Le Spectateur ou le Socrate moderne: LXI. Discours

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Livello 1

LXI. Discours

Citazione/Motto

Quod huic officium, quæ laus, quod decus erit tanti, quod adipisci cum dolore corporis velit, qui dolorem summum malum sibi esse persuaserit ? Quam porrò quis ignominiam, quam turpitudinem non pertulerit, ut effugiat dolorem, si id summum malum esse decreverit ?

Cic. Tuscul. Quæst. l. ii. c. 6.

Si un Homme est persuadé que la Douleur est le souverain Mal ; quel Devoir, quel Vertu, quel Acte honorable voudra-t-il pratiquer, s’il ne peut en venir à bout sans s’exposer à la Douleur ! D’un autre côté, quelle Honte, quelle Infamie n’endurera-t-il pas, pour éviter un si grand Mal ?

Metatestualità

Des effets que la Prosperité & l’Adversité font d’ordinaire sur les Hommes.

Livello 2

Les Hommes sont ordinairement si foibles, qu’ils ont besoin d’être affligez pour conserver leur bon Sens & ne pas extravaguer. Triste & accablante réfléxion ! Il n’y en a point d’heureux, & ceux qui vivent dans la Prosperité, éblouis de l’éclat qui les environne, ne pensent jamais à l’inconstance de la Fortune, ou plûtôt à la main invisible du souverain Dispensateur de toutes choses. Mais une Ame noble & généreuse, qui s’occupe des idées de l’avenir, trouve petits les maux qui lui arrivent, au lieu qu’elle est pénétrée des accidens qui affligent les autres. Si le plus criminel de tous les Hommes s’achemine à la Mort & la subit avec courage, il excite la pitié de tous les assistans, non pas à cause que son état est déplorable, mais parce qu’il ne le déplore pas lui-même : Nous souffrons pour celui qui est moins sensible à sa misere, & nous avons du penchant à mépriser celui qui succombe sous le poids de ses disgraces. D’un autre côté, un Esprit calme & en bonne assiette regarde du haut en bas ceux qui sont enflez de la prospérité : il ne leur porte aucune envie ; mais il a quelque honte de leur foiblesse, & de voir qu’ils oublient si bien l’état où la Nature les a mis, que la tête leur tourne d’abord que les afflictions, qui sont le partage de tous les Hommes, leur donnent quelque répit. Celui-là donc qui ne veut pas jetter la vue sur un Malheureux, quoi qu’humble & moderé dans sa disgrace, & qui craint l’affliction comme la Peste, n’est qu’une Victime qui s’engraisse pour le jour du Sacrifice, & qui est d’autant plus digne de sentir la Misere, qu’il cherche à l’éviter. Un de mes Amis, chez qui je me trouvai la nuit passée, entama un Discours qui marquoit, selon moi, qu’il a beaucoup de discernement : Il observa que, toutes les fois que nous rentrons dans nous-mêmes, pour examiner quelle est la véritable Grandeur de la Nature Humaine, nous voyons qu’elle consiste à souffrir, de bonne grace, pour une juste Cause. On nous dépeint toûjours les Heros au milieu des Embarras, du Trouble & de l’Adversité : on diroit qu’ils aiment les Périls, & qu’ils les recherchent avec ardeur pour le service du Genre Humain. Nous sommes si convaincus, ajoûta mon Ami, qu’il faut un Mérite extraordinaire pour souffrir en patience les grandes Calamitez, que les Auteurs des Romans, lorsqu’ils veulent tracer les Caracteres les plus sublimes, les relevent par ce qu’il y a de plus terrible dans la Nature : Ils forment de nouveaux Monstres, des Dragons & des Géans, afin que leurs Héros les combattent : Là où le danger finit, le Héros disparoît ; d’abord qu’il a gagné un Empire, ou obtenu sa Maitresse, tout ce qui vient ensuite est indigne de l’attention, & ne mérite pas d’être lû. Mon Ami poussa jusqu’à dire, qu’il n’apartient qu’à des Estres supérieurs à l’Homme de jouir du Bonheur sans aucun mêlange, & que, dans l’état où nous sommes, on ne voit point d’Héroïsme qui ne soit accompagné de quelque infortune. Il est certain que nous avons tout sujet de nous préparer à soûtenir les revers & les accidens ausquels cette Vie est exposée, Mais au lieu de nous affermir à cet égard, nous ne songeons qu’aux plaisirs & à la joie ; qui nous amolissent le courage, & qui énervent toute la force de nos Ames, seule capable de nous proteger aux heures de la tentation. La recherche constante des Plaisirs sensuels ne quadre point du tout, & a même quelque répugnance avec la nature de l’Homme. Il y a une vivacité assez modeste dans 1l’Ode qu’Horace a écrit à Dellius, & où il lui dit ;

