Le Spectateur ou le Socrate moderne: XVI. Discours
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XVI. Discours
Zitat/Motto
Nam nos decebat cœtus
celebrantes domum
Lugere, ubi esset aliquis in lucem editus,
Humanæ vitæ varia reputantes mala ;
At, qui labores morte finisset graves,
Hunc omnes amicos laude & lætitia exequi.
Eurip. ap. Cic. Troja Quast. L. I. c. 48.
Lors que nous repassons dans l’esprit tous les maux, auxquels la Vie des Hommes est sujette, nous croïons qu’il seroit de la bienséance de plaindre une Famille, où quelcun vient de naître ; au lieu que tout le monde devroit témoigner de la joie, lors que la Mort finit les pénibles travaux d’un de leurs Amis, & l’en féliciter lui-même.
Lugere, ubi esset aliquis in lucem editus,
Humanæ vitæ varia reputantes mala ;
At, qui labores morte finisset graves,
Hunc omnes amicos laude & lætitia exequi.
Eurip. ap. Cic. Troja Quast. L. I. c. 48.
Lors que nous repassons dans l’esprit tous les maux, auxquels la Vie des Hommes est sujette, nous croïons qu’il seroit de la bienséance de plaindre une Famille, où quelcun vient de naître ; au lieu que tout le monde devroit témoigner de la joie, lors que la Mort finit les pénibles travaux d’un de leurs Amis, & l’en féliciter lui-même.
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Puisque ma Feuille est une espèce de
Gazette, qui contient les Nouvelles du Monde naturel, de même
que les autres nous aprennent ce qui se passe dans le Monde
politique, je vais inserer ici la Lettre suivante écrite de
Paris à un Gentil-Homme François de distinction établi dans
cette Ville, pour lui anoncer la Mort d’une véritable Heroïne,
qu’on peut regarder comme un Modèle de Patience & de
Générosité.
A peine trouveroit on un plus bel Exemple d’un Esprit
heroïque, que la maniere desintéressée dont cette Dame jugea de
son malheur. L’amour naturel qu’on a pour la Vie ne l’empêcha
pas d’avoir égard à l’accablement de cet Homme infortuné, dont
la passion extraordinaire, qu’il avoit pour elle, faisoit tout
le crime. Si l’on avoit une Relation exacte de la Vie de cette
Dame, qui l’a couronnée par une fin si glorieuse, cela ne
pourroit être que fort utile à la Société. Une pareille Grandeur
d’ame ne s’aquiert pas à l’article de la Mort, & il n’y a nul doute qu’une pratique constante de tout ce
qui est digne de nos éloges ne la rendît capable d’envisager la
Mort, non pas comme l’anéantissement, mais comme le chemin à la
perfection de son Etre. T.
De Paris le 18. Avril 1712.
Metatextualität
Lettre sur la Mort
de Madame de Villacerf.
Metatextualität
Lettre sur la Mort
de Madame de Villacerf.
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Brief/Leserbrief
Monsieur, « Il y a si
long-tems que vous êtes éloigné de vôtre Patrie, que je
me vois reduit à vous donner le Caractère de vos plus
proches, avec la même exactitude que si vous ne les
aviez jamais connus. Ce qui m’oblige de vous écrire
aujourd’hui est la Mort de Madame de Villacerf, que je
ne sai pas si un Homme de vôtre esprit philosophique
apellera infortunée ou non, puis que les circonstances,
qu’il y a euës, la rendent aussi digne de nos vœux que
triste & lamentable. Elle avoit jouï toute sa vie
d’une santé parfaite, honorée de tout le monde à cause
de l’égalité de son Humeur & de l’élevation de son
Esprit.
Vous qui n’aviez pas le bonheur d’en être connu
personnellement, n’avez qu’à vous réjouïr de ce que vous
êtiez allié d’une Dame d’un si grand mérite ; mais nous,
qui avons perdu sa conversation, ne pouvons pas si
facilement renoncer à notre avantage en faveur du lien.
Je suis &c. » Paul Regnaud.
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Allgemeine Erzählung
Le 10. de ce Mois elle
fut ataquée d’une Indisposition qui l’obligea de
garder sa chambre ; mais, quoi que trop legere
pour la retenir au Lit, elle étoit trop fâcheuse
pour lui permettre de se tranquilliser dans un
Fauteuil. Tout le monde sait à Paris, que Mr.
