Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "XXIII. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.3\023 (1716), S. 142-147, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1178 [aufgerufen am: ].


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XXIII. Discours

Zitat/Motto► Bella, horrida Bella !

Virg. Æneid. vi. 86.

Ce sont des Guerres, qui font horreur. ◀Zitat/Motto

Metatextualität► Des differentes manieres de Disputer ; reçues dans le monde. ◀Metatextualität

Ebene 2► Je me suis amusé quelquefois à refléchir sur les differentes manieres de disputer, qui ont prévalu dans le Monde. Les Hommes des premiers siécles y employoient une Logique naturelle, que nos Gens du commun suivent aujourd’hui, & qui n’étoit point cultivée par les régles de l’Art.

Ebene 3► Fremdportrait► Socrate introduisit une Méthode d’augmenter, qu’on peut nommer interrogative Il faisoit question sur question à son Adversaire, jusqu’à qu’il l’eût obligé par son propre aveu, à reconnoître qu’il étoit dans l’erreur ! Cette Voie pousse un Ennemi jusqu’à son dernier retranchement, saisit toutes les avenues par où il pourroit s’échaper, & le force à se rendre à discrétion. ◀Fremdportrait

Fremdportrait► Aristote changea de Baterie, & inventa quantité de petites Armes, qu’on apelle Syllogismes. Dans la Voie Socratique [143] on admet tout ce que l’Oposant avance, au lieu que dans l’Aristotelicienne on nie toûjours quelque chose de ce qu’il dit. Socrate est victorieux par stratagême, Aristote par la force : L’un prend la place par la sape, l’autre l’épée à la main. ◀Fremdportrait

Les Universitez de l’Europe soutinrent leurs Disputes, un long espace d’années, par le Syllogisme ; en sorte que nous voyons la Science de plusieurs siècles réduite à des Objections ou à des Réponses, & tout le bon Sens d’alors dépecé, pour ainsi dire, en un nombre infini de Distinctions.

Lorsque nos Universitez s’aperçurent qu’il n’y avoit pas moyen de terminer les Disputes par-là, elles inventerent une espece d’argument, qui ne se peut ranger sous aucun Mode, ni sous aucune Figure d’Aristote. On l’apeloit Argumentum Basilicum, Bacilinum ou Baculinum,qu’on pourroit assez bien exprimer en François par le Droit Canon, ou la Loi du Tricot, lors qu’ils ne pouvoient réfuter leur Antagoniste, ils l’assommoient à coups de bâton. Ils déchargeoient d’abord leurs Syllogismes, & si cela n’operoit point, ils en venoient à leurs Tricots, jusqu a ce que les uns ou les autres eussent confondu leurs Adversaires. Il y a un petit Défilé à Oxford, pour me servir des termes de l’Art militaire, où les differens Partis se livroient bataille, & c’est à cause de cela qu’il retient encore aujourd’hui le nom du Défilé Logical. J’ai entendu un vieux Docteur en Médecine se [144] vanter, que dans sa jeunesse il avoit marché plusieurs fois à la tête d’une Troupe de Scotistes, & bâtonné un Corps de 1 Smigleciens, sans avoir lâché prise qu’il ne les eût poussez tout le long de la haute Rue, mis en déroute, & contraints de se retirer dans leurs Garnisons.

Du tems d’Erasme, cet Esprit polemique fut porté fort loin. Il nous aprend lui-même, qu’au renouvellement des Lettres Grecques, la plupart des Universitez de l’Europe se partagerent en Grecs & en Troïens. Ceux-ci avoient une haine si mortelle pour le Langage des autres, que s’ils trouvoient quelqu’un qui l’entendit, ils ne manquoient pas de le traiter en Ennemi. Erasme eut le malheur de tomber entre les mains d’un de leurs Partis, qui lui donna tant de coups & de soufflets, qu’il ne l’oublia de sa vie.

