Cita bibliográfica: Pierre Carlet de Marivaux (Ed.): "VII. Feuille", en: L'Indigent philosophe ou l'homme sans souci, Vol.1\007 (1752), pp. 226-234, editado en: Ertler, Klaus-Dieter (Ed.): Los "Spectators" en el contexto internacional. Edición digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1268 [consultado el: ].


Nivel 1►

Septième feuille.

Nivel 2► Metatextualidad► Ecoutez, mon Lecteur futur, je vous mépriserois bien, si vous ressembliez à certaines gens qu’il y a dans le monde. Oh ! que l’esprit de l’homme est sot, & que les bons auteurs sont de grandes dupes, quand ils se donnent la peine de faire de bons ouvrages ! encore s’ils n’écrivoient [227] que pour se divertir, comme je fais à présent, moi, passe. Un Lecteur, quelque ostrogot qu’il soit, par exemple ne sçauroit mordre sur le plaisir que j’y prends, je l’en défie. Qu’il dise, s’il veut, que mon Livre ne vaut rien, que m’importe ! il n’est pas fait pour valoir mieux. Je ne songe pas à le rendre bon, ce n’est pas là ma pensée, je suis bien plus raisonnable que cela, vraiment ; je songe qu’à me le rendre amusant.

Est-ce qu’il y a des Lecteurs dans le monde ? je veux dire des gens qui méritent de l’être. Hélas ! si peu que rien ; je dis même à Paris, qui est une Ville où il y a tant de beaux esprits, tant de jeunes gens qui font de si jolis petits vers, de la petite prose si délicate, où il y a tant de femmes qui sont si aimables, & qui à cause de cela sont si spirituelles ; tant d’hommes qui ont du jugement, parce qu’ils sont graves & flegmatiques, tant de pédants qui ont l’air de penser si mûrement ; enfin, à Paris où il y a tant de gens qui font mine d’avoir du goût, & qui ont appris par cœur je ne sçais combien de formules d’approbation ou de critique, de petites façons de parler [228] avec lesquelles il semble qu’on y entend finesse.

Mais laissons cela, Relato general► je n’en parle qu’à l’occasion de deux personnes que je viens en passant d’entendre raisonner sur un excellent Livre, & qui en raisonnoient pitoyablement ; & dans le fond il n’y a pas grand inconvenient à tout cela : car qu’est-ce que l’esprit, pour qu’on se scandalise tant des injures qu’on lui fait ? je jetterois à croix & à pile de dire que j’en ai beaucoup, ou que je n’en ai point du tout, je n’y croirois ni gagner ni perdre. Quelques idées de plus qui n’aboutissent à rien qu’à faire souvent du mal, qui ne donnent que du babil & de l’orgueil à celui qui les a, n’est-ce pas là l’esprit ? je ne vois presque que le Papetier qui ait intérêt qu’on ne le méprise point : croyez-moi, celui qui n’en a gueres est tout aussi avancé que celui qui en a beaucoup, & celui qui n’en a point s’en passe avec un peu de sens commun ; car il ne faut que de cela dans la vie : il n’y a que de cela non plus, & je crois que les hommes ne vont pas plus loin : des passions & du sens commun, voilà leur lot, cela [229] est en eux comme le sang est dans leurs veines, voilà ce qu’ils reçoivent de la Nature : de l’esprit & des Livres, voilà ce qu’ils y ajoûtent, & on se passeroit bien de leurs présens. Quand je parle de sens commun, les faiseurs de Livres diront qu’ils ne cherchent que lui quand ils écrivent : mais celui qui est cherché ne vaut rien, il n’y a que celui qui nous vient dans le besoin, qui est bon, c’est le véritable, & il arrive assez sans qu’on le cherche ; il est simple, il ne sçait point se redresser, se mettre sur ses ergots pour faire le Prédicateur à propos de rien, il laisse faire cela à l’esprit qui son singe ; c’est ce singe-là qui est Philosophe, & qui nous donne souvent des visions au lieu de sciences. ◀Relato general

Relato general► Je me souviens qu’un jour à la campagne nous disputions deux de mes amis & moi sur l’ame. Un bon Paysan qui travailloit auprès de nous entendit notre dispute, & me dit après : Monsieur, vous avez tant parlé de nos ames, est-ce que vous en avez vu quelqu’une ? & il avoit raison de me demander cela, & je le demanderois à tous ceux qui en disputent.

