II. Discours Anonym Moralische Wochenschriften Michaela Fischer Editor Stefanie Lenzenweger Editor Martin Stocker Editor Institut für Romanistik, Universität Graz 17.12.2013 info:fedora/o:mws.2272 Anonym: Le Spectateur français ou le Socrate moderne. Tome IV. Amsterdam: Frères Wetstein 1720, 7-14 Le Spectateur ou le Socrate moderne 4 002 1720 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Sitten und Bräuche Costumi Manners and Customs Costumbres Mœurs et coutumes France 2.0,46.0

II. Discours

clament periisse putoremCuncti paenè Patres, ea cum reprehendere coner,Quae gravis Æsopus, quae doctus Roscius egit :Vel quia nil rectum, nisi quod placuit sibi, ducunt ;Vel quia turpe putant parêre minoribus ; & quae Imberbes didicêre, senes perdenda fateri.HOR. L. II. Epist. I. 80.Presque tous nos Senateurs diroient : Voilà un impudent critique, d’oser blâmer des Vers recitez par Roscius & par Esope, ces fameux Comédiens. Cela vient de ce qu’ils s’imaginent qu’il n’y a rien de bien écrit, que ce qui a eu autrefois le bonheur de leur plaire ; ou de ce qu’ils se croiroient deshonorez de céder aux jeunes gens ; & d’avoüer, sur le retour, que ce qu’ils ont appris étant jeunes, n’en valoit pas la peine.

Lettre sur l’Autorité malfondée que les Vieillards s’attribuent.

Mr. le Spectateur,

« Convaincu que vous travaillez sans relâche à l’avancement du Savoir & du bon Goût, je me crois obligé d’ofrir à votre examen tout ce qui peut les favoriser, ou leur porter quelque préjudi-ce. Il y a un Mal qui, depuis une longue suite de Genérations, regne à l’abri des Cheveux gris & d’une Coûtume tyrannique : J’espere qu’avec l’autorité d’un Censeur public, dont vous êtes muni, vous en préviendrez au-plûtôt le venin, & que vous ne soufrirez pas que les Vieillards l’emportent sur les raisonnemens les plus solides de ceux qui sont moins âgez qu’eux, par la seule force ou la superiorité de leur âge. Pourquoi regarde-t-on comme une insolence impardonnable & un renversement de la Nature, si un Homme, qui est à la fleur de son âge, & dans toute la vigueur de son Esprit, ose contredire un Vieillard, & n’être pas du même avis ? Je suis jeune, il est vrai ; mais j’honore les Cheveux gris autant que qui que ce soit au monde : Cela n’empêche pas que je ne les entende parler obscurément, ou raisonner tout de travers ; ce qui arrive quelquefois aux plus habiles, soit à cause de leurs préjugez, de l’orgueil ou de l’intérêt qui les anime. Je ne croi pas qu’il ait du mal à les relever là-dessus, à moins que la Conscience n’abandonne ses droits au Cérémoniel, & que la Verité ne doive être immolée à la Complaisance. Les plus forts Argumens sont énervez, & la Démonstration la plus évidente disparoit, lors qu’un Vieillard prononce ses vénérables Décisions, & qu’il vous dit d’un ton de Maître : Vous êtes de jeunes Etourdis, & vous ne connoissez pas bien le Monde. C’est ainsi qu’on met des obstacles à l’ardeur des jeunes Gens, & qu’on entretient leur paresse, puis qu’on leur ôte presque les moyens de se faire valoir à cet âge, & d’aquerir de nouvelles lumieres ; puis que, sur le retour, la foiblesse de la Nature doit passer pour force d’Esprit, & que les Cheveux gris les mettent au-dessus des attaques de la Contradiction. Je n’ignore pas, Monsieur, que vous ne pensez qu’à favoriser nôtre activité dans la recherche du vrai & du Faux ; prenez donc nôtre Cause en main, glosez les paroles du brave Elihu, soutenez les droits de la Jeunesse, & ne soufrez pas que les Vieillards nous en dépouillent. Les nobles idées de cet illustre jeune Homme ne peuvent qu’orner vos Discours, & persuadé que les plus sensez de vos Lecteurs les trouveront à leur goût, je vous prie d’y vouloir insérer le XXXII. Chapitre du Livre de Job.

