III. Discours Anonym Moralische Wochenschriften Michaela Fischer Editor Stefanie Lenzenweger Editor Martin Stocker Editor Institut für Romanistik, Universität Graz 17.12.2013 info:fedora/o:mws.2273 Anonym: Le Spectateur français ou le Socrate moderne. Tome IV. Amsterdam: Frères Wetstein 1720, 14-22 Le Spectateur ou le Socrate moderne 4 003 1720 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Erziehung und Bildung Educazione e Formazione Education and Formation Educación y Formación Éducation et formation France 2.0,46.0

III. Discours

Fingit equum tenerâ dicilem cervice Magister Ire viam, quam monstrat eques :HOR. Lib. I, Epist. II. 64.Un habile Ecuyer qui forme un jeune Cheval, le manie si adroitement, & lui fait si bien la bouche, qu’il le tourne comme bon lui semble.

Lettre sur l’Education de la Jeunesse.

L’AuteurVoïez Tome III. Disc. xvi. p. 100, & Disc. LXII. P.191, dont j’ai publié deux Lettres sur l’Education des Enfans, vient de m’en écrire une troisiéme sur le même sujet. Ses idées à cet égard me paroissent si justes & si nouvelles, que je ne saurois m’empêcher de les communiquer ici au Public.

Monsieur,

« Si je n’avois été détourné par quelques affaires indispensables, vous auriez eu plûtôt ce qui me reste à vous dire sur le chapitre de l’Education. Vous pouvez vous souvenir que, dans ma derniere Lettre, je tâchai d’exposer les raisons les plus fortes qu’on puisse alléguer en faveur de l’Education domestique, & de celle des Ecoles et du College. On croira peut-être que je marquois plus de penchant pour la derniere, quoi que j’avouasse d’ailleurs que la Vertu, qu’on doit préferer à tout, s’aquiert plus facilement en particulier.

Je vai donc proposer ici une Méthode, par laquelle il me semble que les jeunes Garçons peuvent se former à la Vertu, à mesure qu’ils avancent dans leurs Etudes.

Je sai que, dans la plûpart de nos Ecoles publiques, on décourage le Vice, & qu’il y est même puni, lors qu’on vient à l’apercevoir ; mais cela ne sufit pas, à moins que la Jeunesse n’y aprenne à juger sainement des choses, & à connoitre en quoi consiste la Ver tu<sic>.

Pour cet effet, lors qu’ils lisent les Vies & les Actions des Hommes illustres ou fameux dans le Monde, on ne devroit pas se borner à leur apprendre le Grec ou le Latin ; mais il faudroit leur demander ce qu’ils pensent d’une Action ou d’un tel Discours, & les obliger à dire les raisons pour quoi ils condamnent l’une & aprouvent l’autre. De cette maniere ils ariveroient insensiblement aux justes idées qu’on doit avoir du Courage, de la Temperance, de l’Honeur & de l’Equité.

Lors qu’il s’agit de leur proposer un Exemple, on doit bien prendre garde à ne pas le recommander en général, mais en ce qui est digne de loüange, puis que les plus grands Hommes ont leurs défauts. Sans cette précaution, il arrive souvent qu’un jeune Garçon est si éblouï par l’éclat d’un Caractere sublime, qu’il confond ses Vertus avec ses Vices, & qu’il admire ce qui merite un souverain mépris.

Je me suis étonné bien des fois de voir qu’Alexandre, qui étoit d’un naturel bon, généreux & compatissant se rendît coupable d’une action aussi barbare que fut celle de traîner le Gouverneur d’une Ville après son Chariot. Je sai qu’on atribuë d’ordinaire cette action à la grande estime qu’il avoit pour Homere ; mais j’ai trouvé, en dernier lieu, un passage dans Plutarque, qui nous en découvre mieux le motif, si je ne me trompe. Cet Historien nous dit qu’Alexandre avoit dans sa jeunesse un Précepteur nommé Lysimaque, qui, malgré son impolitesse naturelle, gagna les bonnes graces de Philippe & de son Eleve, & devint la seconde Personne de l’Etat, pour avoir donné le nom de Pele’e au Roi, celui d’Achille au Prince, & avoir adopté lui-même celui de Phoenix. Il ne faut donc pas s’étonner si Alexandre, accoûtumé non seulement á admirer A-chille, mais aussi à jouer le même personnage, crût qu’il y alloit de sa gloire à l’imiter dans cet acte de cruauté & d’extravagance.