[230] Metatextualidad► Et à propos de science, il me revient encore dans l’esprit un fait qu’il faut que je dise. ◀Metatextualidad J’ai eu autrefois une maîtresse qui étoit sçavante, sa folie étoit de philosopher sur les passions, pendant que je lui parlois de la mienne ; cela m’impatienta, & je me mis à mon tour à philosopher dans mon petit particulier contre elle. J’avois remarqué qu’elle étoit glorieuse de sçavoir si bien jaser, je pris donc le parti de la louer beaucoup, & de faire le surpris de sa pénétration ; elle m’en croyoit enchanté : sçavez-vous bien ce qui arriva ? c’est que pendant qu’elle définissoit les passions, je lui en donnai en tapinois une pour moi que sa vanité lui fit prendre par reconnoissance, & qui m’ennuya à la fin, parce que j’en méprisai l’origine ; elle fut fâchée de la retraite que je fis ; mais elle ne perdoit pas tout : car comme elle aimoit à philosopher, je lui laissois de la besogne pour cela en me retirant. Elle ne parloit des passions que par théorie, comme de l’amour, de la jalousie, & de ses foiblesses : il n’y avoit que son esprit qui les connoissoit, & je les lui mis dans le cœur, afin de les [231] approcher de plus près d’elle, de sorte qu’il ne tint qu’à elle de les connaître encore mieux : mais je crois qu’elle s’occupa plus à les sentir qu’à les examiner ; on ne songe gueres à ce qu’elles sont quand on les a, & depuis ce temps-là j’ai conçu qu’on ne les connoît bien, que lorsqu’on ne les a plus. ◀Relato general

Si les femmes lisent cet article-ci, elles m’en voudront du mal : mis qu’elles me le pardonnent, c’est la seule fois de ma vie que j’ai été inconstant ; encore ne l’ai-je été que parce que je ne m’étois fait aimer que par espieglerie, & que je ne pouvois pas songer à l’amour de ma Maîtresse sans le trouver comique, & sans la trouver elle-même ridicule de l’avoir pris ; & je crois que j’avois raison, mon inconstance étoit de bon sens.

Relato general► Retrato ajeno► Un homme de ma connoissance fit un jour à peu près comme moi : c’étoit un fort honnête homme, mais il n’étoit pas riche, il plaidoit, sa fortune dépendoit du gain de son procès, & tout ce qu’il avoit d’argent passoit à la nourriture de ce procès, & au profit des défenseurs de son bon droit ; [232] cela rendoit sa garde-robe modeste, il étoit fort simplement vêtu.

Dans cet état il prit de l’amour pour une très jolie Demoiselle ; notez qu’il étoit garçon de bonne mine ; mais ses habits étoient trop bruns ; la Demoiselle ne fit que jetter les yeux sur sa figure si peu décorée, & voilà qui fut fait, elle ne le regarda plus. Il avoit de l’esprit, & sentit fort bien la cause de sa disgrace ; de crainte pourtant de se tromper, il ne se rebute point, il revient & soupire plus fort : hélas ! loin qu’on l’entendit, on ne sçavoit pas seulement qu’il fut-là, son misérable habit étoit une nuée qui le couvroit ; mais attendez, il gagna son procès, & courut vîte chez le Marchand acheter de quoi se défaire de sa nuée ; & deux jours après retourne chez la Demoiselle, brillant comme un soleil. Oh ? le soleil ébloüit, échauffa pour le coup. Ce n’étoit plus le même homme, on n’avoit plus d’yeux que pour lui, on lui répondoit avant qu’il eût parlé ; tout ce qu’on lui disoit étoit un compliment : Que vous êtes bien habillé ! que cet habit est galant ? qu’il est de bon goût ! & puis, laissez-moi, [233] car je vous crains, ne revenez plus ; & puis, Nivel 3► Diálogo► quand vous revera-t’on ? jamais, ma belle Demoiselle, répondit à la fin notre homme, jamais : mais je vous enverrai la belle décoration où je me suis mis, puisque vous en êtes si touchée : quant à moi, ce n’est que par méprise que vous me dites de revenir ? car il y a deux mais que vous me voyez, & que vous ne le sçavez pas : ainsi ce n’est pas à moi à qui vous en voulez, car je n’ai point changé ; j’ai pris d’autres habits, voilà tout, & c’est eux qui sont aimables, & non pas moi, je vous le dis en conscience : Adieu, Mademaiselle ; & cela dit, il sortit, & ne la revit jamais. ◀Diálogo ◀Nivel 3 ◀Retrato ajeno ◀Relato general

