Zitiervorschlag: Pierre Carlet de Marivaux (Hrsg.): "I. Feuille", in: L'Indigent philosophe ou l'homme sans souci, Vol.1\001 (1752), S. 130-145, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1262 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

Première feuille.

Ebene 2► Selbstportrait► Je m’appelle l’Indigent Philosophe, & je vais vous donner une preuve que je suis bien nommé ; c’est qu’au moment où j’écris ce que vous lisez (si pourtant vous me lisez ; car je ne suis pas sûr que ces especes de mémoires aillent jusqu’à vous, ni soient jamois en état d’avoir des Lecteurs.)

Donc je dis qu’au moment que je les écris, je suis à plus de cinq cent lieues de ma Patrie, qui est la France, & réduit en une extrême pauvreté. Bref, je demande ma vie, et le soir je me gîte où l’on veut bien me recevoir.

Voilà, je pense, une misere assez complette. Vous n’êtes peut-être pas fait pour être mieux, me direz-vous, mon cher & bénin Lecteur. C’est ce qui vous trompe: je suis d’assez bonne [131] famille, mon père étoit dans les affaires, issu lui-même d’un pere Avocat, qui avoit des ayeux Officiers militaires. Cela n’est pas si mauvais ; je suis même né riche, mais j’ai hérité de mes parents un peu de trop bonne heure.

Je n’avois que vingt ans, quand ils sont morts : à vingt ans aimant la joye comme je l’aimois, vif et sémillant comme je l’étois, se trouver maître de cinquante mille écus de bien, je n’augmente pas d’un sol, seroit-il naturel, à votre avis que, j’eusse de quoi vivre à présent que j’ai près de cinquante ans ? non, la vie que je mene aujourd’hui n’est pas bâtarde, elle vient bien en droite ligne de celle que j’ai menée, et que je devois mener de l’humeur dont j’étois.

Je n’ai que ce que je mérite, & je ne m’en soucie gueres. Quand j’avois du bien, je le mangeois ; maintenant je n’en ai plus, je m’en tiens à ce qu’on me donne ; il est vrai que si on m’en donnoit autant que j’en voudrois, j’en mangerois encore plus que je n’en ai mangé, je ne serois pas plus corrigible là-dessus : il n’y avoit que la pauvreté qui pût me mettre à la raison ; [131] & graces au Ciel me voilà bien en sûreté contre ma foiblesse ; je suis pauvre au souverain dégré, et même un pauvre à peindre, car mon habit est en loques, & le reste de mon équipage est à l’avenant : Dieu soit loué, cela ne m’empêche pas de rire, et je ris de si bon cœur qu’il m’a pris envie de faire rire les autres.

Pour cela, je viens d’acheter quelques feuilles de papier pour me mettre par écrit, autrement dit, pour montrer ce que je suis, & comment je pense, et j’espère qu’on ne sera pas fâché de me connoître.

Au reste, dans le temps que j’étois en France, j’entendois qu’on disoit souvent à l’occasion d’un livre, ah ! que cet homme-là écrit bien! qu’il écrit mal ! Metatextualität► pour moi, je ne sçais pas comment j’écrirai ; ce que me viendra, nous l’aurons sans autre cérémonie : car je n’en sçais pas d’autre que d’écrire tout couramment mes pensées ; & si mon Livre ne vaut rien, je ne perdrai pas tout : car je ris d’avance de la mine que vous ferez en le rebutant : ma foi, cela me divertit d’ici ; mon Livre bien imprimé, bien relié, vous aura pris [132] pour dupe, et par-dessus le marché, peut-être ne vous y connoîtrez-vous pas, ce qui sera encore très comique.