Pour ajouter quelque chose de plus à cette idée, je vous laisse á juger, si, au lieu d’appliquer un jeune Etudiant à faire un Thème, ou à composer quelques Vers, qui sont les Exercices ordinaires du College, il ne vaudroit pas mieux l’occuper, une ou deux fois la semaine, à mettre par écrit l’opinion qu’il a des Personnes & des Choses qu’il trouve dans la Lecture ; à raisonner, par exemple, sur les Actions de Turnus ou d’Ené’e, à montrer en quoi elles étoient heroïques ou défectueuses, à blâmer ou à louer une certaine Démarche, à observer comment elle auroit pû recevoir un plus haut degré de perfection, & à quel égard elle en surpassoit une autre ou n’en aprochoit pas. Il pourroit aussi remarquer en même tems ce qu’il y a de moral dans une Harangue, & jusques á quel point elle s’accorde avec le Caractere de celui qui la fait. Cet Exercice lui fortifieroit bientôt le Jugement sur ce qui est digne de blâme ou de louange, & lui inculqueroit de bonne heure les Principes de la Morale

Outre les Exemples, qu’on peut trouver dans les Livres, j’aprouve fort la Maxime d’Horace, qui veut qu’on mette devant les yeux de la Jeunesse les beaux ou les infames Caractères de leurs Contemporains. C’étoit la Méthode, à ce qu’il nous dit, que son Pere observoit, pour l’engager à suivre quelque Vertu, ou à s’éloigner de quelque Vice. Lib. I. Sat IV. 107-115. Dans la traduction de cet endroit, je n’ai pas suivi à tous égards le P. Tarteron, qui me semble, s’il m’est permis de le dire, s’être un peu éloigné du véritable sens du texte. Quand il m’exbortoit, ajoute-t-il, à la temperance & à la frugalité. Contente-toi, disoit-il, mon fils, du peu que je t’ai amassé. Vois-tu le fils d’Albius, comme il a de la peine à subsister ? Barrus n’a pas du pain, il a tout mangé. Leur misere te doit servir de bonne leçon, & t’apprendre à ménager ton bien. S’il vouloit m’inspirer de l’horreur pour la débauche des femmes ; souvien-toi, me disoit-il, de ne pas ressembler à Sectanus. S’il vouloit m’empêcher de souiller la Couche d’un autre ; n’est-il pas permis, me disoit-il, de te marier en honnête-Homme, & ne vois-tu pas quelle est la mauvaise reputation de Trebonius, qui a été surpris en adultere ? Pour insinuer jusqu’où va l’éficace d’une si bonne Méthode, le Poëte conclut, Ibid. vl. 126-129.qu’elle fait autant d’impression sur l’esprit de la Jeunesse, qu’une mort arrivée dans le voisinage en fait sur l’esprit de ceux qui sont malades, & qui , dans le crainte de mourir, se condamnent à la diète, quelque apétit qu’ils aient d’ailleurs.

Les Ecôles de Justice, dont Xenophon parle dans l’Histoire de Cyrus, sont assez connues : Voïez la Traduction Françoise de cette Histoire par Mr. Charpentier, Liv, I. p. 7. Edit. de Paris le 12. ?? 1661.Il nous dit que les Enfans des Perses y alloient tous les jours pour aprendre les lettres. Leurs Gouveneurs, ajoute-t-il, s’occupent la plus grande partie de la journée á juger de leurs differens ; car il s’en émeut entr’eux, aussi-bien qu’entre les personnes plus âgées, & ils s’accusent quelquefois de larcin, de rapine, de violence, de tromperie & d’injures : Si quelcun est convaincu de ces crimes, il en est puni ; & ils ne manquent pas de châtier, avec la même riguer, celui qui auroit accusé un innocent. J’omets  Ibid, p. 289la décision sur les deux Robes, l’une trop longue & l’autre trop courte, pour laquelle Cyrus lui-même fut châtie ; puis qu’elle est aussi connue qu’aucun des Cas raportez dans Littleton.