Qu’il y a de femmes dans le monde comme cette fille-là ! etes-vous laid et mal fait ? allez chez le Marchand, sa Boutique est un magasin de belles tailles & de jolis visages ; les pierreries rendent encore un homme bien redoutable, on ne sçauroit croire le bon air qu’elles donnent.

Par ma foi, la Nature a besoin qu’il y ait des femmes dans le monde, & nous aussi ; mais si on les regardoit bien fixement d’un certain côté, Metatextualidad► (je [234] dis en général, car il y des exceptions partout), ◀Metatextualidad elles paraîtroient trop risibles pour avoir rien à démêler avec notre coeur, elles cesseroient d’être aimables, et ne seroient plus que nécessaires.

En voilà pourtant assez contre elles, et je m’étonne moi-même d’en avoir parlé sur ce ton-là, car personne n’a plus été leur humble serviteur que moi. Mais tout ce que j’en dis là ne leur fera jamais de tort: ceux qui disent du mal d’elles et qui prêchent leurs défauts sont aux Invalides, répondoit un jour un de mes amis à un vieillard qui vouloit lui inspirer de l’indifférence pour elles; et j’y suis aussi, moi, aux Invalides, aussi bien que ce vieillard-là, car ma pauvreté vaut bien de la vieillesse avec elles, surtout avec les femmes du monde, et je ne dis pas assez: l’état d’un vieillard n’est pas si désespéré que le mien: encore, quand il est riche, lui passent-elles qu’il est jeune; mais quand on est pauvre, il n’y a plus de ressource, on est mort, ou bien autant vaut. Le mal est qu’on n’est mort qu’à leur compte, et qu’on ne l’est pas pour soi; au contraire, jamais on ne sent tant que l’on vit, que lorsqu’elles vous retranchent du nombre des vivants. C’est que le diable ne veut rien perdre: quand il voit qu’elles ne veulent plus de vous, il vous fait faire les deux mains, comme on dit au jeu, c’est-à-dire qu’avec tout le goût que vous avez pour elles, il vous donne encore le goût qu’elles ont perdu pour vous; des deux parts il n’en fait qu’une, et à vous la masse: n’êtes-vous pas bien à votre oise après cela?

Relato general► Une de mes parentes fut mariée à un homme extrêmement âgé, elle étoit jeune et aimable, cela ne lui convenoit point; mais elle étoit née si sage, et si raisonnable, qu’on crut que l’inégalité des âges seroit sans conséquence; elle-même n’y sentit pas grand inconvénient quand elle se maria, elle épousa son vieillard sans chagrin, et pleine de confiance en ses forces, d’autant plus qu’il étoit extrêmement riche, et qu’il lui foisoit un bon parti. Mais comme on dit proverbialement, c’étoit compter sans son hôte que de croire qu’elle s’en accommoderoit; et cet hôte, c’est le diable, ou nous.

A peine y avoit-il deux mais que la pauvre fille étoit mariée, que je lui vis les yeux plus éveillés, plus languissants, et plus inquiets que de coutume; car tout cela y étoit. Rien de plus serein, de plus poisible, et de plus tranquille que ces yeux-là auparavant. Comme nous étions, elle et moi, très familiers ensemble, je lui demandai à qui elle en avoit: Je vous trouve différente de ce que vous étiez, lui dis-je; vous n’êtes pas contente. Tois-toi, mon cousin, me dit-elle, ne parlons point de cela. J’insistai: Contez-moi ce qui en est, lui dis-je, y a-t-il quelque chose qui vous chagrine? Je n’ai, me dit-elle, qu’un mot à te répondre: mon mari est si vieux. Eh! ne savez-vous pas bien qu’il l’étoit quand vous l’avez épousé? lui dis-je. Non, reprit-elle, je ne songeois pas à cela, et je ne savois pas que j’y songerois. Elle ne m’en dit pas davantage, et je devinai le reste; c’est que nous sommes des esprits de contradiction: pendant qu’on peut choisir ce qu’on veut, on n’a envie de rien; quand on a fait son choix, on a envie de tout; fût-il bon, on s’en lasse; comment donc faire? Est-on mal, on veut être bien; cela est naturel; mais est-on bien, on veut être mieux; et quand on a ce mieux, est-on content? oh que non! Quel remède à cela? Sauve qui peut.

