Le Spectateur ou le Socrate moderne: XXVI. Discours
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Niveau 1
XXVI. Discours
Citation/Devise
ΟυΚ αρα σοι γε παΤηρ ην ιπποΤα Πηλευς ,
Ουδε Θετις μητηρ , γλαυκη δε σ ετικτε Θαλασσα ,
Πετραι τ ηλιβατοι , οτι τοι νοος εστιν απηνης.
Ουδε Θετις μητηρ , γλαυκη δε σ ετικτε Θαλασσα ,
Πετραι τ ηλιβατοι , οτι τοι νοος εστιν απηνης.
Hom. Iliad. xvi. 33.
Non , le vaillant Pelée n’est point votre pere ; & la Déesse Thétis ne vous a point porté dans ses flancs ; la Mer orageuse vous a enfanté ; un Rocher vous a donné la naissance , vous en avez toute la dureté.
Niveau 2
Metatextualité
Lettre sur les Meres qui ne veulent pas alaiter leurs Enfans.
Niveau 3
Lettre/Lettre au directeur
Mr. le Spectateur ,
Puisque votre Feuille volante fait partie de l’attirail , qui est en usage lors qu’on boit le Thé , & que je n’ai pas d’autre moyen d’entretenir le beau Sexe veulent sur un des plus importans devoirs de la Vie , qui regarde le soin qu’on doit prendre des Enfans , je vous conjure de vouloir publier ce qui suit. Metatextualité
Vos Discours , ne me paroissent pas uniquement destinez pour le Monde savant & poli ; & il me semble qu’on ne s’écarteroit pas de votre but , si l’on en donnoit quelquesuns , qui rendissent à l’instruction du Genre Humain en général ; ce qui vaut mille fois mieux que tout l’Enjoument & les traits d’Esprit , que vous y pouvez mêler. Permettez-moi donc de vous dire , de tous les Abus que vous avez tâché de réformer jusques-ici , il n’y en pas un qui soit plus digne de vos soins que celui qui se commet tous les jours dans la nourriture des Enfans. Allégorie
Peut-on rien voir de plus cruel qu’une Mere , qui , avec toutes les qualitez requises pour cultiver le Fruit de ses entrailles , n’en est pas plutôt délivrée , qu’elle s’en décharge sur une Femme , qui , dix mille contre un , n’est point saine de corps ni d’esprit , qui n’a ni honneur ni réputation , ni tendresse ni pitié pour le pauvre Innocent qu’on lui confie , qui , attachée à son unique intérêt , n’en prend soin qu’à force de l’argent qu’on lui donne , & qui le néglige même quelquefois jusques â le laisser périr ; semblable à ce terroir , sur lequel Esope alllégorise , qui refusoit de nourrir une Plante étrangere , par cela seul qu’elle n’étoit pas de son cru ? Puis donc que l’Enfant d’une autre n’est pas plus naturel à sa Nourrice , qu’une Plante Etrangere à l’égard d’un nouveau terrroir , comment peut-on suposer que cet Enfant viendra bien ; & s’il réussit , ne doit il pas inbiber les humeurs groissieres & toutes les mauvaises qualitez de sa Nourrice de même qu’un Arbre transplanté dans un autre terroir , ou qu’une Grêfe entée sur une tige de différente espéce ? Ne voyons nous pas qu’un Agneau qui tette une Chévre perd beaucoup de son naturel , & que sa laine aproche du poil de sa Nourrice ? L’expérience de tous les jours suffit pour nous convaincre que l’humeur & les qualitez d’une Femme passent , avec son lait , dans le corps d’un Enfant : De là vient qu’on disoit autrefois d’un méchant Homme , qu’il avoit sucé son fiel avec le lait de sa Mere , ou qu’une Bête féroce l’avoit nourri. De là vient qu’on a prétendu que Remus & Romulus avoient été nourris par une Louve , Telephe le Fils d’Hercule , par une Biche , Pelias le Fils de Neptune par une Cavale , & Ægisthe par une Chévre : Ce n’est pas qu’ils eussent tetté ces Animaux , comme quelques Sots l’ont cru , mais on le disoit , parce qu’ils étoient de leur naturel , & qu’ils le tenoient de leurs Nourrices.