Enfin arrive ce qui pourra, je me suis fait un plaisir d’écrire, & je n’irai pas m’en abstenir dans la crainte que ce que j’écrirai ne vaille rien ; c’est une pensée trop sérieuse pour moi, ou, si vous voulez, trop au-dessous d’un homme joyeux : oui, trop au-dessous ; ◀Metatextualität et je vous dirai que parmi les hommes je n’ai encore trouvé que la joye de raisonnable, parce que les gens qui aiment la joye n’ont point de vanité : tout va bien, pourvu qu’ils se réjouissent, & c’est penser à merveille : ce n’est pas avoir de l’esprit que d’être autrement. Vous moquez-vous de moi ? grand bien vous fasse : je ne me mets pas en peine : quand j’étois un enfant, j’étois vain ; cela étoit à sa place : à présent que je suis un homme, je ne m’amuse plus à cela, j’ai mis toute ma vanité à ne faire de mal à personne, & toute ma sagesse à me divertir du reste. Car ce n’est pas le tout que d’être pauvre, ce n’est pas assez de porter des haillons : il faut sçavoir en faire son profit : et tel que vous me [133] voyez, je ne prise l’estime des hommes que ce qu’elle vaut. Dites-moi, ne serai-je pas bien avancé ? quand vous direz que j’ai de l’esprit. Sera-ce un grand malheur ? quand vous direz que je n’en ai point. J’en ai peut-être, mois pour le montrer comme vous voudriez qu’il fût, il faudroit que je me donnasse de la peine, & cela ne me divertiroit plus : ainsi je me contente de celui que j’ai à l’ordinaire, je ne me fatiguerai point à le trouver, je le tiens, et je n’ai rien à lui reprocher, car il m’a toujours réjoui.

Mais voilà assez de préambule : je suis naturellement babillard, il faut que cela se passe. Parlons de ma vie à cette heure. je vais vous en donner des lambeaux sans ordre ; car je n’ai pas chargé ma mémoire de dates : mais il faut remettre la partie à une autre fois ; car le jour me manque, et je n’use pas d’autre lumiere : je vais manger un morceau, on avale fort bien sans chandelle, et on digere de même : si votre souper ressembloit au mien, vous ne vous coucheriez pas de si bon cœur que je le ferai : mais pour moi, ma friandise et ma philoso-[134]phie sont les meilleurs amis du monde; ce que la derniere offre à l’autre, celle-ci le trouve toujours bon : l’appétit vient là-dessus qui s’entend encore avec elles, et moyennant ce trio-là je m’accommode, on ne peut pas mieux. ◀Selbstportrait

Bon soir, j’ai soupé, je me suis levé un peu matin, je me couche de bonne heure, je ne veux rien perdre.