Alors ces trois hommes-là cesserent de répondre à Job, parce qu’il continuoit à se croire juste. Là-dessus Elihu, fils de Barakéel Buzite, de la famille de Kam, se mit en grande colere, & se fâche contre Job, de ce qu’il assûroit qu’il était juste devant Dieu. Il s’irrite aussi contre ses trois amis, de ce qu’ils n’avoient trouvé rien de raisonnable pour répondre à Job quoi qu’ils l’eussent condamné. Elihu aten-dit donc que Job eut cessé de parler, parce qu’il étoit moins âgé que ceux qui lui avoient répondu. Mais voiant qu’ils n’avoient pû tous trois rien répondre à Job, il fut transporté de colere. Et voici la maniere dont Elihu, fils de Barakéel Buzite, leur parla : Je suis le plus jeune & vous êtes fort âgez ; c’est pourquoi j’ai baissé la tête, sans oser vous dire mon avis. Car je m’attendois qu’un âge si avancé vous fourniroit de bonnes réponses, & que le grand nombre de vos années vous instruiroit de la sagesse. Mais, à ce que je voi, quoi que l’esprit soit dans tous les hommes, c’est l’inspiration du Tout-puissant qui donne l’intelligence. Ce ne sont pas toûjours ceux qui ont vécu long-tems qui sont les plus sages, & la lumiere de la justice n’est pas toûjours le partage de la vieillesse. C’est pourquoi je dirai mon avis : écoutez-moi, & je vous ferai voir quelle est ma sagesse. J’ai atendu que vous eussiez achevé de parler ; j’ai voulu voir, tant que vous avez disputé contre Job, quelle pourrait être votre sagesse. Je me suis contenté de vous regarder, tant que j’ai cru que vous diriez quelque chose ; mais, à ce que je voi, nul d’entre vous ne peut convaincre Job, ni répondre à ce qu’il a dit. Ce seroit en vain que vous diriez peut-être : Nous avons trouvé le secret de la vraie sagesse : c’est Dieu qui l’a rejetté, & non l’homme. Ce n’est point à moi que Job a adressé la parole ; & ce ne sera point selon vos raisonne-mens que je lui répondrai. Les voilà intimidez, ils n’ont plus rien à répondre, ils se sont eux-mêmes fermé la bouche. Puis donc que j’ai attendu sans qu’ils aient parlé, & qu’ils sont demeurez muets & sans réponse : Je parlerai aussi à mon tour, & je ferai voir quelle est ma science. Car je suis plein des choses que j’ai à dire, & mon esprit est comme en travail, pour enfanter toutes les pensées qu’il a conçues. Mon imagination ressemble à du vin nouveau qui n’a point d’air, & qui rompt les Vaisseaux neufs où on le renferme. Je parlerai donc pour respirer un peu, j’ouvrirai mes lévres & je répondrai. Je n’aurai d’égard pour personne, & je n’égalerai point l’Homme à Dieu. Car je ne sai combien de tems je subsisterai sur la Terre, & j’ignore si celui qui m’a créé ne m’ôtera point bientôt du monde. »

Lettre sur les Dames fainéantes, qui embarrassent les Boutiques des Marchandes.

