Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "L. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.3\050 (1716), S. 306-312, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1204 [aufgerufen am: ].


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L. Discours

Zitat/Motto► Difficile est plurimùm Virtutem revereri qui semper secundà fortunâ sit usus.

Cic. l. iv. ad Heren. c. 17.

Il est difficile qu’un Homme, à qui la Fortune a toûjours été favorable, respecte beaucoup de Vertu. ◀Zitat/Motto

Metatextualität► Sur les Ecoles de [307] Charité établies à Londres. ◀Metatextualität

Ebene 2► La Sotise est celui de tous les Vices que les Hommes condamnent le plus ; & avec tout cela, nous en sommes pres-[307]que tous coupables à un certain égard, je veux dire en ce que nous estimons les Biens de la fortune au delà de ce qu’ils méritent. Lorsque nous voulons parler de quelqu’un d’une maniere avantageuse, & pour le distinguer des autres, nous disons que c’est une Personne de condition ou de qualité. Il n’y a nul doute que les Richesses ne doivent être employées à toute sorte de bonnes œuvres ; c’est leur usage naturel, & si, par un Homme de qualité, nous entendons celui qui, à proportion du Bien qu’il possede, est juste, liberal & charitable, on ne sauroit trop respecter & honorer ce titre ; mais s’il n’aplique ses richesses qu’au luxe & à la débauche, il s’en faut beaucoup qu’il soit digne de notre estime. Peut-on concevoir qu’une Créature, qui sent tous les jours sa foiblesse & le besoin qu’elle a de manger & de boire, oublie les nécessitez de la Nature Humaine, & porte l’insolence jusqu’à ne tourner jamais les yeux sur les Pauvres & les Indigens ? Le Matelot, qui en dernier lieu échapa d’un Naufrage arrivé à l’Oüest de notre Isle, & qui se joignit aux Païsans des environs pour attaquer ses Camarades, & piller le Vaisseau, fut traité d’abominable ; mais tout Homme qui jouit de grands Biens, & qui n’en fait aucune part à ceux qui manquent du nécessaire, n’est-il pas aussi dur & aussi cruel ? Lors qu’on passe dans les ruës ; que d’un côté l’on voit la pompe & la magni-[308]ficence d’un grand Seigneur qui roule en Carrosse, suivi d’un Cortege d’Estasiers qui regardent avec mépris & d’un air triomphant la Multitude qui les environne ; & que de l’autre on entend les cris d’un pauvre Malheureux, qui demande, au Nom de Dieu, & par tout ce qu’il y a de plus saint & de plus sacré au Monde, qu’on soulage sa misere, croiroit-on que ces deux Hommes sont de la même espéce ? Metatextualität► Je l’ai déja dit plus d’une fois, les Biens de la Fortune nous occupent tout entiers ; & la Pauvreté & les Richesses sont unies, dans notre Imagination, avec les idées du Crime & de l’Innocence. ◀Metatextualität

Quoiqu’il en soit, il y a toûjours quelques Ames nobles & généreuses, qui s’élevent au-dessus des prejugez du Commun, & qui, pendant que les autres disputent à qui l’emportera pour les Biens de la Fortune, ou les Honneurs du monde, ne s’étudient elles-mêmes qu’à fournir aux nécessitez des Pauvres. Les Ecoles, qu’on a érigées depuis quelque tems en faveur de ceux-ci, sont les plus beaux Exemples d’une Charité bien ordonnée que notre Siécle ait produit : Mais on peut dire qu’elles ont plûtôt acquis une grande réputation par la bonne œconomie des principaux Directeurs, que par les Sommes qu’on y a employées. On croiroit qu’il est impossible, que, dans l’espace de quatorze ans, elles n’ayent pas reçû en Dons gratuits cinq mille Piéces, ni établi, ou mis en [309] état de gagner leur vie, seize cens Enfans, Filles & Garçons. Cependant il n’y a rien de plus vrai. Je n’ose traiter le luxe & les vanitez du siécle avec toute la sévérité qui leur est dûë ; mais je les souffrirois volontiers à toute Dame boufie d’une Jupe de baleine, si elle donnoit le prix d’une demie Aune d’Etoffe qui sert au moindre de ses Habits, pour l’entretien & l’éducation d’une pauvre Créature de son Sexe dans une de ces Ecoles. Le sentiment, qu’elle auroit de cette générosité, releveroit mieux l’éclat des traits de son visage, que tous les Diamans qui peuvent orner ses cheveux, ou les Pierreries qu’elle peut mettre autour de son sein.