Voyez, voilà deux jeunes gens qui s’aiment, on ne veut pas les marier ensemble, ils sèchent sur pied, ils se meurent; mariez-les, vous leur rachetez la vie, ils ne veulent que cela; ils ne se soucient pas d’avoir de quoi vivre, ils vivront assez du plaisir d’être ensemble. Enfin les voilà unis, et par-dessus le marché, ils sont riches; que de joie! que de transports! qu’ils vont être heureux! Point du tout; regardez-les, deux mais après: Monsieur sort déjà de son côté, et Madame du sien; ils se voient, parce qu’ils se rencontrent; qu’est donc devenu leur amour? il s’est perdu quand il a eu ses coudées franches, on le gênoit plus, il n’étoit plus contrarié, on l’a loissé libre; il est mort de sa liberté. A présent que nos jeunes gens sont mariés, s’il venoit une défense de s’aimer et de se voir, qu’il leur fût interdit de se trouver bien ensemble, vous verriez tout d’un coup renaître leur tendresse, ou plutôt leur esprit de contradiction, comme je l’ai déjà dit: oui, je crois que pour faire cesser tous les mauvois ménages, il n’y auroit qu’à défendre les bons. ◀Relato general

Relato general► Il y a des peuples dans l’Europe qui aiment la liberté jusqu’à sacrifier tout pour elle; ils sont devenus furieux quand on a voulu la leur ôter. Veut-on les assujettir? ce n’est pas par la violence qu’il faut s’y prendre. Rendez-les si libres, loissez-les jouir d’une liberté si outrée qu’ils s’en ennuient et qu’elle les choque eux-mêmes; ne prenez pas garde à eux, loissez-les faire, ne vous mêlez de rien, oubliez-les: ils viendront vous dire de les mettre aux fers, ils vous reprocheront votre patience; ils vous donneront en un jour plus de pouvoir contre eux que la violence ne vous en donneroit en cent ans: ils voudront un maître parce qu’ils n’en auront point, et vous pouvez vous reposer sur eux de l’étendue des droits qu’ils vous donneront alors. ◀Relato general

Relato general► J’ai une fois en ma vie aimé une femme avec passion, parce qu’à l’occasion de quelque chose, elle avoit dit qu’elle ne pouvoit me souffrir, et qu’elle ne me verroit jamais: je m’irritai de ce qu’elle avoit des volontés si mutines; et quand je crus l’avoir un peu adoucie, je lâchai prise; voilà l’homme. De qui dans la vie veut-on se faire aimer? de ceux qui ne se soucient pas de nous. Il y a des gens qui donneroient deux de leurs meilleurs amis, pour avoir l’amitié d’un homme qui les fuit. Dire du mal de quelqu’un n’est le plus souvent qu’une manière de se plaindre de son indifférence pour nous. Dans le temps que j’étois dans le monde, on me disoit qu’il y avoit un homme qui marquoit toujours de l’aigreur dans ses discours, quand il parloit de moi; je m’avisai tout d’un coup de songer que je le saluois froidement quand je le rencontrois. Je le tiens, dis-je alors en moi-même, cet homme-là veut que je l’aime, il l’a mis dans sa tête, parce qu’il s’est imaginé que je ne l’aimais pas; et j’avois raison de penser cela, car dès que je l’eus salué d’un air riant, il me marqua tant d’amitié que je n’en savois que faire. Mais, malheureusement, j’en pris pour lui aussi, et cela fit qu’il m’aima toujours bien, mais qu’il ne me fêtoit plus. Puisque je rapporte de temps en temps de petits troits de ma vie, ne vaut-il pas mieux que je vous la donne tout entière? cela ne m’empêchera pas de m’écarter quand il me plaira: vous voyez bien que j’écris comme si je vous parlois, je n’y cherche pas plus de façon, et je n’y en mettrai jamais davantage. ◀Relato general