Exemple
Fondé sur de bonnes Autoritez , & l’expérience de tous les jours , je pourrois alléguer divers Exemples , qui prouvent que les Enfans contractent les Desordres & les Passions de leurs Nourrices , soit la Colere , la Timidité , la Mèlancolie , la Tristesse , l’Envie , la Malice & la Haine. C’est ce que Diodore de Sicile témoigne , 1lors qu’il nous dit que la Nourrice de Neron étoit fort adonnée au vin , & que cet Empereur l’imita si bien là-dessus , que le Peuple , au lieu de Tiberius Nero , l’apelloit Biberius Mero , pour insinuer qu’il aimoit à boire le vin pur. Il nous aprend aussi que la Nourrice de Caligula se frottoit le bout des mammelles avec du sang , afin qu’il pût mieux y coler ses lévres & que cela même l’avoit rendu si cruel & si sanguinaire toute sa vie , que non seulement il avoit commis divers meurtres , mais souhaité que tout le Genre Humain n’eût qu’une tête , pour avoir le plaisir de l’abattre d’un seul coup. De pareils excès étonnent les Peres & les Meres , qui ne savent à quoi les attribuer , ni d’où vient que leurs Enfans sont Yvrognes , Larrons , cruels & stupides : Cependant , il est aisé de faire voir qu’un Enfant , quoique né des plus honnêtes Gens du monde , peut être gâté par la mauvaise constitution de sa Nourrice. Combien n’en voyons-nous pas tous les jours s’attirer des convulsions , la Phthisie , le Rachitis , ou d’autres maux , pour avoir tetté leurs Nourrices , lors qu’elles étoient en colere ? Il est certain que la Nourrice n’a presque aucun accident fâcheux , qui ne passe au Nourrisson , & qu’il s’en trouve peu dans cette Ville , qui ne soient sujettes à quelque Maladie. Si vous demandez à une jeune Femme , d’où vient qu’elle veut nourrir les Enfans des autres , elle vous répondra d’abord , qu’elle a un méchant Mari , & qu’elle doit gagner sa vie le mieux qu’il lui est possible. Cette réponse , à le bien peser , ne sauroit que donner du rebut pour cette Femme , puis qu’il y a dix contre un à parier que ce Mari débauché l’infectera de quelque vilain Mal , ou qu’il lui causera du moins de l’embarras & du trouble. D’ailleurs , réduite par la nécessité à prendre cet Enfant , elle ne peut se nourrir que de viandes grossieres & indigestes , qui produisent un mauvais sang & un lait impur , d’où resultent presque toujours le Scorbut , les Ecrouelles , & diverses autres Maladies. Ayez donc la bonté , mon cher Monsieur , en faveur de tant d’innocentes Créatures exposées à de si grand périls , d’employer tous vos efforts & les traits les plus vifs de votre Eloquence , pour engager les Meres à nourrir leurs propres Enfans ; ce qui ne peut tourner qu’à leur avantage commun. On a beau dire que la Mere s’affoiblit par là , il n’y a rien de plus ridicule ni de plus faux ; je soutiens au contraire qu’elle en est plus vigoureuse , & qu’elle s’en porte beaucoup mieux : C’est le meilleur reméde qu’elle puisse trouver pour se garantir des vapeurs , & prévenir les fausses couches : Ses Enfans en deviendront plus robustes , au lieu qu’a laitez par une autre , ils ressemblent à des Squelettes & à des Ombres , ou à un Fruit sec , qui ne meurit jamais : Il est certain qu’une Femme , qui a la force de mettre un Enfant au monde , n’en manque pas d’ordinaire pour le nourrir. Le cœur me saigne à vue de tant de pauvres Enfans , qui sont si délicats , que la moindre chose peut les blesser ; qu’un petit coup , sur tout à la tête , peut rendre stupides ou infirmes pendant toute leur vie , qui demandent , à cause de cela même , un soin tout particulier , & qui périssent tous les jours par la négligence de leurs Nourrices.
Il me semble que rien n’aproche de la cruauté d’une Femme , qui , après avoir porté neuf mois un Enfant dans le sein , & l’avoir nourri tout ce tems comme une partie d’elle-même , l’abandonne lors qu’il voit le jour , que , par ses cris & ses larmes , il implore son assistance , & qu’il la sollicite , pour ainsi dire , à remplir à son égard les devoirs d’une Mere. Les Bêtes les plus féroces n’ont-elles pas tout le soin imaginable de leurs Petits , & ne le prennent-elles pas avec joie ? Comment peut on aussi donner le nom de Mere à une Femme , si elle ne veut pas nourrir ses Enfans ? La Terre n’est pas apellée Mere de toutes choses , par cela seul qu’elle les produit , mais sur tout parce qu’elle entretient ses productions. La naissance de l’Enfant est une suite d’un desir machinal ; mais le soin qu’on a de le nourrir & de l’élever , marque du choix & de la vertu. Je sai qu’il y a de certains Cas qui en dispensent la Mere , & que de deux maux elle doit éviter le pire : mais il s’en trouve si peu de cet ordre , que de mille prétextes qu’on allégue , à peine y en a-t il un qui soit valable. Du moins , si une Femme croit que son Mari est en état de soutenir une dépense de cinq ou six Chelins par semaine , au delà de ce qu’il faut pour leur subsistance , quoi qu’elle n’y ait pas toûjours égard , elle ne manque jamais , apuyée de ses Commeres , d’engager le bon Homme à mettre leur Enfant en Nourrice , & de lui persuader que son indisposition en est la cause. C’est ainsi que la Cruauté est favorisée par la Mode , que la Nature céde à la Coûtume. Je suis , &c.
