HOR. Lib. I, Epist. II. 64.Un habile Ecuyer qui forme un jeune Cheval, le manie si adroitement, & lui fait si bien la bouche, qu’il le tourne comme bon lui semble.
Voïez Tome III. Disc. , dont j’ai publié deux Lettres sur l’Education des Enfans, vient de m’en écrire une troisiéme sur le même sujet. Ses idées à cet égard me paroissent si justes & si nouvelles, que je ne saurois m’empêcher de les communiquer ici au Public.
Monsieur,
« Si je n’avois été détourné par quelques affaires indispensables, vous auriez eu plûtôt ce qui me reste à vous dire sur le chapitre de l’Education.
Je vai donc proposer ici une Méthode, par laquelle il me semble que les jeunes Garçons peuvent se former à la Vertu, à mesure qu’ils avancent dans leurs Etudes.
Je sai que, dans la plûpart de nos Ecoles publiques, on décourage le Vice, & qu’il y est même puni, lors qu’on vient à l’apercevoir ; mais cela ne sufit pas, à moins que la Jeunesse n’y aprenne à juger sainement des choses, & à connoitre en quoi consiste la Ver tu<sic>.
Pour cet effet, lors qu’ils lisent les Vies & les Actions des Hommes illustres ou fameux dans le Monde, on ne devroit pas se borner à leur apprendre le Grec ou le Latin ; mais il faudroit leur demander ce qu’ils pensent d’une Action ou d’un tel Discours, & les obliger à dire les raisons pour quoi ils condamnent l’une & aprouvent l’autre. De cette maniere ils ariveroient insensiblement aux justes idées qu’on doit avoir du Courage, de la Temperance, de l’Honeur & de l’Equité.
qu’Alexandre, qui étoit d’un naturel bon, généreux & compatissant se rendît coupable d’une action aussi barbare que fut celle de traîner le Gouverneur d’une Ville après son Chariot. Je sai qu’on atribuë d’ordinaire cette action à la grande estime qu’il avoit pour Homere ; mais j’ai trouvé, en dernier lieu, un passage dans Plutarque, qui nous en découvre mieux le motif, si je ne me trompe. Cet Historien nous dit qu’Alexandre avoit dans sa jeunesse un Précepteur nommé Lysimaque, qui, malgré son impolitesse naturelle, gagna les bonnes graces de Philippe & de son Eleve, & devint la seconde Personne de l’Etat, pour avoir donné le nom de Pele’e au Roi, celui d’Achille au Prince, & avoir adopté lui-même celui de Phoenix. Il ne faut donc pas s’étonner si Alexandre, accoûtumé non seulement á admirer A-chille, mais aussi à jouer le même personnage, crût qu’il y alloit de sa gloire à l’imiter dans cet acte de cruauté & d’extravagance.