La Méthode, que les Gymnasophistes des Indes suivoient pour élever leurs Disciples, est encore plus curieuse & plus digne de remarque. Voici de quelle maniere Apule’e nous la décrit. Lors que le Dîner est prêt, dit-il, avant qu’on le serve, les Maîtres demandent à chacun des Ecôliers ce qu’il a fait depuis le lever du Soleil : Les uns répondent que, choisis pour Juges entre deux Personnes, qui avoient eu quelque démêlé, ils ont vuidé la dispute & les ont remis bien ensemble ; les autres prouvent qu’ils ont executé les ordres qu’il avoient reçû de leurs Parens ; & d’autres, qu’ils ont trouvé quelque chose de nouveau par leur aplication à l’étude, ou qu’ils l’ont apris de leurs Camarades : Mais s’il y en a quelcun qui ne puisse pas faire voir qu’il a emploié la matinée à quelque chose d’utile, il est mis à l’écart & obligé de travailler pendant que les autres dînent.

De ces diférentes Méthodes qu’on a suivies pour inspirer la Vertu aux Enfans, il n’est pas impossible d’en former une générale. Tout ce que je veux dire par-là est, Qu’on ne sauroit commencer trop tôt à inculquer la Vertu à nôtre Jeunesse, puis que les premieres impressions sont toûjours les plus vives & de plus longue durée.

L’Archevêque de Cambrai fait dire à TelemaqueVoyez les Aventures de Telemaque, Liv. III. p. 43 & 44. Edit. de Roterdam en 1717., que, tout jeune qu’il étoit, il avoit déja vieilli dans l’habitude de garder son secret, & de ne trahir jamais le secret d’autrui. Lors que mon Pere, ajoute ce Prince, partit pour aller au siége de Troïe, environné de tous les Seigneurs d’Ithaque, il me prit sur ses genoux, & d’après m’avoir baisé tendrement, il leur dit, O ! mes amis, je vous laisse ce Fils qui m’est si cher, ayez soin de son enfance. Si vous m’aimez, éloignez de lui la pernicieuse flaterie, enseignez-lui à se vaincre. Sur tout n’oubliez rien pour le rendre juste, bienfaisant, sincere & fidéle à garder un secret. Ces paroles, continuë Telemaque, qu’on a en soin de me répéter souvent, ont pénétré jusqu’au fond de mon cœur ; je me les redis souvent à moi-même. Les amis de mon Pere eurent soin de m’exercer de bonne heure au secret. J’étois encore dans la plus tendre enfance, & ils me confioient déja toutes les peines qu’ils ressentoient, voyant ma Mere exposée à un grand nombre de téméraires qui vouloient l’épouser. Ainsi on me traitoit dès-lors comme un homme raisonnable & sûr ; on m’entretenoit souvent des plus grandes affaires ; on m’instruisoit de ce qu’on avoit résolu pour écarter ces prétendans. J’étois ravi qu’on eût en moi cette confiance. Par-là je me croyois déja un homme fait. Jamais je n’en ai abusé ; jamais il ne m’est échappé une seule parole qui pût découvrir le moindre secret. Souvent les prétendans tâchoient de me faire parler, esperant qu’un Enfant qui auroit vû ou entendu quelque chose d’important, ne sauroit pas se retenir : mais je savois bien leur répondre sans mentir, & sans leur apprendre ce que je ne devois point leur dire.

A peine y a-t-il une seule Vertu, & laquelle un jeune Garçon ne pût se former ainsi par l’exemple & par l’usage.

J’ai entendu parler d’un habile Maître, fort honête Homme, qui donnoit quelquefois une Pièce de six sous à chacun de ses Ecoliers, pour lui dire le lendemain à quoi ils l’avoient emploiée. Le tiers en devoit toûjours être destiné à des aumônes, & chacun d’eux étoit loué ou blamé à proportion du mérite ou de l’indignité de l’Objet qu’il avoit choisi.

En un mot, dans nos Ecôles publiques, il n’y manque rien tant que des Maîtres disposez à régler les mœurs de leurs Disciples, avec le même soin qu’ils prennent pour les instruire des Langues savantes. Par tout où l’on n’enseigne pas la Vertu, je ne saurois m’empêcher d’être de l’avis de Mr. LockeVoïez p. 102 de son Education des Enfans, traduite par Mr. P. Coste, & imprimée à Amsterdam en 1708., qui croit qu’un Homme doit avoir une grande opinion des mots, s’il préfere le Langage des anciens Grecs & Romains à ce qui a produit de si grands Hommes parmi eux, & s’il hasarde l’Innocence & la Vertu de son Fils pour un peu de Grec & de Latin.