T.
Niveau 2
Metatextualité
Lettre sur les Meres qui ne veulent pas alaiter leurs Enfans.
Niveau 3
Lettre/Lettre au directeur
Mr. le Spectateur ,
Puisque votre Feuille volante fait partie de l’attirail , qui est en usage lors qu’on boit le Thé , & que je n’ai pas d’autre moyen d’entretenir le beau Sexe veulent sur un des plus importans devoirs de la Vie , qui regarde le soin qu’on doit prendre des Enfans , je vous conjure de vouloir publier ce qui suit. Permettez-moi donc de vous dire , de tous les Abus que vous avez tâché de réformer jusques-ici , il n’y en pas un qui soit plus digne de vos soins que celui qui se commet tous les jours dans la nourriture des Enfans. Puis donc que l’Enfant d’une autre n’est pas plus naturel à sa Nourrice , qu’une Plante Etrangere à l’égard d’un nouveau terrroir , comment peut-on suposer que cet Enfant viendra bien ; & s’il réussit , ne doit il pas inbiber les humeurs groissieres & toutes les mauvaises qualitez de sa Nourrice de même qu’un Arbre transplanté dans un autre terroir , ou qu’une Grêfe entée sur une tige de différente espéce ? Ne voyons nous pas qu’un Agneau qui tette une Chévre perd beaucoup de son naturel , & que sa laine aproche du poil de sa Nourrice ? L’expérience de tous les jours suffit pour nous convaincre que l’humeur & les qualitez d’une Femme passent , avec son lait , dans le corps d’un Enfant : De là vient qu’on disoit autrefois d’un méchant Homme , qu’il avoit sucé son fiel avec le lait de sa Mere , ou qu’une Bête féroce l’avoit nourri. De là vient qu’on a prétendu que Remus & Romulus avoient été nourris par une Louve , Telephe le Fils d’Hercule , par une Biche , Pelias le Fils de Neptune par une Cavale , & Ægisthe par une Chévre : Ce n’est pas qu’ils eussent tetté ces Animaux , comme quelques Sots l’ont cru , mais on le disoit , parce qu’ils étoient de leur naturel , & qu’ils le tenoient de leurs Nourrices.
De pareils excès étonnent les Peres & les Meres , qui ne savent à quoi les attribuer , ni d’où vient que leurs Enfans sont Yvrognes , Larrons , cruels & stupides : Cependant , il est aisé de faire voir qu’un Enfant , quoique né des plus honnêtes Gens du monde , peut être gâté par la mauvaise constitution de sa Nourrice. Combien n’en voyons-nous pas tous les jours s’attirer des convulsions , la Phthisie , le Rachitis , ou d’autres maux , pour avoir tetté leurs Nourrices , lors qu’elles étoient en colere ? Il est certain que la Nourrice n’a presque aucun accident fâcheux , qui ne passe au Nourrisson , & qu’il s’en trouve peu dans cette Ville , qui ne soient sujettes à quelque Maladie. Si vous demandez à une jeune Femme , d’où vient qu’elle veut nourrir les Enfans des autres , elle vous répondra d’abord , qu’elle a un méchant Mari , & qu’elle doit gagner sa vie le mieux qu’il lui est possible. Cette réponse , à le bien peser , ne sauroit que donner du rebut pour cette Femme , puis qu’il y a dix contre un à parier que ce Mari débauché l’infectera de quelque vilain Mal , ou qu’il lui causera du moins de l’embarras & du trouble. D’ailleurs , réduite par la nécessité à prendre cet Enfant , elle ne peut se nourrir que de viandes grossieres & indigestes , qui produisent un mauvais sang & un lait impur , d’où resultent presque toujours le Scorbut , les Ecrouelles , & diverses autres Maladies. Ayez donc la bonté , mon cher Monsieur , en faveur de tant d’innocentes Créatures exposées à de si grand périls , d’employer tous vos efforts & les traits les plus vifs de votre Eloquence , pour engager les Meres à nourrir leurs propres Enfans ; ce qui ne peut tourner qu’à leur avantage commun. On a beau dire que la Mere s’affoiblit par là , il n’y a rien de plus ridicule ni de plus faux ; je soutiens au contraire qu’elle en est plus vigoureuse , & qu’elle s’en porte beaucoup mieux : C’est le meilleur reméde qu’elle puisse trouver pour se garantir des vapeurs , & prévenir les fausses couches : Ses Enfans en deviendront plus robustes , au lieu qu’a laitez par une autre , ils ressemblent à des Squelettes & à des Ombres , ou à un Fruit sec , qui ne meurit jamais : Il est certain qu’une Femme , qui a la force de mettre un Enfant au monde , n’en manque pas d’ordinaire pour le nourrir. Le cœur me saigne à vue de tant de pauvres Enfans , qui sont si délicats , que la moindre chose peut les blesser ; qu’un petit coup , sur tout à la tête , peut rendre stupides ou infirmes pendant toute leur vie , qui demandent , à cause de cela même , un soin tout particulier , & qui périssent tous les jours par la négligence de leurs Nourrices.