Il y a une autre maniere d’argumenter, qui n’est pas éloignée de la précedente, & que les Etats & les Princes favorisent, lors qu’ils mettent en campagne cent mille Tenans de chaque côté, & qu’ils se convainquent ainsi les uns les autres à la pointe de l’épée. Un certain Grand Monarque, sensible à la supériorité qu’il avoit dans cette espéce de Raisonnement, a fait mouler cette Inscription sur ses gros Canons, Zitat/Motto► Ratio ultima Regum, qu’on peut traduire, C’est [145] ici la Logique des Rois. ◀Zitat/Motto Mais graces à Dieu, on l’a déja mis à la raison par la voie de ses propres armes. Lors qu’on a quelque chose a démêler avec un Philosophe de sa trempe, on doit se souvenir du mot de ce bon Vieillard, qui s’étoit engagé dans la dispute avec un Empereur Romain. Sur ce qu’un de ses Amis lui reprochoit d’avoir abandonné la partie, lors qu’il avoit visiblement le dessus, il lui répondit en ces termes : Zitat/Motto► Je n’aurai jamais honte d’être réfuté par un Homme qui a cinquante Legions à ses ordres. ◀Zitat/Motto

Je me contente de nommer une autre sorte d’Argumentation, fondée sur la pluralité des voix, aussi bien que celle qui est de la même force, Zitat/Motto► où les paris servent de preuves ◀Zitat/Motto, pour m’exprimer avec 2 Hudibras.

Mais le plus sûr moyen de réussir dans la Dispute, & le plus remarquable de tous est celui où l’on argumente par la Torture. C’est une espéce de Raisonnement qui a été mis en usage avec les pauvres Réfugiez, & qui étoit si à la mode dans notre Païs sous la Reine Marie, qu’un Auteur cité par Mr. Bayle dit, que le prix du bois avoit augmenté en Angleterre, à cause des Executions qui se faisoient tous les jours à 3 Smithfield. Ces Logiciens convainquent [146] leurs Antagonistes par un 4 Sorite, qu’on apelle communément un Monceau de Fagots. La Torture est aussi une espece de Syllogisme, qu’on a mis en œuvre avec beaucoup de succès, & qui a produit un nombre infini de nouveaux Convertis. Autrefois les Hommes étoient délivrez de leurs doutes, & ramenez à la Vérité par la seule force de la Raison, la candeur, & le bon sens de ceux qui avoient le Droit de leur Coté ; mais cette maniere de persuader agissoit trop lentement. On trouva que la Douleur étoit bien plus propre à éclairer l’Esprit que l’Argumentation : de sorte que le moindre scrupule fut taxé d’opiniâtreté invincible, sans le secours de plusieurs Machines inventées dans cette vûё. En un mot, le Foüet, la Torture, le Gibet, les Galeres, les Cachots, le Fer & le Feu, emploïez dans la Dispute, doivent parler pour des rafinemens du Catholicisme sur l’ancienne Logique des Païens.

Il y a une autre nouvelle Méthode de raisonner, qui réüssit presque toûjours, quoi que d’une nature bien differente de celle dont je viens de parler, & qui consiste à persuader un Homme à beaux deniers comptans. Cette voie a obtenu souvent un heureux effet, lors que toutes les autres avoient manqué. Celui qui tire ses Argu-[147]mens du fonds de la Monnoie, convaincra plûtôt son Adversaire, que celui qui les puise dans la Raison & la Philosophie. L’Or a une étrange vertu pour illuminer l’Esprit ; il dissipe tous les doutes & les scrupules dans un clin d’oeil ; il s’accommode à la capacité des plus petits Génies ; il ferme la bouche des plus zélez Brailleurs, & il soûmet l’Opiniâtre le plus infléxible. Philippe de Macedoine possedoit ce beau talent au suprême degré. Il refuta par là toute la sagesse des Atheniens, confondit leurs Politiques, rèduisit leurs Orateurs au silence, & argumenta si bien avec eux de cette maniere, qu’enfin il les dépoüilla de leur liberté. ◀Ebene 3

Après avoir touché ici les differentes Méthodes, reçûёs dans le Monde, à l’égard de la Dispute, je donnerai bien-tôt au Public un compte exact de l’Art de chicaner, qui servira de Réponse à tous les Ecrits qui ont paru jusques-ici contre le Spectateur.

C. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1Smiglecius étoit un savant Jesuite Polonois, Philosophe, Théologien, & grand Controversiste, qui vivoit vers la fin du xvi. siécle.

2Voïez la Note, qui au bas de la p. 414. du ii. Tome.

3C’est une grande Place de Londres.

4Ce mot Grec signifie amas, acumulation, & c’est un Syllogisme, où il y a diverses Propositions entassées les unes sur les autres.