Comme le sujet que je viens de traiter est de la derniere importance, & que je ne sâche pas qu’aucun Auteur en ait écrit dans la même vûë, je vous envoie les pensées que la méditation & la lecturs m’on fournies là-dessus, avec plein pouvoir de les suprimer ou de les publier suivant que vous le jugerez à propos. Je suis, &c. »

III. Discours Fingit equum tenerâ dicilem cervice Magister Ire viam, quam monstrat eques :HOR. Lib. I, Epist. II. 64.Un habile Ecuyer qui forme un jeune Cheval, le manie si adroitement, & lui fait si bien la bouche, qu’il le tourne comme bon lui semble. Lettre sur l’Education de la Jeunesse. L’AuteurVoïez Tome III. Disc. xvi. p. 100, & Disc. LXII. P.191, dont j’ai publié deux Lettres sur l’Education des Enfans, vient de m’en écrire une troisiéme sur le même sujet. Ses idées à cet égard me paroissent si justes & si nouvelles, que je ne saurois m’empêcher de les communiquer ici au Public. Monsieur, « Si je n’avois été détourné par quelques affaires indispensables, vous auriez eu plûtôt ce qui me reste à vous dire sur le chapitre de l’Education. Vous pouvez vous souvenir que, dans ma derniere Lettre, je tâchai d’exposer les raisons les plus fortes qu’on puisse alléguer en faveur de l’Education domestique, & de celle des Ecoles et du College. On croira peut-être que je marquois plus de penchant pour la derniere, quoi que j’avouasse d’ailleurs que la Vertu, qu’on doit préferer à tout, s’aquiert plus facilement en particulier. Je vai donc proposer ici une Méthode, par laquelle il me semble que les jeunes Garçons peuvent se former à la Vertu, à mesure qu’ils avancent dans leurs Etudes. Je sai que, dans la plûpart de nos Ecoles publiques, on décourage le Vice, & qu’il y est même puni, lors qu’on vient à l’apercevoir ; mais cela ne sufit pas, à moins que la Jeunesse n’y aprenne à juger sainement des choses, & à connoitre en quoi consiste la Ver tu<sic>. Pour cet effet, lors qu’ils lisent les Vies & les Actions des Hommes illustres ou fameux dans le Monde, on ne devroit pas se borner à leur apprendre le Grec ou le Latin ; mais il faudroit leur demander ce qu’ils pensent d’une Action ou d’un tel Discours, & les obliger à dire les raisons pour quoi ils condamnent l’une & aprouvent l’autre. De cette maniere ils ariveroient insensiblement aux justes idées qu’on doit avoir du Courage, de la Temperance, de l’Honeur & de l’Equité. Lors qu’il s’agit de leur proposer un Exemple, on doit bien prendre garde à ne pas le recommander en général, mais en ce qui est digne de loüange, puis que les plus grands Hommes ont leurs défauts. Sans cette précaution, il arrive souvent qu’un jeune Garçon est si éblouï par l’éclat d’un Caractere sublime, qu’il confond ses Vertus avec ses Vices, & qu’il admire ce qui merite un souverain mépris. Je me suis étonné bien des fois de voir qu’Alexandre, qui étoit d’un naturel bon, généreux & compatissant se rendît coupable d’une action aussi barbare que fut celle de traîner le Gouverneur d’une Ville après son Chariot. Je sai qu’on atribuë d’ordinaire cette action à la grande estime qu’il avoit pour Homere ; mais j’ai trouvé, en dernier lieu, un passage dans Plutarque, qui nous en découvre mieux le motif, si je ne me trompe. Cet Historien nous dit qu’Alexandre avoit dans sa jeunesse un Précepteur nommé Lysimaque, qui, malgré son impolitesse naturelle, gagna les bonnes graces de Philippe & de son Eleve, & devint la seconde Personne de l’Etat, pour avoir donné le nom de Pele’e au Roi, celui d’Achille au Prince, & avoir adopté lui-même celui de Phoenix. Il ne faut donc pas s’étonner si Alexandre, accoûtumé non seulement á admirer A-chille, mais aussi à jouer le même personnage, crût qu’il y alloit de sa gloire à l’imiter dans cet acte de cruauté & d’extravagance. Pour ajouter quelque chose de plus à cette idée, je vous laisse á juger, si, au lieu d’appliquer un jeune Etudiant à faire