Allgemeine Erzählung► Dieu aide les gens gaillards : hier en me couchant je n’avois pas un sol pour le lendemain, aujourd’hui je me retire avec plus d’argent qu’il ne m’en faut pour vivre dix jours ; & je ne donnerois pas ces dix jours-là pour une année de la vie d’un Ministre d’Etat : personne ne viendra m’excroquer les momens que je prétens passer à ne rien faire : vive les plaisirs de ceux qui n’en ont gueres ; il n’y a rien qui les rende si piquans que d’en avoir rarement, sans compter qu’il ne faut pas bien de l’aprêt pour être aise, quand on ne l’est pas souvent ; on se réjouit où les autres ne sentent rien ; il faut des machines aux gens du monde pour les divertir. A gens comme moi il ne faut presque rien : par exemple, me [135] voilà charmé parce que je vais être huit ou dix jours sans travailler. Allez-vous-en proposer l’oisiveté comme un plaisir à un ambitieux, à un homme de Cour ; c’est lui proposer un martyre : il faut qu’il aille, qu’il parle, qu’il agisse, qu’il s’inquiette, qu’il n’ait ni le temps de dormir ni celui de manger : il ne vit plus dès qu’on lui laisse le temps de vivre : & cependant, le misérable qu’il est, de combien de choses qui me manquent son repos seroit-il assaisonné ? il est riche, il pourroit faire bonne chere, il a des maisons de campagne, il peut s’y aller promener, il a des amis qui valent mieux que lui, & qu’il pourroit avoir chez lui quand il voudroit, il est logé comme un Roi dans son Louvre, il a du vin de Champagne et de Bourgogne dans ses caves ; & tout cela ne lui sert de rien, son ame jeûne de tout au milieu de cette abondance de douceurs, dont elle peut jouir ; sçavez-vous bien pourquoi? c’est que la folle foit pénitence des excès de cupidité où elle s’est jettée : oh ! parbleu je n’ai jamais laissé prendre un si mauvais pli à la mienne, je l’ai stilée à tout, c’est une vraie [136] aventuriere : aujourd’hui que mon lit est dur, je n’en souhaite pas un plus mollet, je mets seulement mon ragout à pouvoir y dormir la grasse matinée. Je n’ai point d’amis qui me viennent voir ; mais en revanche je vois voir tout le monde dans les rues : je m’amuse des hommes qui passent, et quand je vois passer un coquin que je connois : je le méprise, sans avoir la peine maudite de lui faire encore des complimens, & de le traiter comme un homme estimable, comme je ferois si j’étois dans le monde. Je ne fais pas bonne chere, mais j’ai bonne appétit ; je ne bois pas de bon vin : mais comme je n’en bois gueres en tout temps, le mauvais me paroît du nectar ; et quand je n’ai que de l’eau, je ne la bois qu’à ma soif, cela la rend délicieuse: et sans cela croiroit-on que les malheureux, les gens pauvres pussent résister à leur état ? non, mais la nature est une bonne mere; quand la fortune abandonne ses enfans, elle ne les abandonne pas elle. Un homme étoit riche, il devient pauvre : laissez-le faire, la nature en lui a pourvu à tout ; c’est un soldat qui a armes & ba-[137]gages : quand il étoit riche, il étoit délicat ; à présent qu’il n’a plus rien, la friandise le quitte, l’amour des commodités le laisse là, son goût baisse & devient ce qu’il faut qu’il soit pour s’ajuster à son état, il aimera le pain comme il aimoit la perdrix, l’eau fraîche comme il aimoit le bon vin, & le vin comme il aimoit la plus exquise des liqueurs ; en un mot, ses besoins s’humanisent, ils demandent peu, parce qu’ils ne peuvent avoir beaucoup, & le peu qu’ils ont les satisfait mieux cent fois que le beaucoup quand ils l’avoient.

Que dites-vous de ma morale ? elle n’est pas réfléchie : c’est qu’elle est naturelle. Il y a des gens qui moralisent d’une maniere si sublime, que ce qu’ils disent n’est fait que pour être admiré : mais ce que je dis-là, moi, est fait pour être suivi ; & voilà la bonne morale, le reste n’est que vanité, que folie : les gens d’esprit gâtent tout, ils vont chercher tout ce qu’ils disent dans un pays de chimere, ils font de la vertu une précieuse qui est toujours en peine de sçavoir comme elle fera pour se guinder bien haut, [138] pour se distinguer. Ils croyent donc que c’est-là la vérité : je leur apprends moi de dessus mon escabeau, qu’il n’y a rien de si simple que ce qu’on appelle vertu, bonne morale, ou raison : nous n’avons pas besoin d’un grand effort d’esprit pour agir raisonnablement ; la raison nous coule de source, quand nous voulons la suivre ; je dis la véritable raison : car celle qu’il faut chercher, cette raison qui est si fine, si spirituelle et sublime, ce n’est pas la bonne ; c’est nous qui la faisons celle-là, c’est notre orgueil qui la forge ; aussi la fait-il gigantesque, afin qu’elle nous étonne. Il me vient une comparaison qu’il faut que je vous dise : imaginez vous un habit tout uni, quelque bien fait qu’il soit à votre taille, on ne dira gueres en vous voyant passer, voilà un homme qui est bien habillé : mais portez-vous un habit chamarré, brodé d’or ou d’argent ? oh ! tous les passants s’arrêteront pour vous regarder : oh ! le bel habit ! dira-t-on. Eh bien ! cette vertu simple & telle que la nature nous la donne, elle ne fait pas plus de bruit, n’est pas plus remarquable qu’un habit uni : per-[139]sonne n’y prend garde ; au lieu que le faste que vous voyez dans de certaines actions qui vous paroissent des prodiges de raison ou de vertu, ce faste-là qui frappe tant, ressemble à la broderie de l’habit chamarré ; & il en faut mettre par-tout de la broderie, il faut de l’étalage dans tout, sans quoi rien ne paroît dans le monde. ◀Allgemeine Erzählung

