Le Spectateur ou le Socrate moderne: XXIV. Discours
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XXIV. Discours
Zitat/Motto
Creditur, ex medio quia res arcessit,
habere
Sudoris minimum ; sed habet Comœdia tantò
Plus onerit, quantò veniæ minus :
Sudoris minimum ; sed habet Comœdia tantò
Plus onerit, quantò veniæ minus :
Hor. L. ii. Ep. i. 168.
On s’imagine que c’est une chose fort aisée à faire qu’une Comédie, parce que le sujet en est simple & ordinaire : mais comme on n’y pardonne rien, il ne se peut qu’elle ne soit extrêmement difficile.
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Metatextualität
Lettre d’une Dame sur l’incivilité d’un Homme avec qui elle se trouva dans un Coche public.
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Brief/Leserbrief
Mr. le Spectateur, « Vos Leçons à l’égard des bonnes mœurs
& de la Politesse n’ont pas en général tout l’effet que je souhaiterois bien.
Ainsi, malgré toutes vos déclamations contre les Duels, je me flate que vous nous
rendrez justice, & que vous aurez la bonté de publier que, si ce Brutal à le courage de se rendre au Lieu, où il nous vit mettre pié à terre pour nous
délivrer de ses insultes, il n’y en a pas une de nous qui n’ait son Amant prët à vanger
ce cruel Afront. Il me semble qu’il ne seroit pas indigne de vos soins d’examiner les
fréquens malheurs de cette espéce, ausquels les Personnes de notre Sexe, qui ont de la
Modestie & de la Pudeur, se trouvent exposées, par la conduite licencieuse de ceux du
vôtre, qui ont aussi peu de goût pour la bonne Education que pour la Vertu. Si nous
pouvions éviter d’entendre ce que nous n’aprouvons pas, comme il nous est facile de ne
pas voir ce qui nous déplaît, il y auroit quelque moyen de se consoler ; mais puis que,
dans une Loge à la Comédie, dans une assemblée de Dames ; ou même dans un Banc à
l’Eglise, il est au pouvoir d’un Sot & d’un Brutal de dire à une Femme ce qu’elle ne
sauroit éviter d’entendre, n’est-elle pas bien malheureuse de se trouver à
la discrétion de ces Impertinens, & n’est-il pas juste de redoubler vos assauts
contre un pareil procédé ? Si les Libertins voient renoncé à tout principe d’Honneur, ils
sauroient que la Modestie choquée expose aux plus cruels tourmens qu’une Créature Humaine
puisse jamais endurer. Si ces Brutaux étoient capables de réfléchir un peu, quoi
qu’insensibles à la Honte, la seule Compassion leur donneroit du rebut pour une conduite
si barbare en presence de Perfonnes chastes & pudiques. En un mot, si vous aviez la
bonté de publier un Discours là dessus, pour être affiché sur tous les Coches de la
Grande Bretagne & servir de Régle aux Voyageurs, vous obligeriez infiniment tout le
Sexe, auquel vous avez témoigné tant d’estime, & en particulier les deux Compagnes de
mes souffrances, avec celle qui est, &c. » Rebecca 2Ridinchood.
Metatextualität
1Un de vos Discours précédens sur
l’incivilité de certains Brutaux, dont les Personnes qui voyagent avec eux ne sauroient
éviter la compagnie auroit dû servir de reproche éternel & d’obstacle à toutes les
démarches de la même nature :
Allgemeine Erzählung
Mais j’eus en dernier lieu le sort du Quakre, dont vous y
parlez ; puis que je me trouvai dans un Coche public avec un de ces Incivils, qui nous
tint, à deux ou trois Femmes que nous étions, le langage le plus
mal-honnête & le plus indécent qu’on ait jamais entendu sur la Tamise. Les remarques
qu’il fit, sur la honte & la confusion qu’il nous causoit, étoient d’une si grande
impertinence, que je ne saurois y réfléchir sans être pénétrée d’une vive douleur.
Metatextualität
Lettre sur une avanture arrivée à la Femme d’un Tisserand.
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Brief/Leserbrief
Mr. le Spectateur, « Je me hasarde à vous parler d’une
triste avanture, qui est arrivée en dernier lieu à des Personnes du bas étage, mais qui
mérite si bien d’être communiquée au Public, que vous excuserez, s’il vous
plaît, la manière dont je vai l’exprimer.
