elle eut à cette lecture, imprima une nouvelle douceur à sa beauté ; & lors qu’elle fondit en larmes, il ne pût retenir les siennes, ni s’empêcher de lui dire qu’il avoit lû cette même Lettre, & qu’il étoit prêt à reparer sa faute, qui la lui avoit atirée. Mes Lecteurs ne seront pas fâchez de voir ici la seconde Lettre, qu’il écrivit à la Mere d’Amabile.

Nível 4► Diálogo► Madame,

« Je suis confus, & je ne me pardonnerai jamais moi-même, si je n’obtiene votre pardon de ce que je vous ai écrit en dernier lieu. Il n’y avoit rien de plus éloigné de ma pensée que d’ajouter affliction à l’affligé & si vous m’aviez connu, je ne serois jamais tombé dans une faute, que je tâcherai de reparer, si Dieu me donne vie, en prenant la qualité de votre Fils. Vous ne sauriez être malheureuse pendant qu’Amabile est votre Fille ; & vous ne la serez pas non plus [121] à coup sûr, s’il est du moins en mon pouvoir de la prévenir. Je suis, &c. » ◀Diálogo ◀Nível 4

Il envoïa cette Lettre par l’Intendant de sa Maison, & bientôt après il se rendit lui-même en Ville, pour achever ce qu’il avoit résolu. Par sa générosité & le secours éfectif qu’il donna, le Pere de sa Maîtresse fut en état de rétablir ses affaires délabrées. En un mot, il épousa Amabile, & il eut ainsi la double satisfaction de remettre sur pié une honnête Famille pleine de bonnes qualitez, & de se rendre lui-même heureux par cette Alliance. » ◀Narração geral ◀Nível 3 ◀Nível 2 ◀Nível 1

1Voyez Tome III. p. 134.