Allgemeine Erzählung► Fremdportrait► Je me souviens d’avoir vu autrefois un Seigneur qui presque en même jour perdit son fils unique et la moitié de son bien : on s’attendait à des marques de douleur et d’affliction ; mais malheureusement pour lui, c’était un homme qui passoit pour un modele de raison, pour un Héros en fermeté d’ame, pour un sage, c’est tout dire ; il avoit pris goût à figurer comme cela dans le monde ; il fallut donc soutenir la gageure dans le double malheur qui lui arriva : je le plaignis de tout mon cœur, j’eus pitié de lui à cause des peines que lui donneroit cette fermeté qu’il alloit jouer ; & en effet le pauvre martyr de l’orgueil ne versa pas une larme, il se montra inébranlable : il jeta un soupir ou deux, dit-on, pour rendre son courage plus [140] vrai-semblable, pour montrer aux gens que ce n’étoit pas faute de sensibilité qu’il n’étoit pas au désespoir, comme y auroit été un autre. Il fit voir qu’il ne tenoit qu’à lui d’être sujet comme le reste des hommes aux foiblesses de la nature, mais qu’il avoit la force de les repousser. Je le vis le lendemain de ses infortunes, je regardai son visage : mais je ne vis qu’un masque ; car la sérénité même n’a pas l’air plus paisible que l’avoit ce visage-là : oh ! je me dis à moi-même, la raison toute unie ne fait pas cet effet-là, il y a ici de la broderie ; & je devinois juste : car je sçus, à n’en pouvoir douter, que seul dans son cabinet mon homme pleuroit et se désoloit comme une femme, et qu’il s’en donnoit à cœur joye, si l’on peut parler ainsi. Vraiment je le trouvois bien plus foible et plus femme, quand il reprenoit son masque devant le monde ; il me paraissoit bien plus pusillanime : car se donner le tourment de ressentir sa douleur, pour avoir la gloire de passer pour un homme admirable en fermeté, je pardonnerois cette vanité-là à une femme, parce [141] qu’elle est d’un sexe plus foible que nous ; & à mon gré il n’y a point de plus grande foiblesse que l’orgueil de feindre des vertus qu’on n’a pas ; cette petitesse-là est digne d’une créature artificieuse & superbe comme la femme, n’est-il pas vrai ? ◀Fremdportrait

Cependant on admira le Comédien, à qui ses singeries coûterent cher ; car autant qu’il m’en ressouvient, je crois qu’il mourut de la violence qu’il se fit pour les soutenir : sa comédie le tua ; cela n’est pas sain, & mourir pour mourir, j’aimerois encore mieux mourir en homme faible, qu’en Histrion qui fait le fort et qui ne l’est pas : j’aurois du moins l’avantage de n’avoir voulu tromper personne, & je remporterois l’honneur d’avoir été de bonne foi : quand on meurt franchement de douleur, la mort n’est que la punition de notre foiblesse, et cela n’est pas si laid qu’une mort qui est la punition d’une fourberie. Oh ! l’impertinente mort à mon gré ! Je serois immortel, si je n’avois à finir que par là. ◀Allgemeine Erzählung

Mais c’est assez moraliser, laissons-là les folies des hommes ; & si nous en [142] faisons, comme absolument il en faut faire, du moins n’en faisons que de celles qui divertissent. Par exemple, j’ai mangé tout mon bien, moi : eh bien ! c’est une grande folie, je ne conseille à personne de la faire ; car pour avoir du plaisir, il n’est pas nécessaire de se ruiner, ni de devenir pauvre : la pauvreté est une cérémonie qu’on peut retrancher, ce n’est pas elle qui m’a rendu joyeux et content comme je le suis ; je l’étois avant que d’avoir tout mangé : mais si j’avois à recommencer, si on me remettoit dans mon premier état, j’aimerois mieux faire des folies ruineuses, qui seroient du moins gayes pendant qu’elles dureroient, que de faire de ces folies tristes, dures et meurtrieres; j’aimerois mieux avoir le plaisir d’être fou, que d’avoir la douleur de faire le sage, avec tout l’honneur qui m’en reviendroit.

