Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "VII. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.4\007 (1720), S. 40-44, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1305 [aufgerufen am: ].


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VII. Discours

Zitat/Motto► Invidiam placare paras virtute relicta ?
Hor. L. ii. Sat. iii. 13.
Voulez-vous apaiser l’Envie, en renonçant à la Vertu ? ◀Zitat/Motto

Metatextualität► Contre la Medisance. ◀Metatextualität

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Mr. le Spectateur,

« Il y quelque tems qu’on ne vous a point vû dans les Assemblées que je fréquente ; ce qui me fait craindre que vous n’ignorez ce qui se passe dans cette partie du beau monde, qu’on croit à juste titre, s’il m’est permis de le dire, les gens les plus polis de la Ville. Sâchez d’ailleurs que les raports injurieux me démontent, que je suis l’ennemie déclarée de tout ce qui s’apelle Médisance, & que je regarde ce défaut comme la plus indigne lâcheté, dont les Personnes distinguées se puissent rendre coupables. Malgré tout cela, il n’y a presque point de Compagnie, où l’on ne déchire le tiers & le quart, d’abord qu’on s’avise d’y louer quelcun. Le Mérite, soit à l’égard de l’Esprit ou de la Beauté, n’est autre chose que la faveur d’un petit nombre de Gens de néant, à laquelle on ne sauroit ateindre, si l’on posséde l’un ou l’autre. Ils ont en vûë de faire consister tout le bien & le mal dans les raports, les calom-[41]nies & les impertinences, qui se disent à l’oreille, ou à l’ouïe de tout le monde, & d’en être eux-mêmes les principaux Directeurs. C’est ainsi qu’on ternit la réputation des Personnes les plus innocentes dès qu’elles paroissent en ville, & qu’il sufit qu’une jeune Demoiselle mérite l’estime & l’admiration des honêtes Gens, pour être l’objet de l’envie & de la haine de ces malins Esprits. Cette abominable Coûtume de suprimer ou d’afoiblir tout ce qui est digne de nos éloges, n’est pas moins ordinaire parmi les Hommes, qu’entre les Femmes. Si je puis me rappeler ce qui se passa hier au soir dans une Visite, vous verrez que les deux Sexes sont également portez à médire & à calominier avec la même fureur.

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Mr. de Jarnac se rendit chez Madame de St. Leger vers les huit heures : Il seroit inutile de vous décrire le Cercle qu’on y formoit ; puis que vous savez de quelle maniere on y est assis : mais je vous aprendrai que ce Gentilhomme, éclairé par un Valer de pié fort leste, qui portoit deux flambeaux, & qui a toûjours ses cheveux sous le Bonnet jusqu’à ce que toutes les Bougies soient allumées & que la Cérémonie commence, je vous aprendrai, dis-je, que ce Gentilhomme, qui est d’une humeur bien divertissante, y entra en murmurant l’Air, Dialog► chaque trait, charmante Beauté, &c. Il ajouta d’abord, C’est la chose du monde la plus dé- [42] raisonnable que l’on ne puisse pas aller voir ses Amis en sûreté, & que ces Meutrieres soient toûjours en campagne. Quelle taille ! Quelle mine ! Quel coup d’œuil ne m’a-t-elle pas donné, lors que son carosse a passé près du mien !.....Là-dessus, Madame de S. Leger l’interropmpit en ces termes : Qui est donc cette Belle, je vous prie ?....C’est sans doute, Madame, dit une autre, cette Créature, dont je vous parlois, il n’y a qu’un moment. Celle ; dont vous parliez ! reprit Mr. de Jarnac ; je souhaiterois être venu assez-tôt, pour avoir le bonheur de vous entendre, puis que toute mon Eloquence ne sauroit exprimer ce qu’elle est : Mais si une taille avantageuse, un air modeste, une pudeur innocente, & l’envie de s’attirer les regards de tout le monde, au milieu de l’éclat de cent mille charmes….Oh ! Mr. de Jarnac, s’écria toute l’Assemblée, lors que Madlle Hotain, reconnuë pour une véritable Prude, dit qu’elle croyoit savoir de qui ce Gentilhomme vouloit parler, & qu’il avoit raison d’insinuer qu’elle cherchoit à s’attirer les yeux de tout le monde. Puis, en s’adressant à sa Voisine, C’est, continua-t-elle, la plus mal élevée Créature que vous ayez vît de vos jours. Quelque mal élevée que vous le trouviez, Madame, poursuivit une autre, on lui fait grand tort de la croire aussi Novice qu’elle paroit ; puis que, la semaine derniere, elle fut à un Bal jusqu’à [43] deux heures du matin ; Mr. de Jarnac sait s’il eut le bonheur de l’accompagner chez elle ; mais…. ◀Dialog Chaque Dame de l’Assemblée fit alors quelque exception à toutes les graces & à tous les avantages que Mr. de Jarnac lui attribuoit ; en sorte qu’il fut chasse d’un membre & d’un trait à l’autre, jusqu’à ce qu’il se vit forcé à lâcher prise & à leur abandonner la Belle toute entiere. Enfin je m’aperçus, à la mine de ce Gentilhomme & à l’air malin dont il haussa les épaules, qu’il rouloit dans son esprit tous ces coups de langue, & qu’il avoit envie de renouveller avec moi cette Conversation, mais je la laissai tomber, & je louai d’abord un certain Gentilhomme de ma connoissance, qui est d’une societé fort agréable, & qui joint, à un aire noble & gracieux, une modestie, une bravoure & une candeur tout extraordinaires. Mr. de Jarnac qui est de l’humeur des Femmes, soufrit patiemment que je fisse l’éloge de son Esprit & de son Cœur ; mais lors que j’en vins à sa bonne mine, il ne pût se retenir : Il avoua que c’étoit un très-honête Homme & qui n’étoit pas Sot ; mais pour un Gentilhomme bien-fait, que je l’excuserois s’il n’étoit pas de mon avis. Sur cet unique fondement, il nous donna la généalogie de cet honête Homme, il nous aprit de quelle maniere il avoit aquis une partie de son Bien ; qu’il en étoit redevable à un Mariage, & qu’après tout, il ne [44] voïoit rien en lui que de commun, soit à l’égard de l’Esprit ou de l’Education. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

C’est ainsi, Mr. le Spectateur, que la Médisance regne dans le Monde. Pour moi, je crains tant les méchantes Langues, que j’ai prié tous ceux qui me veulent du bien de ne me louer jamais ; puis que leurs éloges ne serviront qu’à faire éplucher mes défauts, & que j’aime mieux être inconnue, que de briller par des qualitez qu’on me disputeroit. Je ne doute pas même qu’il n’y ait des milliers de jeunes Gens, qui n’osent étudier les manieres polies, dans la crainte de se voir en bute à la Médisance, & qui pourroient servir d’ornement à la Societé. Ils passent leur vie dans une rusticité honteuse, malgré tous les avantages qu’ils possedent, soit à l’égard du Corps, de l’Esprit, ou de la Fortune. Ceux-ci, frapez d’une terreur panique, craignent d’être blâmez, & les Médisans prennent un plaisir malin à les ravaler. Je recommande les uns & les autres à vos bonnes Leçons ; & si vous pouvez les ramener, la Ville ne vous en aura pas seulement une obligation infinie, mais quantité de nos jeunes Dames & de nos beaux Esprits, qui commencent à se mettre en vogue, vous seront redevables de leur beauté & de leur reputation. Je suis &c. »

T.

Marie Justine. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2 ◀Ebene 1