Il seroit incivil de parler aux Dames en des termes plus forts ; mais les Hommes ne trouveront pas mauvais que je prenne un peu plus de liberté à leur égard. Est-il possible qu’un Homme qui vit dans l’abondance, ne se croye pas obligé d’en faire part à ceux qui n’ont rien ; qu’il ne trouve aucune injustice à jouir du superflu, pendant que les autres manquent du nécessaire ? Peut-on dire que cet Homme-là réfléchisse, & ne croiroit-on pas plûtôt qu’il ne fait aucun usage de sa Raison ? C’est un Prodige & une espece de Monstre dans la Nature. D’ailleurs, on ne sauroit trouver de plus belle occasion pour exercer la générosité, ni qui soit plus digne d’une Ame grande, que l’établissement de ces Ecoles. Voulez-vous fai-[310]re un acte charitable & n’en avoir aucun retour ? Faites-le pour un Enfant, qui ne témoignera pas vous en être obligé. Voulez-vous rendre service au Public ? Vous y travaillerez, si vous aidez un jeune Garçon à devenir un honnête Artisan. Voulez-vous être agréable à Dieu ? Donnez de quoi élever une jeune Créature innocente dans son légitime Culte. Il me semble que ce Réglement est fort beau, quand il ne serviroit qu’à produire une race de bons & fidéles Domestiques, nourris dans la crainte de Dieu, qui est la plus belle de toutes les Educations. Que ne donneroit pas un Homme sage & prudent, pour avoir auprès de lui une Personne qui lui obéiroit par un principe de conscience ; qui ajoûteroit ainsi à ses ordres le poids des Commandemens Divins ; qui le regarderoit comme son Pere, son Ami & son Bienfaicteur, sans en attendre que des gages médiocres, avec un traitement doux & civil ?

Il n’est que trop ordinaire aux Enfans de bonne Famille de se mêler avec les Domestiques ; mais ils ne verroient dans ceux qu’on prendroit de ces Ecoles que la soûmission & la dépendance qui leur sied à eux-mêmes. Si cette Charité se rendoit universelle, on préviendroit par là tous les mauvais offices & les calomnies secrettes qui viennent des Domestiques ; & un Pere de Famille pourroit connoître d’avance la vie & les mœurs de ceux qu’il [311] admettroit chez lui. On verroit alors une grande harmonie dans les Maisons des Particuliers : Le Maître se borneroit à l’autorité d’un bon Pere, & les Domestiques le serviroient avec toute la diligence & la gratitude possible, sur le pied de très-humbles & fidéles Amis. Metatextualität► Une Lettre d’un de mes Correspondans, qui m’avertit que cinquante jeunes Garçons, habillez de neuf aux dépens de quelques généreux Bienfaicteurs, paroîtront Dimanche prochain dans l’Eglise de Sainte Brigide, m’a fait entamer ce Discours. ◀Metatextualität Il a même voulu que je le publiasse, dans l’esperance que cela produira un bon effet. Je le souhaite de tout mon cœur ; quoique l’on ne puisse rien ajoûter à ce que divers de nos habiles Prédicateurs nous ont enseigné là-dessus. Mais afin qu’il y ait ici quelque chose capable d’émouvoir un Esprit aussi généreux que celui de mon Correspondant, je vai transcrire un beau passage, qu’il m’a communiqué lui même, & qui est tiré d’un Sermon que Mr. Snape a prononcé sur ces Charités.

Zitat/Motto► Si les Pauvres, dit-il, manquent de plusieurs commoditez de la vie, la Providence les en dédommage avec usure, par le soin extraordinaire que l’on prend ici de leur Salut éternel. Si leur naissance étoit plus relevée, ou qu’ils fussent riches, ils n’auroient pas cette bonne Education, qui n’est destinée qu’à ceux qui sont assez bas dans le Monde, pour la recevoir, & qui leur procure, sans les moindres frais, des [312] avantages que les riches ne sauroient obtenir avec leur argent. L’instruction, qui leur est donnée gratis, les édifie plus, que celle qui est vendue aux autres : c’est ainsi que plus ils sont humiliez à l’égard de la Fortune, plus ils sont élevez à l’égard des bonnes mœurs, & que leur Pauvreté fait, au pied de la lettre, toute leur Richesse. ◀Zitat/Motto

L. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1