Mr. le Spectateur,

« J’ai lû, avec une grande satisfaction, vosVoïez Tome I. pag. 377.381, & 447- 449. Discours sur les Idoles, & sur la conduite de leurs Adorateurs dans les Caffez où elles dominent. J’esperois que vous en viendriez à la fin à nos Boutiques, où l’on vend des Marchandises & de la Porcelaine des Indes & de la Chine : Mais puis que vous nous avez négligées jusques-ici, soit que vous nous aïez cruës indignes de vos soins, ou que nos Griefs aient échapé à la pénétration de vos yeux, il faut que je vous en porte mes plaintes. J’y suis d’autant plus encouragée, que vous semblez avoir un peu plus de loisir qu’à l’ordinaire. Je tiens une des principales Boutiques de la Ville, où l’on trouve d’aussi bonne Marchandise des Indes & de la Chine, & où j’ai l’honeur de recevoir, s’il m’est permis de le dire, aussi belle compagnie, qu’aucune autre qu’il y ait dans ce Quartier. En un mot, je pourrois vivre à mon aise, n’étoit une troupe de Dames, que je nommerai de petites-Maîtresses, qui, sous prétexte de faire leurs innocentes tournées, & de s’épanouïr la rate, ne manquent presque jamais de me harceler 2. ou trois fois le jour, soit pour marchander du Thé, ou acheter un Ecran ; puis qu’elles ne sauroient avoir aucun autre dessein, s’il les en faut croire sur leur parole. Ces petites-Maîtresses sont : vos Fainéantes de qualité & à la mode, qui n’aïant rien à faire, s’occupent à bouleverser toutes mes Marchandises. Une de ces belles Chalandes, qui, pour vous le dire en passant, n’achetent que très peu de chose, & souvent même rien, me demande un assortiment de Tasses à Thé, une autre un Bassin, une troisiéme de mon meilleur Thé verd : Enfin, il n’y a pas une seule Piéce de Porcelaine dans toute ma Boutique, depuis le moindre Pot jusques à la plus grande Jatte, où l’on fait le C’est une Liqueur forte, composée d’Eau de vie, d’Eau, de Jus de Citron, & de Sucre. Punch, qui ne doive être deplacée, & tout y est mis sens dessus dessous ; en sorte que je ne puis les comparer qu’à ces Esprits folets qui se devertissent à déranger toute l’économie des Plats & des Assiettes dans les Cuisines de nos bonnes Ménageres. Après tout ce tracas & ce charivari, cela est trop cher ; ceci leur déplaît ; cette Piéce est d’une grande beauté, mais elles n’en ont pas besoin : Au bout du compte, ces Dames se guérissent du mal de rate, & je n’ai pas un Chelin de plus dans ma Bourse. Hélas ! que signifie la vente d’un miserable Pot à Thé, eu égard à l’embarras qu’elles me donnent ? Les Vapeurs, Mr. le speculatif, sont une terrible chose ; car quoi que je n’en sois pas attaquée moi-même, j’en souffre plus que si j’y étois sujette. Pour conclusion, je vous demande en grace d’avertir tous ces Esprits folets, qui tracassent le jour, de moins hanter les Boutiques, ou d’être moins incommodes lors qu’ils les honorent de leur presence ; & de leur insinuer que nous autres bonnes Gens, qui vendons en détail, avons quelque chose de meilleur á faire que de nous amuser á guérir les Dames de leurs vapeurs gratis. Mon jeune Fils, qui n’est qu’un petit Ecolier, m’a servi de Secretaire. En cas donc qu’il y ait quel-que faute dans ce que vous venez de lire, vous aurez la bonté, s’il vous plaît, de l’excuser, & de me croire, &c. »

T.