Au reste, je ne vous entretiendrai pas ce soir bien longtemps; car je suis prié d’un repas avec mes camarades: vous entendez bien que je veux dire un repas de gueux, et je vous en promets le récit quand j’en serai revenu; ce sera pour vous une leçon de joie. Ces repas-là ne sont pas les plus mauvois, je vous assure: la politesse n’y gêne personne. Aussi n’a-t-on que faire d’elle, quand on veut se divertir: ce n’est pas le plaisir qui l’a inventée; au contraire, je ne doute pas qu’il ne la chasse quelque jour. Je parle de cette politesse, ou si vous voulez de cette bienséance, de ce bel air que les gens du monde ont dans leurs festins, où il faut s’observer et avoir une façon de boire et de manger qui est de convention: diantre, cela est sérieux, prenez garde à vous; si vous haussez trop le coude en buvant, on dira que vous n’êtes qu’un provincial, qu’un petit bourgeois qui n’a pas coutume d’être en bonne compagnie; voyez ce que c’est: ô gens du monde, que vous êtes de pauvres gens!

Relato general► Je disois un jour à un gentilhomme qui étoit tout frois débarqué de sa province, et que des personnes de considération avoient prié à souper: Eh! monsieur, où allez-vous vous fourrer? Vous êtes bien hardi de vouloir vous présenter tout de go à pareille fête, vous qui ne savez tout simplement manger, et couper vos morceaux, qu’à la manière de votre pays. Croyez-vous qu’il suffise d’avoir bon appétit? vraiment vous n’y êtes pas: c’est même le père des incongruités que l’appétit dans un homme qui ne soit pas le conduire en ce pays-ci. Comment remercierez-vous ceux qui boiront à votre santé? je vous vois d’ici, vous pencherez civilement la tête, et vous serez un joli garçon avec cette contorsion-là. Dites-moi, aurez-vous en mangeant cet air libre et oisé qu’il convient d’avoir avec sa fourchette, son assiette, son verre et son couteau? Savez-vous le nom des plats qu’on vous servira? Avez-vous étudié votre dictionnaire de friandise et de gourmandise? il faut qu’un galant homme le sache, sous peine de ne paraître qu’un manant. Comment serez-vous assis? Vous tiendrez-vous bien droit à table? vous ne serez qu’un échalas. Y serez-vous sans façon? ah! le paysan! Le gentilhomme, épouvanté de ce que je lui disois, prit la chose très sérieusement, et aima mieux être malade que d’aller à son repas: il m’avoua même, six mais après, que j’avois raison et qu’il voyoit bien qu’il m’avoit eu obligation.

Les hommes avec toutes leurs façons ressemblent aux enfants: ces derniers s’imaginent être à cheval quand ils courent avec un bâton entre les jambes; de même les hommes: ils s’imaginent, à cause de certaines belles manières qu’ils ont introduites entre eux pour flatter leur orgueil, ils s’imaginent en être plus considérables, et quelque chose de plus grand; les voilà à cheval. Il y a tel homme dans le monde qui est si fort sur son droit, sur son quant-à-soi, qu’il aimeroit mieux essuyer une fourberie qu’une impolitesse. A combien de sots coupe-t-on la bourse en cajolant leur vanité! tout le monde est bourgeois gentilhomme, jusqu’aux gentilshommes mêmes. Les hommes sont plus vains que méchants; mais je dis mal: ils sont tous méchants, parce qu’ils sont tous vains. Y a-t-il rien de si malin, de si peu charitable que la vanité offensée? Je suis bon, disoit un ancien, dont le nom ne me revient pas, je suis généreux; mon bien, ma vie, tout ce que je possède est à mes amis, aux indifférents même: me trahit-on? je l’oublie; me nuit-on? me fait-on du mal? je le pardonne; mais ne m’humiliez pas. ◀Relato general ◀Metatextualidad ◀Nivel 2 ◀Nivel 1