Pour ajouter quelque chose de plus à cette idée, je vous laisse á juger, si, au lieu d’appliquer un jeune Etudiant à faire un Thème, ou à composer quelques Vers, qui sont les Exercices ordinaires du College, il ne vaudroit pas mieux l’occuper, une ou deux fois la semaine, à mettre par écrit l’opinion qu’il a des Personnes & des Choses qu’il trouve dans la Lecture ; à raisonner, par exemple, sur les Actions de Turnus ou d’Ené’e, à montrer en quoi elles étoient heroïques ou défectueuses, à blâmer ou à louer une certaine Démarche, à observer comment elle auroit pû recevoir un plus haut degré de perfection, & à quel égard elle en surpassoit une autre ou n’en aprochoit pas. Il pourroit aussi remarquer en même tems ce qu’il y a de moral dans une Harangue, & jusques á quel point elle s’accorde avec le Caractere de celui qui la fait. Cet Exercice lui fortifieroit bientôt le Jugement sur ce qui est digne de blâme ou de louange, & lui inculqueroit de bonne heure les Principes de la Morale
Outre les Exemples, qu’on peut trouver dans les Livres, j’aprouve fort la Maxime d’Horace, qui veut qu’on mette devant les yeux de la Jeunesse les I. Sat IV. 107-115. Dans la traduction de cet endroit, je n’ai pas suivi à tous égards le P. Tarteron, qui me semble, s’il m’est permis de le dire, s’être un peu éloigné du véritable sens du texte. Quand il m’exbortoit, ajoute-t-il, à la temperance & à la frugalité. Contente-toi, disoit-il, mon fils, du peu que je t’ai amassé. Vois-tu le fils d’Albius, comme il a de la peine à subsister ? Barrus n’a pas du pain, il a tout mangé. Leur misere te doit servir de bonne leçon, & t’apprendre à ménager ton bien. S’il vouloit m’inspirer de l’horreur pour la débauche des femmes ; souvien-toi, me disoit-il, de ne pas ressembler à Sectanus. S’il vouloit m’empêcher de souiller la Couche d’un autre ; n’est-il pas permis, me disoit-il, de te marier en honnête-Homme, & ne vois-tu pas quelle est la mauvaise reputation de Trebonius, qui a été surpris en adultere ? Pour insinuer jusqu’où va l’éficace d’une si bonne Méthode, le Poëte conclut, Ibid. vl. 126-129.qu’elle fait autant d’impression sur l’esprit de la Jeunesse, qu’une mort arrivée dans le voisinage en fait sur l’esprit de ceux qui sont malades, & qui , dans le crainte de mourir, se condamnent à la diète, quelque apétit qu’ils aient d’ailleurs.
Xenophon parle dans l’Histoire de Cyrus, sont assez connues : Voïez la Traduction Il nous dit que les Enfans des
La Méthode, que les Gymnasophistes des Indes suivoient pour élever leurs Disciples, est encore plus curieuse & plus digne de remarque. Voici de quelle maniere Apule’e nous la décrit. Lors que le Dîner est prêt, dit-il, avant qu’on le serve, les Maîtres demandent à chacun des Ecôliers ce qu’il a fait depuis le lever du Soleil : Les uns répondent que, choisis pour Juges entre deux Personnes, qui avoient eu quelque démêlé, ils ont vuidé la dispute & les ont remis bien ensemble ; les autres prouvent qu’ils ont executé les ordres qu’il avoient reçû de leurs Parens ; & d’autres, qu’ils ont trouvé quelque chose de nouveau par leur aplication à l’étude, ou qu’ils l’ont apris de leurs Camarades : Mais s’il y en a quelcun qui ne puisse pas faire voir qu’il a emploié la matinée à quelque chose d’utile, il est mis à l’écart & obligé de travailler pendant que les autres dînent.
De ces diférentes Méthodes qu’on a suivies pour inspirer la Vertu aux Enfans, il n’est pas impossible d’en former une générale. Tout ce que je veux dire par-là est, Qu’on ne sauroit commencer trop tôt à inculquer la Vertu à nôtre Jeunesse, puis que les premieres impressions sont toûjours les plus vives & de plus longue durée.
Cambrai fait dire à Telemaque Voyez , que, tout jeune qu’il étoit, il avoit déja vieilli dans l’habitude de garder son secret, & de ne trahir jamais le secret d’autrui. Lors que mon Pere, ajoute ce Prince, partit pour aller au siége de
En un mot, dans nos Ecôles publiques, il n’y manque rien tant que des Maîtres disposez à régler les mœurs de leurs Disciples, avec le même soin qu’ils prennent pour les instruire des Langues savantes. Locke Voïez p. 102 de son , qui croit qu’un Homme doit avoir une grande opinion des mots, s’il préfere le Langage des anciens
Comme le sujet que je viens de traiter est de la derniere importance, & que je ne sâche pas qu’aucun Auteur en ait écrit dans la même vûë, je vous envoie les pensées que la méditation & la lecturs m’on fournies là-dessus, avec plein pouvoir de les suprimer ou de les publier suivant que vous le jugerez à propos. Je suis, &c. »