Rebecca l’afligée

II. Discours clament periisse putoremCuncti paenè Patres, ea cum reprehendere coner,Quae gravis Æsopus, quae doctus Roscius egit :Vel quia nil rectum, nisi quod placuit sibi, ducunt ;Vel quia turpe putant parêre minoribus ; & quae Imberbes didicêre, senes perdenda fateri.HOR. L. II. Epist. I. 80.Presque tous nos Senateurs diroient : Voilà un impudent critique, d’oser blâmer des Vers recitez par Roscius & par Esope, ces fameux Comédiens. Cela vient de ce qu’ils s’imaginent qu’il n’y a rien de bien écrit, que ce qui a eu autrefois le bonheur de leur plaire ; ou de ce qu’ils se croiroient deshonorez de céder aux jeunes gens ; & d’avoüer, sur le retour, que ce qu’ils ont appris étant jeunes, n’en valoit pas la peine. Lettre sur l’Autorité malfondée que les Vieillards s’attribuent. Mr. le Spectateur, « Convaincu que vous travaillez sans relâche à l’avancement du Savoir & du bon Goût, je me crois obligé d’ofrir à votre examen tout ce qui peut les favoriser, ou leur porter quelque préjudi-ce. Il y a un Mal qui, depuis une longue suite de Genérations, regne à l’abri des Cheveux gris & d’une Coûtume tyrannique : J’espere qu’avec l’autorité d’un Censeur public, dont vous êtes muni, vous en préviendrez au-plûtôt le venin, & que vous ne soufrirez pas que les Vieillards l’emportent sur les raisonnemens les plus solides de ceux qui sont moins âgez qu’eux, par la seule force ou la superiorité de leur âge. Pourquoi regarde-t-on comme une insolence impardonnable & un renversement de la Nature, si un Homme, qui est à la fleur de son âge, & dans toute la vigueur de son Esprit, ose contredire un Vieillard, & n’être pas du même avis ? Je suis jeune, il est vrai ; mais j’honore les Cheveux gris autant que qui que ce soit au monde : Cela n’empêche pas que je ne les entende parler obscurément, ou raisonner tout de travers ; ce qui arrive quelquefois aux plus habiles, soit à cause de leurs préjugez, de l’orgueil ou de l’intérêt qui les anime. Je ne croi pas qu’il ait du mal à les relever là-dessus, à moins que la Conscience n’abandonne ses droits au Cérémoniel, & que la Verité ne doive être immolée à la Complaisance. Les plus forts Argumens sont énervez, & la Démonstration la plus évidente disparoit, lors qu’un Vieillard prononce ses vénérables Décisions, & qu’il vous dit d’un ton de Maître : Vous êtes de jeunes Etourdis, & vous ne connoissez pas bien le Monde. C’est ainsi qu’on met des obstacles à l’ardeur des jeunes Gens, & qu’on entretient leur paresse, puis qu’on leur ôte presque les moyens de se faire valoir à cet âge, & d’aquerir de nouvelles lumieres ; puis que, sur le retour, la foiblesse de la Nature doit passer pour force d’Esprit, & que les Cheveux gris les mettent au-dessus des attaques de la Contradiction. Je n’ignore pas, Monsieur, que vous ne pensez qu’à favoriser nôtre activité dans la recherche du vrai & du Faux ; prenez donc nôtre Cause en main, glosez les paroles du brave Elihu, soutenez les droits de la Jeunesse, & ne soufrez pas que les Vieillards nous en dépouillent. Les nobles idées de cet illustre jeune Homme ne peuvent qu’orner vos Discours, & persuadé que les plus sensez de vos Lecteurs les trouveront à leur goût, je vous prie d’y vouloir insérer le XXXII. Chapitre du Livre de Job. Alors ces trois hommes-là cesserent de répondre à Job, parce qu’il continuoit à se croire juste. Là-dessus Elihu, fils de Barakéel Buzite, de la famille de Kam, se mit en grande colere, & se fâche contre Job, de ce qu’il assûroit qu’il était juste devant Dieu. Il s’irrite aussi contre ses trois amis, de ce qu’ils n’avoient trouvé rien de raisonnable pour répondre à Job quoi qu’ils l’eussent condamné. Elihu aten-dit donc que Job eut cessé de parler, parce qu’il étoit moins âgé que ceux qui lui avoient répondu. Mais voiant qu’ils n’avoient pû tous trois rien répondre à Job, il fut transporté de colere. Et voici la maniere dont Elihu, fils de Barakéel Buzite, leur parla : Je suis le plus jeune & vous êtes fort âgez ; c’est pourquoi j’ai baissé la tête, sans oser vous dire mon avis. Car je m’attendois qu’un âge si avancé vous fourniroit de bonnes réponses, & que le grand nombre de vos années vous instruiroit de la sagesse. Mais, à ce que je voi, quoi que l’esprit soit dans tous les hommes, c’est l’inspiration du Tout-puissant qui donne l’intelligence. Ce ne sont pas toûjours ceux qui ont vécu long-tems qui sont les plus sages, & la lumiere de la justice n’est pas toûjours le partage de la vieillesse. C’est pourquoi je dirai mon avis : écoutez-moi, & je vous ferai voir quelle est ma sagesse. J’ai atendu que vous eussiez achevé de parler ; j’ai voulu voir, tant