Le Spectateur ou le Socrate moderne: XL. Discours

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XL. Discours

Citation/Motto

Sermones ego mallem.
Repentes per humum.

Hor. L. II. Epist. i. 250.

J’aimerois mieux que son Stile fût bas & rampant.

Metatextuality

Lettre d’un Mari sur le Caractere de la Femme, qui négligeoit les affaires de son Domestique, que pour apprendre le Grec.

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Letter/Letter to the editor

Mr. le Spectateur, « Vous avez rendu de si bons services à cette grande Ville, & remedié aux desordres de tant de Familles, par les conseils que vous avez donnez aux Femmes, & qu’elles ont souvent préféré à ceux de leurs Maris, que cela m’engage à m’adresser à vous en cette occasion. J’ai une Boutique, & quoi qu’assez jeune, je trouve, par expérience, qu’entre les Personnes qui se mêlent de quelque Négoce, il n’y a qu’une vigilance extrême du Mari & de la Femme qui puisse maintenir les affaires sur un pié tolérable. D’abord que j’eus commencé à m’établir avec ma Femme, elle me fut d’un grand secours dans tout ce qui regardoit mon Trafic, & n’oublia rien pour m’aider en tout ce qu’elle pouvoit : j’ai même raison de croire qu’elle s’y attachoit avec plaisir ; mais depuis peu elle est venue à connoître un certain Pédant, qui s’estime beaucoup par l’intelligence qu’il a du Grec. Il lui parle tous les jours dans la Boutique des beautez de l’énergie de cette Langue, & il lui cite divers passages des Poëtes Grecs, où il trouve une merveilleuse harmonie & des agrémens inconnus à toutes les autres Langues. Il l’a si bien prévenue en faveur de son Jargon qu’elle n’a plus le même soin des affaires de la Boutique ni du Ménage, & qu’elle ne pense qu’à se remplir la tête de quelques bribes de Grec, qui lui échapent en toute occasion. Il y a peu de jours qu’elle me dit, d’un air fort sérieux, qu’il faudroit changer certaines Inscriptions Latines que j’ai dans ma Boutique, & les mettre en Grec ; puisque c’est une Langue moins connue, & que cela quadreroit mieux avec le mystere de ma Profession ; que d’ailleurs notre bon Ami nous aideroit à executer ce dessein, & que les Membres d’une certaine Faculté m’en seroient si obligez, qu’ils feroient à coup sûr ma fortune. En un mot, ses importunitez réїterées à cet égard & autres sottises de la même nature me rendent la vie amere ; & si vos Avis n’ont pas sur elle plus d’effet que les miens, il est à craindre que je ne me ruine pour lui procurer une Place à l’Université d’Oxford, avec son nouveau Maître, puis qu’elle est déja trop folle pour être admise aux petites Maisons. Vous voyez, mon cher Monsieur, le danger où ma Famille est exposée, & la grande apparence qu’il y a que ma Femme ne devienne incommode & inutile, à moins que la lecture de son Portrait dans une de vos Feuilles volantes ne la raméne au bon Sens. Elle est d’un savoir si étendu, que je n’oserois argumenter avec elle sur aucun sujet.

Metatextuality

Elle éclata de rire l’autre jour, sur ce que vous terminiez 1un de vos Discours par un Vers Grec. Elle fut charmée de ce trait, que vous aviez mis, disoit-elle, pour les Femmes savantes, & que vous aviez eu la civilité de ne pas traduire en Anglois, afin de les distinguer du Vulgaire.
C’est-là, Monsieur, l’état de votre obéissant & désolé serviteur, &c. »

Metatextuality

Lettre d’une jeune Dame sur le choix de son Mari.

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Letter/Letter to the editor

Mr. le Spectateur, « Si vous êtes aussi humain & compatissant que vous tâchez de le paroître dans tous vos Discours, vous ne refuserez pas vos Avis à une jeune Demoiselle, qui en a besoin, pour calmer les agitations de son Esprit, & se déterminer sur une affaire de la derniere importance. Vous saurez donc qu’il y a un jeune Homme assez agréable, à qui l’on ne peut rien objecter soit à l’égard de la Personne, de l’Esprit, ou de l’Humeur, qui se dit amoureux de moi depuis long-tems. D’ailleurs, sans décider si cela vient de mon orgueil naturel, ou de la sincerité aparente de mon Amant, je croi au pied de la lettre qu’il m’estime ; & si ma croyance est fondée, vous m’avouerez qu’elle doit relever son mérite auprès de sa Maitresse. En un mot, sensible à ses bonnes qualitez, & à ce qui est dû à sa passion, je me résoudrois à lui sacrifier ma liberté plûtôt qu’à tout autre, si l’on ne trouvoit dans le monde que son Bien ne répond pas à ma Dot, ni à tout ce que je pourrois prétendre, & si cette démarche ne m’exposoit à me voir taxée, comme le sont d’ordinaire les Demoiselles en pareil cas, d’avoir fait une sottise. D’un autre côté, quoique je sois du petit nombre de celles qui méprisent un Equipage, les Pierreries & un Fat ; avec tout cela, puisque les plus honnêtes Gens du monde, & ceux qui passent pour les plus habiles ont de toutes autres idées que moi là-dessus, je ne saurois me résoudre à m’attirer leur Censure, qui est inévitable, si, au lieu de chercher un Epoux plus riche que moi, je me déclare pour un qui ne l’est pas tant. Mais incertaine si je dois me gouverner par les Maximes qui régnent dans le monde, ou prêter l’oreille à la voix de mon Amant, & à mon inclination qui me sollicite en sa faveur, c’est ce qui augmente mon embarras & mes inquiétudes. Il n’y a, Monsieur, que vos bons Avis, en cette occasion, qui puissent faire pancher la balance ; & je vous suplie de me les envoyer au plûtôt. Du moins j’ai donné parole positive de ne pas congédier tout-à-fait mon Berger, jusqu’à ce que je les aye reçus.

Metatextuality

S’il vous plaît d’insérer ce petit détail dans un de vos Discours, peut-être qu’il sera de quelque usage à bien d’autres Personnes de mon Sexe, qui vous en auront la même obligation que celle qui est, &c.
Florinde. P. S. Pour vous dire la vérité, j’ai déja épousé mon Amant : Ainsi bornez-vous, s’il vous plaît, à justifier ma Conduite. »

1Je ne l’ai pas traduit, parce qu’il ne regarde que certaines Coëffes de taffetas, vertes, jaunes, bleuës & de toutes couleurs, qui étoient alors à la mode en Angleterre, & que cela est trop peu intéressant pour les Etrangers de bon goût.