C’est-là, Monsieur, un Fait averé, & je ne doute pas que, si les Personnes
intéressées & les circonstances avoient plus le relief, on ne put, dans une Comédie
bien tournée, le traiter de belle Desolation. Vous n’en voyez ici qu’une ébauche fort
grossiere ; mais un habile Peintre, eut-il de moindres matériaux, en feroit, à coup sûr,
une Pièce achevée, & capable d’émouvoir tous ceux qui ont quelque Humanité. Je suis,
&c. »
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Allgemeine Erzählung
Un pauvre Tisserand, paresseux & yvrogne de 3Spitile-Fields, a une honnête Femme laborieuse, qui, par son bon
ménage & son industrie, avoit amassé de quoi mettre un Billet à la Lotterie qui se
tire actuellement. Elle cacha ce Billet au fond d’un Coffre, & en donna le Numero à
une de ses Amies affidées, qui lui promit de garder le secret, & de lui apprendre
sa bonne ou mauvaise fortune. Un jour que cette pauvre Femme étoit allée dehors, son
Mari qui crut qu’elle pouvoit avoir un petit magot quelque part, se mit à fouiller tous
les coins & recoins de leur Chambre, jusqu’à ce qu’il trouva ce même Billet : il ne
manqua pas de le vendre au plus vite, & d’en dissiper le provenu, sans que sa Femme
se doutât de la moindre chose. Un ou deux jours après, son Amie lui vint annoncer
qu’elle avoit attrapé un Lot de cinq cens Livres sterlin. Pénétrée de joie, elle court
à son Mari, qui travailloit au haut de la Maison, & le prie de venir boire avec une
de leurs Amies qui étoit en bas. Il reçut cette invitation obligeante d’aussi mauvaise
grâce que le font d’ordinaire les méchans Maris, & après lui avoir dit quelques
duretez, il ajouta qu’il ne vouloit pas descendre. Sa Femme revint à la
charge avec beaucoup de tendresse, & lui dit à la fin, Mon cœur, il y a quelques
Mois que je ramassai à votre insu de quoi mettre un Billet à la Lotterie, & voilà
Dame 4Quick, qui est
venue exprès pour me dire qu’il est sorti ce matin accompagné d’un Lot de cinq cens
Piéces. Vous en avez menti, répliqua l’Homme, Salope que vous êtes, vous n’avez pas ce
Billet, car je l’ai vendu moi-même. Là-dessus cette pauvre Femme tomba évanouie, &
dans de si grandes convulsions, qu’elle en a perdu l’Esprit. Comme elle n’avoit pas en
vue de frauder son Mari, mais de partager avec lui sa bonne fortune, tout le monde la
plaint, & croit qu’il n’a que ce qu’il mérite.
Metatextualität
Lettre sur deux jeunes Demoiselles, qui s’apliquent à la Philosophie, & qui négligent les affaires du Manége.
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Brief/Leserbrief
Mr. le Spectateur, « Je suis ce qu’on apelle d’ordinaire un
Homme ardent, &, par le bon succès que j’ai eu dans le Commerce, je me vois en état
de paroître avec quelque distinction. Mais ce n’est pas là de quoi j’ai dessein de vous
entretenir ; j’ai deux Niéces sous ma tutelle, & il est à craindre qu’elles ne me
fassent tourner l’Esprit. Du moins elles se piquent de savoir & de littérature ;
&, depuis trois ans & demi qu’elles sont avec moi, elles n’ont eu aucune envie
d’acquérir une seule des qualitez qui font une bonne Ménagere. Lors qu’elles devroient
s’informer de ce qui entre dans la composition d’un 5Sack-Posset, vous les entendriez disputer sur la vertu magnétique de l’Aiman,
ou peut-être sur le pressement de l’Atmosphere : Elles ont un Langage qui leur est
particulier, & ne daignent s’exprimer sur la moindre bagatelle, qu’en des termes
dérivez du Latin. Je les suporterois avec tout cela, si elles vouloient bien me laisser
dans mon ignorance ; mais, si je ne donne dans leurs Idées abstraites, comme elles
s’énoncent, ou plutôt dans leurs distractions, comme il faut les nommer, je ne dois pas
attendre de fumer une Pipe en repos. Lors qu’en dernier lieu je me
plaignois du mal que la Goute me causoit, ma Niéce Cato prit la liberté de me dire que,
malgré tout ce que j’en pensois, divers grands Philosophes, anciens & modernes,
croyoient que le Plaisir & la Douleur étoient imaginaires, & qu’il n’y avoit rien
de tel 6in rerum natura. Je les
ai entendues soutenir, en plusieurs rencontres, que le Feu n’est pas chaud, un jour que
je priai l’une d’elles, avec l’autorité d’un vieux Penard, d’aller chercher mon Manteau
bleu, pour me le mettre sur les genoux, elle me répondit, Je vai le chercher, Monsieur,
mais souvenez-vous que je ne tombe pas d’accord de l’Epithete ; puis qu’on pourroit tout
aussi bien l’apeller jaune, & que la Couleur n’est autre chose que la differente
réfraction des rayons du Soleil. Ma Niéce Marion me dit une fois, que la Nége n’ètoit pas
blanche, & que c’est une erreur vulgaire de l’apeller ainsi, parce qu’elle renferme
quantité de particules nitreuses, & qu’il vaudroit mieux par conséquent l’apeller
noire. En un mot, ces petites Sotes ont voulu me persuader que je ne dois pas m’en fier à
mes yeux, & qu’il n’y a rien de si trompeur que les Sens : La grâce, que je vous
demande à cette occasion, est d’employer un de vos Discours à régler la littérature des
Dames, en sorte du moins qu’elle s’accorde avec le repos de ceux qui ont le
malheur d’être à portée de ses attaques. Je vous prie aussi de nous dire la différence
qu’ y a entre un Gentilhomme qui s’amuseroit à faire des Gâteaux, ou à feuilleter de la
pâte, & une Dame qui lit les Ouvrages de Mr. Locke, & qui entend les
Mathématiques. Vous obligerez beaucoup par-là, celui qui est, &c. » T. Abraham 7Thrifty.
1C’est le xxx. du ii. Tome, p. 176.
2Ce mot Anglois signifie une espece de Câpe, dont les Femmes se servent en Voyage.
3C’est une grande Place de Londres, où il y a quantité d’Ouvriers en soie & en laine.
4Ce mot Anglois signifie vif, promt, diligent.
5Voyez Tome i. p. 284.
6C’est-à-dire, dans la nature des choses.
7Ce mot Anglois signifie, frugal, qui aime l’épangne.