un Thème, ou à composer quelques Vers, qui sont les Exercices ordinaires du College, il ne vaudroit pas mieux l’occuper, une ou deux fois la semaine, à mettre par écrit l’opinion qu’il a des Personnes & des Choses qu’il trouve dans la Lecture ; à raisonner, par exemple, sur les Actions de Turnus ou d’Ené’e, à montrer en quoi elles étoient heroïques ou défectueuses, à blâmer ou à louer une certaine Démarche, à observer comment elle auroit pû recevoir un plus haut degré de perfection, & à quel égard elle en surpassoit une autre ou n’en aprochoit pas. Il pourroit aussi remarquer en même tems ce qu’il y a de moral dans une Harangue, & jusques á quel point elle s’accorde avec le Caractere de celui qui la fait. Cet Exercice lui fortifieroit bientôt le Jugement sur ce qui est digne de blâme ou de louange, & lui inculqueroit de bonne heure les Principes de la Morale Outre les Exemples, qu’on peut trouver dans les Livres, j’aprouve fort la Maxime d’Horace, qui veut qu’on mette devant les yeux de la Jeunesse les beaux ou les infames Caractères de leurs Contemporains. C’étoit la Méthode, à ce qu’il nous dit, que son Pere observoit, pour l’engager à suivre quelque Vertu, ou à s’éloigner de quelque Vice. Lib. I. Sat IV. 107-115. Dans la traduction de cet endroit, je n’ai pas suivi à tous égards le P. Tarteron, qui me semble, s’il m’est permis de le dire, s’être un peu éloigné du véritable sens du texte. Quand il m’exbortoit, ajoute-t-il, à la temperance & à la frugalité. Contente-toi, disoit-il, mon fils, du peu que je t’ai amassé. Vois-tu le fils d’Albius, comme il a de la peine à subsister ? Barrus n’a pas du pain, il a tout mangé. Leur misere te doit servir de bonne leçon, & t’apprendre à ménager ton bien. S’il vouloit m’inspirer de l’horreur pour la débauche des femmes ; souvien-toi, me disoit-il, de ne pas ressembler à Sectanus. S’il vouloit m’empêcher de souiller la Couche d’un autre ; n’est-il pas permis, me disoit-il, de te marier en honnête-Homme, & ne vois-tu pas quelle est la mauvaise reputation de Trebonius, qui a été surpris en adultere ? Pour insinuer jusqu’où va l’éficace d’une si bonne Méthode, le Poëte conclut, Ibid. vl. 126-129.qu’elle fait autant d’impression sur l’esprit de la Jeunesse, qu’une mort arrivée dans le voisinage en fait sur l’esprit de ceux qui sont malades, & qui , dans le crainte de mourir, se condamnent à la diète, quelque apétit qu’ils aient d’ailleurs. Les Ecôles de Justice, dont Xenophon parle dans l’Histoire de Cyrus, sont assez connues : Voïez la Traduction Françoise de cette Histoire par Mr. Charpentier, Liv, I. p. 7. Edit. de Paris le 12. ?? 1661.Il nous dit que les Enfans des Perses y alloient tous les jours pour aprendre les lettres. Leurs Gouveneurs, ajoute-t-il, s’occupent la plus grande partie de la journée á juger de leurs differens ; car il s’en émeut entr’eux, aussi-bien qu’entre les personnes plus âgées, & ils s’accusent quelquefois de larcin, de rapine, de violence, de tromperie & d’injures : Si quelcun est convaincu de ces crimes, il en est puni ; & ils ne manquent pas de châtier, avec la même riguer, celui qui auroit accusé un innocent. J’omets Ibid, p. 289la décision sur les deux Robes, l’une trop longue & l’autre trop courte, pour laquelle Cyrus lui-même fut châtie ; puis qu’elle est aussi connue qu’aucun des Cas raportez dans Littleton. La Méthode, que les Gymnasophistes des Indes suivoient pour élever leurs Disciples, est encore plus curieuse & plus digne de remarque. Voici de quelle maniere Apule’e nous la décrit. Lors que le Dîner est prêt, dit-il, avant qu’on le serve, les Maîtres demandent à chacun des Ecôliers ce qu’il a fait depuis le lever du Soleil : Les uns répondent que, choisis pour Juges entre deux Personnes, qui avoient eu quelque démêlé, ils ont vuidé la dispute & les ont remis bien ensemble ; les autres prouvent qu’ils ont executé les ordres qu’il