que vous avez disputé contre Job, quelle pourrait être votre sagesse. Je me suis contenté de vous regarder, tant que j’ai cru que vous diriez quelque chose ; mais, à ce que je voi, nul d’entre vous ne peut convaincre Job, ni répondre à ce qu’il a dit. Ce seroit en vain que vous diriez peut-être : Nous avons trouvé le secret de la vraie sagesse : c’est Dieu qui l’a rejetté, & non l’homme. Ce n’est point à moi que Job a adressé la parole ; & ce ne sera point selon vos raisonne-mens que je lui répondrai. Les voilà intimidez, ils n’ont plus rien à répondre, ils se sont eux-mêmes fermé la bouche. Puis donc que j’ai attendu sans qu’ils aient parlé, & qu’ils sont demeurez muets & sans réponse : Je parlerai aussi à mon tour, & je ferai voir quelle est ma science. Car je suis plein des choses que j’ai à dire, & mon esprit est comme en travail, pour enfanter toutes les pensées qu’il a conçues. Mon imagination ressemble à du vin nouveau qui n’a point d’air, & qui rompt les Vaisseaux neufs où on le renferme. Je parlerai donc pour respirer un peu, j’ouvrirai mes lévres & je répondrai. Je n’aurai d’égard pour personne, & je n’égalerai point l’Homme à Dieu. Car je ne sai combien de tems je subsisterai sur la Terre, & j’ignore si celui qui m’a créé ne m’ôtera point bientôt du monde. » Lettre sur les Dames fainéantes, qui embarrassent les Boutiques des Marchandes. Mr. le Spectateur, « J’ai lû, avec une grande satisfaction, vosVoïez Tome I. pag. 377.381, & 447- 449.Discours sur les Idoles, & sur la conduite de leurs Adorateurs dans les Caffez où elles dominent. J’esperois que vous en viendriez à la fin à nos Boutiques, où l’on vend des Marchandises & de la Porcelaine des Indes & de la Chine : Mais puis que vous nous avez négligées jusques-ici, soit que vous nous aïez cruës indignes de vos soins, ou que nos Griefs aient échapé à la pénétration de vos yeux, il faut que je vous en porte mes plaintes. J’y suis d’autant plus encouragée, que vous semblez avoir un peu plus de loisir qu’à l’ordinaire. Je tiens une des principales Boutiques de la Ville, où l’on trouve d’aussi bonne Marchandise des Indes & de la Chine, & où j’ai l’honeur de recevoir, s’il m’est permis de le dire, aussi belle compagnie, qu’aucune autre qu’il y ait dans ce Quartier. En un mot, je pourrois vivre à mon aise, n’étoit une troupe de Dames, que je nommerai de petites-Maîtresses, qui, sous prétexte de faire leurs innocentes tournées, & de s’épanouïr la rate, ne manquent presque jamais de me harceler 2. ou trois fois le jour, soit pour marchander du Thé, ou acheter un Ecran ; puis qu’elles ne sauroient avoir aucun autre dessein, s’il les en faut croire sur leur parole. Ces petites-Maîtresses sont : vos Fainéantes de qualité & à la mode, qui n’aïant rien à faire, s’occupent à bouleverser toutes mes Marchandises. Une de ces belles Chalandes, qui, pour vous le dire en passant, n’achetent que très peu de chose, & souvent même rien, me demande un assortiment de Tasses à Thé, une autre un Bassin, une troisiéme de mon meilleur Thé verd : Enfin, il n’y a pas une seule Piéce de Porcelaine dans toute ma Boutique, depuis le moindre Pot jusques à la plus grande Jatte, où l’on fait le C’est une Liqueur forte, composée d’Eau de vie, d’Eau, de Jus de Citron, & de Sucre. Punch, qui ne doive être deplacée, & tout y est mis sens dessus dessous ; en sorte que je ne puis les comparer qu’à ces Esprits folets qui se devertissent à déranger toute l’économie des Plats & des Assiettes dans les Cuisines de nos bonnes Ménageres. Après tout ce tracas & ce charivari, cela est trop cher ; ceci leur déplaît ; cette Piéce est d’une grande beauté, mais elles n’en ont pas besoin : Au bout du compte, ces Dames se guérissent du mal de rate, & je n’ai pas un Chelin de plus dans ma Bourse. Hélas ! que signifie la vente d’un miserable Pot à Thé, eu égard à l’embarras qu’elles me donnent ? Les Vapeurs, Mr. le speculatif, sont une terrible chose ; car quoi que je n’en sois pas attaquée moi-même, j’en souffre plus que si j’y étois sujette. Pour conclusion, je vous demande en grace d’avertir tous ces Esprits folets, qui tracassent le jour, de moins hanter les Boutiques, ou d’être moins incommodes lors qu’ils les honorent de leur presence ; & de leur insinuer que nous autres bonnes Gens, qui vendons en détail, avons quelque chose de meilleur á faire que de nous amuser á guérir les Dames de leurs vapeurs gratis. Mon jeune Fils, qui n’est qu’un petit Ecolier, m’a servi de Secretaire. En cas donc qu’il y ait quel-que faute dans ce que vous venez de lire, vous aurez la bonté, s’il vous plaît, de l’excuser, & de me croire, &c. » T. Rebecca l’afligée