Le Spectateur ou le Socrate moderne: XXV. Discours

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Livello 1

XXV. Discours

Citazione/Motto

Formam quidem ipsam , Marce , fili , & tan
quam faciem honesti vides : quæ si oculis cer
neretur, mirabiles amores , ut ait Plato ,
excitaret Sapienta.

Cic. de Offic. L. I. c. 5.

Vous voyez , mon fils Marc , quelle est la forme & quels sont , pour ainsi dire , les traits de la Vertu ; mais si elle frapoit nos yeux , on auroit , comme dit Platon , des transports amoureux pour elle.

Metatestualità

De la beauté de la Vertu considérée en elle-même, & de l’injustice que les differens Partis ont les uns pour les autres.

Livello 2

Metatestualità

Je ne me souviens pas d’avoir lu aucun Discours qui traite expressément de la beauté & des charmes de la Vertu , sans la regarder comme un Devoir , ou le seul moyen de nous rendre heureux dans cette vie & dans l’autre. C’est pour cela même que je l’envisagerai ici sous cette idée , en ce qu’elle est aimable de sa nature , soit qu’on lui donne le nom de Vertu en général avec tous les Ecrivains de Morale , ou celui de Religion avec les Personnes pieuses , ou celui d’Honneur avec les Gens du monde.
L’Hypocrisie fait beaucoup d’honneur , ou plûtôt rend justice à la Religion , & avoue tacitement qu’elle sert à orner la Nature Humaine. En effet , l’Hypocrite ne chercheroit pas tant à se couvrir des aparences de la Vertu , s’il ne savoit que c’est le plus sûr moyen de gagner les bonnes graces & l’estime des Hommes.

Citazione/Motto

Nous aprenons d’Hieroclès qu’on disoit d’ordinaire entre les Payens , que le Sage ne haït personne ; mais qu’il n’aime que les Vertueux.
Ciceron a une belle gradation de pensées , pour faire voir jusqu’à quel point la Vertu est aimable.

Citazione/Motto

« 1Nous aimons , dit-il , un Homme vertueux , quoi qu’il habite au bout du Monde & que nous ne puissions recevoir aucun avantage de sa Vertu. Que dis je ? Nous l’aimons , quoi qu’il soit mort depuis bien des siécles , & son Histoire excite dans nos Esprits une secrette bienveillance pour lui : Ce n’est pas tout , nous l’aimons , quoi qu’il ait été l’Ennemi de notre Patrie , pourvu qu’à l’exemple de Pyrrhus , ( que Ciceron opose ici à Hannibal , ) il ait suivi , dans ses Guerres , les régles de la Justice & de l’Humanité. »
Le Stoïcisme , qui faisoit une Extravagance de la Vertu , attribue toute sorte de bonnes qualitez à l’Homme vertueux. De là vient que Caton poussoit les choses si loin , que , suivant le Caractère que Ciceron nous en donne , il prètendoit qu’il n’y avoit que le Sage qui fût beau. Il est vrai que ceci ressemble plutôt à une vision de Philosophe , qu’à l’opinion d’un Homme sage ; mais cela n’empêche pas que Caton ne l’ait soutenu fort sérieusement. Les Stoïciens croyoient qu’ils ne pouvoient jamais donner une assez juste idée de la Vertu , s’ils n’y renfermoient toutes les perfections imaginables. C’est pour cela qu’ils ne se bornoient pas à suposer qu’elle étoit en elle-même d’une beauté transcendante ; mais ils vouloient aussi qu’elle rendît aimable le corps de la Personne qui la possedoit , & qu’elle en bannît toute sorte de laideur. On remarque d’ordinaire que les Personnes les plus déréglées souhaitent que leurs proches Parens ménent une toute autre vie. Il n’est pas moins connu que les plus grand Débauchez sont ceux qui admirent le plus la Vertu du beau Sexe , quoi qu’ils ne pensent qu’à le corrompre. Une Ame vertueuse jointe à un beau Corps est une belle Peinture mise dans tout son jour de sorte qu’on ne doit pas s’étonner si elle remplit le beau Sexe de charmes. On peut dire que la Vertu en général est aimable , mais il y en a quelques-unes en particulier qui le sont plus que les autres , comme celles , par exemple , qui nous disposent à faire du bien à tout le monde. La Tempérance & la Sobriété , la Dévotion & la Piété , sont peut-être aussi louables en elles-mêmes qu’aucune autre Vertu ; mais celles qui rendent un Homme populaire , & qui lui gagnent les cœurs , sont la Justice , la Charité , la Libéralité , en un mot toutes les bonnes qualitez qui nous rendent bienfaisans les uns envers les autres. De là vient qu’un Prodigue , qui n’a pour tout avantage qu’une fausse Générosité , est souvent plus chéri & plus estimé qu’une Personne d’un meilleur Caractere , mais qui manque à cet égard. Les deux grands ornemens de la Vertu , qui la font paroître dans son plus beau jour , & qui la rendent tout-à-fait aimable , sont Ia Gayeté & le bon Naturel. Ces deux qualitez se tiennent presque toujours par la main ; puis qu’un Homme ne sauroit plaire aux autres , s’il n’a la continence en repos. Elles sont fort utiles à un Esprit vertueux , pour bannir la mélancolie des pensées sérieuses où il est engagé , & le calmer en sorte que sa haine pour le Vice ne se tourne en aigreur , ni en sévérité , ni en médisance. Si la Vertu est aimable , que peut-on croire de ceux qui la regardent d’un œil malin , & qui souffrent que leur aversion d’un Parti efface tout le mérite de la Personne qui s’y trouve engagée. Il faut qu’une Homme soit bien stupide & peu charitable , s’il croit qu’il n’y a de la Vertu que dans son parti , & qu’il ne se trouve pas d’aussi honnêtes Gens , que lui-même , qui sont d’un autre avis en matiere de Politique. On peut avoir des idées differentes sur certains sujets ; mais on ne doit pas noircir de belles & bonnes qualitez , qui seront toujours estimées , & qui n’ont rien de commun avec ce qui est en dispute. Les Personnes de mérite , qui se trouvent dans des intérêts oposez , devraient se regarder comme plus étroitement unies ensemble , qu’avec les Vicieux , qui s’embarquent avec elles dans la même Cause. Nous devrions avoir , pour un Homme d’honneur , qui est notre Antagoniste , la même estime , que Ciceron veut qu’on ait pour un illustre Ennemi qui est mort ; c’est à dire , que nous devrions aimer la Vertu quoi qu’elle fût dans un Ennemi , & detester le Vice quoi qu’il se trouvât dans un Ami. J’ai égard ici à la maniere cruelle & indigne , dont tous les Partis en usent envers ceux qui ne sont pas de leur opinion. Combien de Personnes d’une probité reconnue & d’une Vertu exemplaire n’y a-t il pas , que l’on noircit & que l’on diffame ? Combien de Gens d’honneur ne voit-on pas exposez aux reproches & à la médisance du Public ? que peut-on donc croire , si ce n’est que les Auteurs ou les Instrumens de cette conduite infernale emploient la Religion pour avancer leur Cause , & non pas leur Cause pour les intérêts de la Religion ? C.

1Je ne trouve point cet endroit mot pour mot dans Ciceron; mais il semble que l’Auteur fait ici allusion à ce qui est dit dans le Dialogue De Amicitia, Ch. 8. à la fin : Nihil est enim amabilius Virtute, nihil quod magis adliciat ad diligendum: quippe cum propter virtutem, & probitatem eos etiam, quos numquam vidimus, quodammodo diligamus, &c.