Citazione/Motto

« Que la pensée de la Mort le doit faire souvenir de conserver en tout, une grande égalité d’ame, dans l’adversité de même que dans la prosperité : qu’une joie moderée doit toûjours balancer en lui tout ce que l’une & l’autre peut avoir d’extraordinaire. »
Cette Modération n’est que pour les Hommes d’un esprit sublime, qui jouissent de toutes les douceurs de la Santé & de tous les avantages de la Vie, comme s’ils devoient les perdre à tout moment, & qui les résignent avec cette grandeur d’Ame, qui prouve qu’ils en connoissoient bien la valeur & la durée. L’indifference pour le Plaisir nous aide à suporter la Douleur : Sans un tel secours, l’Esprit se trouve accablé par un accident imprévu, mais celui qui n’a jamais abusé de la Prosperité, a toûjours la consolation de sentir au milieu des plus cruels desastres, que leur poids n’est pas aggravé par le souvenir de sa vie passée. 2Ciceron nous raconte un trait d’Histoire qu’il avoit apris de Pompée, & qui nous donne un échantillon de la maniere agréable, dont les Gens d’esprit & les Philosophes de l’Antiquité adoucissoient les maux de la Vie par la force de la Raison.

Livello 3

Citazione/Motto

« Pompée arrivé à Rhodes, & curieux de voir le célébre Philosophe Posidonius, lui rendit visite ; mais sur ce qu’il le trouva détenu au Lit par la Goute, il lui marqua du chagrin de ce qu’il ne l’entendroit pas discourir : A quoi le Philosophe répondit, Vous pouvez m’entendre, & je ne souffrirois pas que la Douleur soit la cause qu’un aussi grand Homme m’ait visité inutilement. Là-dessus, il se mit à raisonner fort au long sur le Dogme favori des Stoïciens, qui disent que la Douleur n’est pas un Mal ; & il s’écria souvent au milieu de son discours, lorsque la Goute le tourmentoit : O Douleur, Douleur, tu as beau faire, tu n’avances rien ; quelque rude que tu paroisses, je n’avouerai jamais que tu sois un Mal. »

Metatestualità

Lettre sur certains petits défauts où tombent quelques Prédicateurs Anglois.

Livello 3

Lettera/Lettera al direttore

Mr. le Spectateur, « 

Metatestualità

Après avoir lû plusieurs de vos Discours, où vous témoignez vous intéresser à tout ce qui regarde l’honneur des Ecclesiastiques, au soin qu’ils doivent prendre d’observer toutes les bienséances que leur Caractere demande, & sur tout de faire le service Public avec zèle & dévotion ; je suis d’autant plus encouragé à leur adresser ici mes plaintes à l’égard de certaines Phrases, qu’un petit nombre de Prédicateurs employent dans leur Priere avant le Sermon, & qui ne sont pas de mon goût.
Par exemple, il y donnent à quelques grands Seigneurs des titres honorables, qui leur sont dûs à la vérité, suivant le rang qu’ils tiennent dans le monde, mais que je ne croi pas bien placez dans nos Prieres. N’est-ce pas une contradiction de dire, 3Illustres, très-Révérends & très-Honorables pauvres, & indignes Pécheurs ? Ces Epithétes, qui servent à distinguer les Hommes, ne conviennent qu’à l’état où nous sommes ici bas, & n’auront aucun lieu dans le Ciel : Aussi ne les voit-on pas dans la Liturgie, qui devroit servir de Modéle aux Pieres <sic> de nos Ecclesiastiques. Il y a une autre expression, dont je ne dirois mot ; si je ne l’avois entendue employer bien des fois, devant une Assemblée très-judicieuse, pour servir d’introduction à la derniere demande d’une Priere, & qui est conçue en ces termes : 4O ! que le Seigneur ne se mette point en colere, & je ne parlerai que cette seule fois. Vous diriez là-dessus qu’il n’y a point de difference entre l’acte d’Abraham, qui n’avoit pas ordre, du moins que nous sçachions, d’intercéder pour Sodome, & le nôtre, lorsque nous demandons à Dieu tout ce qui nous est nécessaire, apuyez de son autorité : Ainsi, ces Prédicateurs auroient plûtôt sujet de craindre sa colere, s’ils ne lui adressoient pas de pareilles demandes. Une autre Imagination, qui me paroît assez grotesque, est lorsqu’un jeune Homme veut nous faire connoître la Personne qui l’a honoré de l’Echarpe dont sa Robe est ornée, qu’il s’adresse à Dieu, & qu’il lui dit, dans une espéce de Parenthése : Beni, Seigneur, la très-honorable Comtesse de 5xx, puisque mon devoir m’oblige à te prier pour elle. N’est-ce pas la même chose que s’il disoit à Dieu : Beni-la, Seigneur, car tu sais que j’ai l’honneur d’être son Chapelain ? Je suis, &c. » J.O.
T.

1C’est la iii. du Liv. ii. Voyez le commencement.

2Tuscul. Quast. Lib. ii. c. 25.

3Voyez ci-dessus p. 60 & 61.

4Gen. Ch. xviii. 12.

5C’est une bande de Tasetas, ou de Crêpe, lorsque celui qui la porte est en deuil, large d’une aune ou environ, & à laquelle on fait quelques plis, qu’on atache par le milieu autour du Cou de la Robe, & dont les bouts pendent, de l’un & de l’autre côté, sur le devant, presque aussi bas que la Soutane. Elle sert à distinguer les Docteurs en Théologie, & les Chapelains ou les Aumôniers des autres Ecclesiastiques.