avoient reçû de leurs Parens ; & d’autres, qu’ils ont trouvé quelque chose de nouveau par leur aplication à l’étude, ou qu’ils l’ont apris de leurs Camarades : Mais s’il y en a quelcun qui ne puisse pas faire voir qu’il a emploié la matinée à quelque chose d’utile, il est mis à l’écart & obligé de travailler pendant que les autres dînent. De ces diférentes Méthodes qu’on a suivies pour inspirer la Vertu aux Enfans, il n’est pas impossible d’en former une générale. Tout ce que je veux dire par-là est, Qu’on ne sauroit commencer trop tôt à inculquer la Vertu à nôtre Jeunesse, puis que les premieres impressions sont toûjours les plus vives & de plus longue durée. L’Archevêque de Cambrai fait dire à TelemaqueVoyez les Aventures de Telemaque, Liv. III. p. 43 & 44. Edit. de Roterdam en 1717., que, tout jeune qu’il étoit, il avoit déja vieilli dans l’habitude de garder son secret, & de ne trahir jamais le secret d’autrui. Lors que mon Pere, ajoute ce Prince, partit pour aller au siége de Troïe, environné de tous les Seigneurs d’Ithaque, il me prit sur ses genoux, & d’après m’avoir baisé tendrement, il leur dit, O ! mes amis, je vous laisse ce Fils qui m’est si cher, ayez soin de son enfance. Si vous m’aimez, éloignez de lui la pernicieuse flaterie, enseignez-lui à se vaincre. Sur tout n’oubliez rien pour le rendre juste, bienfaisant, sincere & fidéle à garder un secret. Ces paroles, continuë Telemaque, qu’on a en soin de me répéter souvent, ont pénétré jusqu’au fond de mon cœur ; je me les redis souvent à moi-même. Les amis de mon Pere eurent soin de m’exercer de bonne heure au secret. J’étois encore dans la plus tendre enfance, & ils me confioient déja toutes les peines qu’ils ressentoient, voyant ma Mere exposée à un grand nombre de téméraires qui vouloient l’épouser. Ainsi on me traitoit dès-lors comme un homme raisonnable & sûr ; on m’entretenoit souvent des plus grandes affaires ; on m’instruisoit de ce qu’on avoit résolu pour écarter ces prétendans. J’étois ravi qu’on eût en moi cette confiance. Par-là je me croyois déja un homme fait. Jamais je n’en ai abusé ; jamais il ne m’est échappé une seule parole qui pût découvrir le moindre secret. Souvent les prétendans tâchoient de me faire parler, esperant qu’un Enfant qui auroit vû ou entendu quelque chose d’important, ne sauroit pas se retenir : mais je savois bien leur répondre sans mentir, & sans leur apprendre ce que je ne devois point leur dire. A peine y a-t-il une seule Vertu, & laquelle un jeune Garçon ne pût se former ainsi par l’exemple & par l’usage. J’ai entendu parler d’un habile Maître, fort honête Homme, qui donnoit quelquefois une Pièce de six sous à chacun de ses Ecoliers, pour lui dire le lendemain à quoi ils l’avoient emploiée. Le tiers en devoit toûjours être destiné à des aumônes, & chacun d’eux étoit loué ou blamé à proportion du mérite ou de l’indignité de l’Objet qu’il avoit choisi. En un mot, dans nos Ecôles publiques, il n’y manque rien tant que des Maîtres disposez à régler les mœurs de leurs Disciples, avec le même soin qu’ils prennent pour les instruire des Langues savantes. Par tout où l’on n’enseigne pas la Vertu, je ne saurois m’empêcher d’être de l’avis de Mr. LockeVoïez p. 102 de son Education des Enfans, traduite par Mr. P. Coste, & imprimée à Amsterdam en 1708., qui croit qu’un Homme doit avoir une grande opinion des mots, s’il préfere le Langage des anciens Grecs & Romains à ce qui a produit de si grands Hommes parmi eux, & s’il hasarde l’Innocence & la Vertu de son Fils pour un peu de Grec & de Latin. Comme le sujet que je viens de traiter est de la derniere importance, & que je ne sâche pas qu’aucun Auteur en ait écrit dans la même vûë, je vous envoie les pensées que la méditation & la lecturs m’on fournies là-dessus, avec plein pouvoir de les suprimer ou de les publier suivant que vous le jugerez à propos. Je suis, &c. »