Allgemeine Erzählung► Selbstportrait► A propos de folies, l’autre jour je me trouvai dans une salle où un homme charitable de la Ville assemble quelquefois des pauvres pour leur distribuer de l’argent, & d’autres charités : [143] il y avait un grand miroir dans cette salle ; je m’en approchai, pour voir un peu ma figure, qu’il y avoit long-temps que je n’avois vue : j’étois si barbouillé que cela me fit rire ; car il faut tirer parti de tout : je me regardois comme on regarde un tableau, & je voyois bien à ma physionomie que j’avois dû me ruiner, et il n’y avoit pas l’ombre de prudence dans ce visage-là, pas un trait qui fit esperer qu’il y en auroit un jour ; c’étoit le vrai portrait de l’Homme sans souci, et qui dit n’ai-je rien ? je m’en moque. Voilà donc celui qui a mangé tout mon bien, dis-je, en m’approchant de ma figure ; voilà le libertin qui me fait porter des guenilles, & qui ne s’en soucie gueres : voyez-vous le fripon? tout ce qu’il a fait, il le feroit encore. ◀Selbstportrait

Quelqu’un de mes camarades entra comme je finissois la conversation par un saut. Ebene 3► Dialog► Ami, vous êtes bien gaillard, me dit-il. Vraiment oui, répondis-je, je viens de voir un homme qui ne doit rien, et qui n’a rien à perdre. Pardi, je vaux bien cet homme-là, me dit-il ; ainsi vous n’avez qu’à faire une gambade en me voyant; sautez, sautez, je le [144] mérite. ◀Dialog ◀Ebene 3 Et pour m’en donner l’exemple, il sauta lui-même ; & puis je sautai : il me le rendit : je le lui rendis : je crois que nous sauterions encore, si nous n’avions pas entendu ouvrir la porte de l’Appartement ; c’étoit l’homme charitable qui venoit à nous, et qui nous mit à chacun une piece d’argent dan la main, en nous demandant nos prieres pour lui : ce que je n’ai jamais manqué de lui accorder ; Selbstportrait► car tout sans souci que je suis, je crains Dieu, j’ai toujours eu des sentiments de religion. Je ne les ai pas toujours mis en pratique que pendant que je me ruinois, mes actions n’alloient pas mieux que mon patrimoine; la dissipation de l’un entraînoit le désordre des autres ; mais maintenant que je suis pauvre, j’ai pris, comme on dit, aux cheveux, l’occasion d’être homme de bien, & voici comment j’ai raisonné : j’aimois les femmes, et les femmes aimoient mon argent ; à présent que je n’en ai plus, qu’est-ce que je ferois de mon amour pour les femmes ? rien, elles ne voudroient plus de moi : il ne faut donc plus vouloir d’elles ; aussi-bien en les souhaitant, sans les avoir, je souffrirois, & je me dam-[145]nerois d’un péché pénible : faisons donc de nécessité vertu. ◀Selbstportrait Depuis ce raisonnement, quand j’en ai vu quelqu’une, & que son idée me vient lanterner l’esprit, je mets tout d’un coup la main dans ma poche ; je n’y trouve rien, & là-dessus je renvoye les désirs libertins à qui a le malheur de pouvoir en acheter la satisfaction : pour moi qui n’ai pas le sol, l’inutilité de me laisser tenter m’est démontrée ; je brise avec la tentation, et je me dévoue à la continence par force ; de là je tâche de m’y dévouer par vertu ; & ainsi de main en main, & pour ainsi dire par cascade, j’arrive à traiter cet article-là assez chrétiennement : on appelle cela faire son salut cahin, caha, & fournir sa carriere en boiteux ; mais on se tire d’affaire comme on peut, & un boiteux qui ne se lasse pas fait son chemin comme un autre. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 2 ◀Ebene 1