Il me semble que rien n’aproche de la cruauté d’une Femme , qui , après avoir porté neuf mois un Enfant dans le sein , & l’avoir nourri tout ce tems comme une partie d’elle-même , l’abandonne lors qu’il voit le jour , que , par ses cris & ses larmes , il implore son assistance , & qu’il la sollicite , pour ainsi dire , à remplir à son égard les devoirs d’une Mere. Les Bêtes les plus féroces n’ont-elles pas tout le soin imaginable de leurs Petits , & ne le prennent-elles pas avec joie ? Comment peut on aussi donner le nom de Mere à une Femme , si elle ne veut pas nourrir ses Enfans ? La Terre n’est pas apellée Mere de toutes choses , par cela seul qu’elle les produit , mais sur tout parce qu’elle entretient ses productions. La naissance de l’Enfant est une suite d’un desir machinal ; mais le soin qu’on a de le nourrir & de l’élever , marque du choix & de la vertu. Je sai qu’il y a de certains Cas qui en dispensent la Mere , & que de deux maux elle doit éviter le pire : mais il s’en trouve si peu de cet ordre , que de mille prétextes qu’on allégue , à peine y en a-t il un qui soit valable. Du moins , si une Femme croit que son Mari est en état de soutenir une dépense de cinq ou six Chelins par semaine , au delà de ce qu’il faut pour leur subsistance , quoi qu’elle n’y ait pas toûjours égard , elle ne manque jamais , apuyée de ses Commeres , d’engager le bon Homme à mettre leur Enfant en Nourrice , & de lui persuader que son indisposition en est la cause. C’est ainsi que la Cruauté est favorisée par la Mode , que la Nature céde à la Coûtume. Je suis , &c.
Metatextualité
Vos Discours , ne me paroissent pas uniquement destinez pour le Monde savant & poli ; & il me semble qu’on ne s’écarteroit pas de votre but , si l’on en donnoit quelquesuns , qui rendissent à l’instruction du Genre Humain en général ; ce qui vaut mille fois mieux que tout l’Enjoument & les traits d’Esprit , que vous y pouvez mêler.
Allégorie
Peut-on rien voir de plus cruel qu’une Mere , qui , avec toutes les qualitez requises pour cultiver le Fruit de ses entrailles , n’en est pas plutôt délivrée , qu’elle s’en décharge sur une Femme , qui , dix mille contre un , n’est point saine de corps ni d’esprit , qui n’a ni honneur ni réputation , ni tendresse ni pitié pour le pauvre Innocent qu’on lui confie , qui , attachée à son unique intérêt , n’en prend soin qu’à force de l’argent qu’on lui donne , & qui le néglige même quelquefois jusques â le laisser périr ; semblable à ce terroir , sur lequel Esope alllégorise , qui refusoit de nourrir une Plante étrangere , par cela seul qu’elle n’étoit pas de son cru ?
Exemple
Fondé sur de bonnes Autoritez , & l’expérience de tous les jours , je pourrois alléguer divers Exemples , qui prouvent que les Enfans contractent les Desordres & les Passions de leurs Nourrices , soit la Colere , la Timidité , la Mèlancolie , la Tristesse , l’Envie , la Malice & la Haine. C’est ce que Diodore de Sicile témoigne , 1lors qu’il nous dit que la Nourrice de Neron étoit fort adonnée au vin , & que cet Empereur l’imita si bien là-dessus , que le Peuple , au lieu de Tiberius Nero , l’apelloit Biberius Mero , pour insinuer qu’il aimoit à boire le vin pur. Il nous aprend aussi que la Nourrice de Caligula se frottoit le bout des mammelles avec du sang , afin qu’il pût mieux y coler ses lévres & que cela même l’avoit rendu si cruel & si sanguinaire toute sa vie , que non seulement il avoit commis divers meurtres , mais souhaité que tout le Genre Humain n’eût qu’une tête , pour avoir le plaisir de l’abattre d’un seul coup.
1Lib. II.