Citation: Anonym (Ed.): "LXVII. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.3\067 (1716), pp. 428-433, edited in: Ertler, Klaus-Dieter (Ed.): The "Spectators" in the international context. Digital Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1221 [last accessed: ].


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LXVII. Discours.

Citation/Motto► O curvæ in terras animæ, cœlestium inanes !

Pers. Sat. ii. vs. 61.

Ames basses, Ames terrestes, que vous êtes éloignées des sentimens des Dieux ! ◀Citation/Motto

Metatextuality► Lettre sur les Mohocks, ou les Cannibales Anglois. ◀Metatextuality

Level 2► Level 3► Letter/Letter to the editor► Mr. le Spectateur,

Metatextuality► « Les matériaux que vous avez recueillis, pour composer une Histoire générale des Coteries, font une si agréable figure dans vos Discours, que nous sommes tous obligez, si nous voulons être justes envers la République des Lettres, de vous fournir tout ce qui peut contribuer à l’avancement de cet Ouvrage. ◀Metatextuality Utopia► C’est pour cela que je ne saurois m’empêcher de vous donner quelques legeres informations de certains Hommes, si tant est qu’on les doive ranger avec ceux de notre Espece, qui se sont associez en dernier lieu, sous le titre de la Coterie des Mohocks, Nom, qu’ils semblent avoir emprunté de ces Cannibales des Indes, qui ne vivent que de rapine, & qui dévorent tous leurs Voisins. Le Président de cette Assemblée nocturne se dit Empereur des Mohocks, & ses armes sont un Croissant, à la maniere des Turcs, que Sa Majes-[429]té Impériale, par une singularité bien étrange, porte gravé sur le front. Ils n’ont autre chose en vue que de faire du mal, & c’est là-dessus que roulent tous les ordres qu’ils donnent, ou toutes les régles qu’ils suivent. Une envie enragée de causer à leur Prochain tout le mal qu’ils peuvent, est le plus fort lien de leur Societé, & l’unique talent requis dans les Membres qui la composent. Pour suivre toute l’étendue de ce Principe, ils se soûlent jusques à un tel point, qu’ils deviennent insensibles aux plus éclatantes lumieres de la Raison, & qu’il ne leur reste plus la moindre étincelle d’Humanité ; alors ils font une sottise générale, & ils attaquent tous ceux qui ont le malheur de se trouver dans les Rues où ils font la patrouille. Quelques-uns de ces malheureux ont la tête cassée, les autres sont tailladez, poignardez, ou hachez en morceaux. Lors qu’ils peuvent mettre le Guet en déroute, & mortifier quelques-uns des paisibles Bourgeois de la Milice, ils prennent cela pour un coup d’éclat. Les talens particuliers, qui distinguent ces Misanthropes les uns des autres, consistent dans les differentes especes de cruautez barbares qu’ils exercent sur leurs Prisonniers. Les uns sont devenus célébres pour avoir lâché le Lion sur eux, comme ils s’expriment, c’est-à-dire, leur avoir apla-[430]ti le nez jusqu’à ce qu’il fût à niveau des jouës, & pour leur avoir percé les yeux avec les doigts : Il y en a d’autres, qu’ils apellent Maître de Danse, & qui obligent leurs Ecoliers à faire des cabrioles à la pointe de l’Epée, qu’ils leur fichent dans les jambes ; suplice de nouvelle invention, & qui leur est peut-être venu d’un Royaume voisin : Une troisiéme sorte est celle des Sauteurs, qui s’occupent à renverser les Femmes sur la tête, & à commettre alors certaines indécences ou plûtôt barbaries, sur les membres qui sont exposez à leur vue. Mais je m’abstiens de les nommer, parce qu’elles choqueroient également la modestie du Public, & la vôtre. C’est ainsi qu’ils font toûjours la guerre au Genre Humain, & que, par une Maxime constante de leur Politique, ils n’entrent dans aucune Alliance avec qui que ce soit, si vous en exceptez les Maisons de joie, avec lesquelles ils ont une Alliance offensive & défensive, & dont ils se déclarent les Piliers & les Protecteurs. ◀Utopia

