Cita bibliográfica: Anonym (Ed.): "XIII. Discours", en: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.4\013 (1720), pp. 75-79, editado en: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Los "Spectators" en el contexto internacional. Edición digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1311 [consultado el: ].


Nivel 1►

XIII. Discours

Cita/Lema► Non ego mordaci destrinxi carmine quemquam.
Ovid. Trist L. II. 563.
Je n’ai jamais écrit des vers satiriques contre personne. ◀Cita/Lema

Metatextualidad► Raisons qui engagent le Spectateur à ne répondre pas à les Critiques. ◀Metatextualidad

Nivel 2► J’ai eu souvent la démangeaison d’écrire des invectives contre ceux qui ont attaqué mes Ouvrages, ou qui ont mal parlé de ma Personne ; mais je regarde comme un bonheur singulier d’avoir étoufé mon ressentiment & de n’en être jamais venu à cette extremité. Après avoir écrit une fois la moitié d’une Satire, j’eus tant de compassion pour la Personne que j’avois mal traitée, que je condamnai mon Ecrit au feu sans y avoir mis la derniere main. J’ai été assez indigné pour faire des Epigrammes & autres petites Piéces satiriques, & après les avoir admirées un ou deux jours, j’ai eu le courage de les condamner aux flammes. Ce sont autant de Victimes que j’ai immolées à l’Humanité, & j’ai reçu beaucoup plus de satisfaction de les avoir suprimées, qu’elles n’auroient pû m’atirer de l’honeur, ou mortifier mes Ennemis, si je les avois rendues publiques. Si un Homme a quelque talent pour écrire, c’est la marque d’un bon Esprit, de ne répondre pas aux injures & aux [76] calomnies, avec la même aigreur qu’on les a débitées contre lui : Mais lors qu’un Homme s’est donné la peine de rendre la pareille à son Antagoniste, & qu’il a en main de quoi se vanger, s’il y renonce tout d’un coup, & qu’il étoufe son ressentiment, il y a là quelque chose de grand & d’heroïque. Plus l’injure, qu’on lui a faite, est atroce & mal-fondée, plus il a du mérite à la pardonner.

Je n’ai jamais trouvé une Reflexion mieux poussée, ni qui m’ai plû davantage, que celle d’Epictete, qui considere un Ennemi sous un nouveau jour, & qui nous en donne une idée toute diférente de celle que nous en avons d’ordinaire. En voici le sens en peu de mots : Cita/Lema► « 1 Quelcun vous taxe-t-il d’être orgueilleux ou d’un méchant naturel, de porter envie aux autres ou d’avoir trop bonne opinion de vous-même, d’être Ignorant ou Calomniateur ? Examinez-vous bien là-dessus, & voïez si ses reproches sont légitimes ou non : S’ils ne le sont pas, sachez que vous n’êtes pas celui qu’il blâme, qu’il en veut à une Personne imaginaire, & qu’il aime peut-être ce que vous êtes réellement, quoi qu’il haïsse ce que vous paroissez être à [77] ses yeux. Mais si vous trouvez que ses reproches soient bien fondez ; si vous êtes ce qu’il vous croit, un Envieux, un Homme d’un mauvais naturel, corrigez-vous au plûtôt, devenez honête, afable & obligeant ; alors ses reproches tombent d’eux-mêmes, ou, s’ils continuent, vous devez y être insensible, puis que vous n’êtes plus la Personne qu’ils attaquent. » ◀Cita/Lema

Je m’aplique souvent cette Regle, &, lors que j’entends parler de quelque Ecrit satirique, où l’on me drape, j’examine si ses traits tombent sur moi ou non. Si je me condamne moi-même, je tâche de me corriger de tous les défauts qu’on me reproche ; mais si l’Invective n’est fondée que sur le Mensonge, je n’en fais aucun cas, & il me semble que mon Nom, mis à la tête d’une de ces Piéces, n’est autre chose qu’un de ces Noms feints qu’un Auteur met en usage pour representer un Caractere de son invention. Pourquoi est-ce qu’un Homme seroit sensible à un trait lancé contre un défaut, dont il n’est pas coupable ? Ou pourquoi subiroit-il la peine d’un crime qu’il n’a pas commis ? Cette insensibilité est une force d’esprit, que chacun doit témoigner pour son Innocence, & sans laquelle il seroit impossible qu’un Homme de quelque distinction, ou qui a du mérite, vêcût en paix avec lui-même dans un Païs, où l’Esprit & la Liberté dominent.

Exemplum► Le fameux Mr. Balzac, dont tous les Ouvrages respirent cette grandeur d’ame, [78] qui lui étoit si naturelle, en donne une marque fort vive dans une de ses Lettres au Chancelier de France, qui avoit prévenu la publication d’un Libelle contre lui, où il s’exprime en ces termes : Cita/Lema► 2 Si la chose étoit nouvelle, il se peut que je ne serois pas faché de la suppression du premier Libelle qui me diroit des injures : Mais à cette beure qu’il y en a pour le moins une médiocre Bibliotheque, je suis presque bien-aise qu’elle se grossisse, & prens plaisir de faire une Monjoie des pierres, que l’Envie m’a jettées sans me faire mal. ◀Cita/Lema

L’Auteur fait ici allusion à ces Monumens que les Orientaux élevoient sur les Corps morts, & où chaque Voiageur jettoit une pierre en passant. Il est certain qu’il n’y a pas de Monument si glorieux que celui qui est élevé de cette maniere par les mains de l’Envie. Pour moi, j’admire plus un Auteur qui peut soutenir courageusement un Reproche mal-fondé, que pour tout l’esprit & la satire la plus fine, dont il assaisonneroit une Replique. ◀Exemplum

Voilà quelle est ma pensée, & les raisons que j’ai euës pour ne pas répondre en forme aux Censeurs de mes Discours. Ajoutez à cela qu’un Ouvrage, plein de reflexions personnelles & de disputes, est presque inutile au Public : De-là vient aussi que je ne me suis jamais détourné de mon [79] chemin pour relever les petites chicanes que l’Envie ou l’Ignorance m’a suscitées. La Cohue des Barbouilleurs, qui n’ont pas d’autre moïen, pour se faire connoitre, que d’attaquer les Ecrits qui ont obtenu quelque réputation dans le monde, m’auroient bien donné de l’exercice, s’ils m’avoient vû disposé à entrer en lice avec eux.

Nivel 3► Fabel► Je finirai ce Discours par la Fable du Voïageur, dans Boccalini, qui, entêté du bruit des Cigales, sauta en grande furie de son Cheval, résolu de les massacrer toutes. C’étoit, à ce que remarque l’Auteur, une peine assez inutile, puis que, s’il avoit continué son voïage sans prendre garde à ces Insectes, ils seroient tous morts en peu de semaines, & il n’en auroit pas soufert la moindre incommodité. ◀Fabel ◀Nivel 3

L. ◀Nivel 2 ◀Nivel 1

1Il semble que l’Auteur Anglois a voulu paraphraser ici quelques Préceptes de cet ancien Philosophe, tels que sont la Sect. 48. & la 64. de l’Enchiridion, ou de l’Abregé de sa Philosophie, que Mr. G. Boileau a publiée en François.

2Voïez Lettre XLIII. Liv, XVI. p. 170, Edition de Paris in Fol. 1665.