Festeau, un des plus célèbres Chirurgiens de cette
Ville, devint, il y a quelques années, éperdûment
amoureux de cette Dame : Sa naissance la mettoit á
l’abri de ses poursuites ; mais comme une Femme a
toûjours quelque égard pour celui qui l’admire,
sur l’avis que ses Medecins lui avoient donné de
se faire tirer un peu de sang, elle
resolut à cette occasion d’apeller Mr. Festeau. Je
m’y trouvai à l’heure qu’il s’y rendit, &
j’eus la permission de ma Cousine de rester dans
la Chambre. D’abord qu’il lui eut retroussé la
manche de la Chemise au-dessus du coude, &
qu’il vint à lui serrer le bras pour rendre la
Veine plus visible, il changea de couleur & me
parut saisi d’un tremblement universel. Je pris la
liberté de le dire à ma Cousine avec quelque
espèce de crainte : Elle en sourit, & ajouta
qu’elle étoit persuadée que Mr. Festeau n’avoit
aucune envie de lui faire du mal. Il sembla se
rafermir, &, après avoir souri à son tour, il
en vint à l’operation : Il n’eut pas plûtôt donné
le coup qu’il s’écria qu’il étoit le plus
malheureux de tous les Hommes, & qu’il avoit
piqué une Artere au lieu de la Veine. Il n’est pas
moins impossible d’exprimer l’abatement de
l’Operateur que la tranquillité de la Patiente.
Sans m’arrêter à de petites circonstances, je vous
dirai qu’au bout de trois jours il fut jugé
nécessaire de lui couper le bras. Bien loin d’en
user avec Festeau d’une maniere qui auroit paru
naturelle à tout autre Esprit que le sien, elle
voulut qu’il assistât à toutes les Consultations
qui se firent à cette occasion, & ne manqua
jamais de lui demander s’il aprouvoit les mesures
qu’on prenoit à son égard. Avant cette derniere
Operation, elle fit dresser son Testament, &, après avoir resté seule
environ une demi-heure, elle ordonna aux
Chirurgiens, du nombre desquels étoit le pauvre
Festeau, d’executer ce qu’ils avoient résolu. Je
ne me souviens pas de tous les termes de l’Art ;
mais, dès qu’on lui eut amputé le bras, on
découvrit quelques symptomes qui firent juger
qu’elle ne vivroit pas vingt-quatre heures. Elle
témoigna tant de courage & de grandeur d’ame
au milieu de ses maux, que j’eus la curiosité de
prendre garde à tout ce qui se passoit à mesure
qu’elle aprochoit de sa fin, & d’écrire en
abregé ce qu’elle dit à tous ceux qui
l’environnoient. J’écrivis même mot pour mot le
discours qu’elle tint à Mr. Festeau, & qui
étoit conçu en ces termes :
Pendant que cette illustre Dame lui tenoit ce discours, Festeau ressembloit plûtôt à
un homme qu’on condamne à la Mort, qu’à celui qui
reçoit une Pension viagere. Madame De Villacerf
vêcut jusques au lendemain à huit heures du soir ;
& quoi qu’elle sentît des douleurs excessives,
elles se posseda toûjours avec un calme & une
patience à toute épreuve ; en sorte qu’on peut
dire qu’elle ne mourut pas alors, mais qu’elle
cessa de respirer.
Zitat/Motto
Monsieur, vous me causez une peine
extrême par la douleur dont je vous vois accablé.
Prête à sortir de ce Monde, je ne dois plus
m’interésser à ce qui s’y passe : Je ne vous
regarde point du tout comme une Personne, dont la
méprise me coûte la vie ; mais plûtôt comme un
Bienfaicteur, qui avance mon entrée dans une
heureuse Immortalité. Voilà l’opinion que j’ai de
cet accident ; mais le Monde où vous vivez en peut
avoir des idées qui vous seroient préjudiciables :
C’est pour cela même que j’ai eu Soin de vous dans
mon Testament, & que je vous ai mis en état de
n’avoir rien á craindre de leur malice.