Ce ne sont-là, Monsieur, que des Mémoires imparfaits de cette étrange Société, quoique les meilleurs que j’aie pu obtenir ; mais outre qu’elle n’est que de fraîche datte, & que ses progrès ne sont pas jusqu’ici assez considérables pour demander une Histoire dans les formes ; à vous parler sérieusement, [431] mon unique but, dans ce leger crayon que je vous en donne, est de les prévenir, s’il est possible. Animé de zèle pour le bien & l’intérêt de vos Compatriotes, vous agissez auprès d’eux, non pas en qualité de simple Spectateur, mais en véritable Inspecteur qui régle & dirige leurs actions : Aussi d’abord que de pareilles Enormitez infectent la Ville nous implorons votre secours afin qu’il y soit remedié au plûtôt. J’ai quelque sujet de croire qu’il y a de jeunes Etourdis, qui, prévenus par une fausse idée qu’ils ont de la Bravoure, & pleins d’une envie démesurée de se distinguer, sont entraînez dans cet infame & criminel Projet : Il me semble que vos Mercuriales peuvent ramener ceux-ci, sur tout si vous leur representez que ce n’est pas une marque de courage dans une douzaine d’Estasiers, que le vin & la débauche enflamment, d’attaquer deux ou trois Hommes sobres qui ne pensent point en mal ; & que les mœurs des Sauvages Indiens ne conviennent pas à un Gentilhomme Anglois qui se pique de Politesse. A l’égard de ceux qui font le métier de Suports & de Batteurs de pavé depuis une longue suite d’années, & qui sont déja vétérans dans le service, il est à craindre qu’ils ne soient trop endurcis pour écouter vos leçons. Mais je vous prie de leur recommander la lecture de votre viii. Discours ; [432] 1 puisque la Coterie des Duellistes, dont vous y parlez, peut leur être de quelque usage, & les faire souvenir que la plûpart de ces honnêtes Gens eurent le sort d’être pendus. Je suis, &c. »

2 Philanthope. ◀Letter/Letter to the editor ◀Level 3

La Lettre suivante est d’une tout autre nature, & je ne la mets ici qu’afin que mes Lecteurs puissent voir, d’un coup d’œil, que l’Ignorance peut être aimable dans sa simplicité naturelle, & que jointe à l’inhumanité elle fait horreur. Il y a long-tems que cette Lettre, qu’un bon Villageois écrivoit à sa Maitresse, fut donnée dans une Boutique, avec quelques écheveaux de fil qu’elle envelopoit, à une Dame de très-bon sens, qui l’a toûjours gardée depuis comme une Piéce curieuse, & un Portrait naïf d’un Amour sans fard. La voici mot pour mot.

Metatextuality► Lettre d’un Villageois à sa Maitresse. ◀Metatextuality

E3* LB* A Mademoiselle Marguerite Clark, que j’honore beaucoup.

« Aimable, oh ! que ne puis-je dire Amante, Mademoiselle Marguerite Clark, souffrez que la Passion excuse ma témérité. Ayant eu le bonheur de voir quelquefois votre agréable Personne & joli corsage, lorsque j’allois acheter de la Thériaque ou de la Réglisse dans la Bou-[433]tique de l’Apotiquaire, je suis devenu si amoureux de vous, qu’il m’est impossible de cacher l’envie ardente que j’ai d’être votre Serviteur. Je vous écris avec d’autant plus de hardiesse, que je ne dépens de personne, & que je puis me marier quand il me plaira : Mon Pere est mort, & je suis maître de mon Bien, qui consiste en dix Verges de terre & une Maison. D’ailleurs il n’y a pas une seule Verge de ce Champ, qui ne vaille dix Piéces de revenu annuel, aussi bien qu’un Voleur mérite la corde ; & tous mes Freres & toutes mes Sœurs ont eu déja leur portion. D’un autre côté, s’il m’est permis de le dire, j’ai de fort bons Meubles, une bonne batterie de Cuisine, soit en Etain ou en Cuivre, quantité de Linges & de bonnes Couvertures de laine ; & quoique ma Maison soit couverte de chaume, si vous & moi nous marions ensemble, il y auroit bien du malheur, ou je ferai couvrir la moitié du toit avec de l’Ardoise. Si cette Proposition est de votre goût, je vous rendrai mes devoirs d’abord que mon Habit neuf sera prêt, & que le Foin sera dans le Grenier. J’aurois pû, sans vanité, - - -  » ◀Letter/Letter to the editor ◀Level 3

Le reste de la Lettre étoit déchiré ; ainsi la Posterité se contentera, s’il lui plaît, de sçavoir que Mademoiselle Marguerite Clark étoit une fort jolie Fille, & d’ignorer le Nom de son Amant.

T. ◀Level 2 ◀Level 1

1Tome i. p. 54.

2Voyez ci-dessus, p. 338.