Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "XXII. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.3\022 (1716), S. 137-142, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1177 [aufgerufen am: ].


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XXII. Discours

Zitat/Motto► Nequicquam populo bibulas donaveris aures,
Respue quod non es.

Pers. Sat. iv. 50.

Vous avez tort d’écouter, avec tant de complaisance, les louanges que le peuple vous donne : Ne prenez pas ce qui n’est point à vous. ◀Zitat/Motto

Metatextualität► La Flaterie gâte les Hommes, & la Justice qu’on rend à leur Mérite les encourage à la Vertu. ◀Metatextualität

Ebene 2► Entre toutes les maladies de l’Esprit, il n’y en a point de plus épidemique, ni de plus dangereuse que l’amour de la Flaterie. Quand les humeurs du corps sont disposées à recevoir une influence maligne, il est certain que le Mal qui en résulte y cause de plus grands ravages : On peut dire aussi que, dans cette maladie de l’Esprit, lorsqu’il a beaucoup de penchant à sucer le poison, toute l’Economie raisonnable en est bouleversée, & que la Flaterie, de même qu’un doux Concert de Musique,

Zitat/Motto► Nous desarme le cœur, & l’amolit si bien,

Qu’il n’est plus en état de résister à rien. ◀Zitat/Motto

Nous commençons les premiers à nous flatter, & alors la Flaterie des autres ne sauroit manquer de succès. Elle excite notre Amour propre au dedans, qui est toûjours [138] prêt à se révolter contre la Raison la plus éclairée, & à joindre l’Ennemi du dehors. De là vient que les grâces que nous répandons souvent à pleines mains sur le Flateur, nous sont representées par l’Amour propre, comme bien dues à cet Homme, qui nous réconcilie si agréablement avec nous-mêmes. Lorsque nous sommmes vaincus par des insinuations si douces & des complaisances si engageantes, nous récompensons volontiers les artifices qu’on met en usage pour aveugler notre Raison, & qui triomphent de toutes nos foiblesses.

Mais si tous les Hommes étoient bien persuadez de la bassesse & de l’indignité du Principe qui fait naître cette Passion, il n’y a nul doute que la Personne qui tâcheroit de la nourrir dans nos cœurs, ne devînt aussi méprisable qu’elle est aujourd’hui admirée. L’envie de posseder certaines qualitez que nous n’avons pas, ou de paroître plus que nous ne sommes, est la cause de notre entier dévouement à celui qui nous revêt des Caracteres qui apartiennent à d’autres, & qui nous conviennent peut-être aussi mal que seroient leurs Habits. Au lieu de sortir de notre Naturel pour en choisir un étranger, il vaudroit mille fois mieux nous exercer à polir le nôtre, & à devenir plutôt un bon Original qu’une méchante Copie. Du moins on ne voit aucun Esprit si grossier & si rude, qu’on ne puisse amener, en suivant la tournure qui lui est propre, à quelque usage agréable dans la Con-[139]versation, ou dans les affaires de la Vie civile. Une personne d’une humeur fort brusque, & peu attachée aux cérémonies ordinaires de la bienséance, plaira, de même que 1 Manly dans la Comédie, par la seule grace que la Nature donne à toutes les actions qui viennent de sa part. Ceux qui ont du feu & de la vivacité ne manqueront pas d’avoir leurs admirateurs, & même les sombres ou les mélancoliques peuvent divertir quelquefois.

Lorsque la vanité d’un Homme n’est pas assez vive pour le perdre, le Flateur ne manque pas de la réveiller, & de lui fournir assez de mérite pour le rendre un Sot. Mais si la flaterie est la démarche la plus indigne que l’on puisse faire, les éloges donnez à ceux qui les méritent sont un acte de justice, & l’on peut dire qu’il est toûjours louable de savoir louer à propos. Allegorie► C’est ainsi qu’un habile Poëte donne l’immortalité à son Héros par la belle description qu’il a fait de ses rares Venus, & qu’il la reçoit lui-même à son tour par la beauté de ses Ouvrages : Ils y trouvent tous deux ce qu’ils cherchent, l’un obtient la rècompense due à son mérite, & l’autre prouve [140] qu’il le connoît. Mais celui qui surpasse tous les autres dans l’Art de bien louer, imite les plus excellens Peintres, qui marquent tous les traits & le teint du visage, en adoucissent les couleurs, & joignent l’agrément à la ressemblance. ◀Allegorie

Il n’y a point de plaisir, sélon moi, qui aproche de celui qu’on goûte à recevoir des éloges, qu’on ne sçauroit jamais soupçonner d’aucune flatterie. Ebene 3► Exemplum► 2 Tel fut celui de Germanicus, lors qu’à la veille d’un combat, bien aise de savoir quelle idée ses Légions avoient de sa Personne, il se mêla, sous un habit déguisé, avec les Soldats, & qu’il les entendit louer, de la maniere du monde la plus franche, son air noble & majestueux, son affabilité, sa valeur, sa conduite, & ses glorieux exploits. ◀Exemplum ◀Ebene 3 Quelle joie ne devoit-il pas ressentir à l’ouie de ce discours, & quel aiguillon n’étoit ce pas pour l’engager à suivre les mêmes traces qui lui procuroient un si doux plaisir ?

Il arrive quelquefois que des Ennemis & des Envieux donnent aux Personnes qu’ils haïssent, les marques les plus sinceres de leur estime, lors même qu’ils se proposent un tout autre but. Leur témoignage cause un plaisir d’autant plus grand, qu’il est extorqué par le mérite, & sans aucun mélange de faveur ou de flatterie. Fremdportrait► Malvolio ne loue jamais qu’il n’y soit forcé ; il a de l’esprit, du savoir & du discernement ; mais [141] tout cela est assaisonné d’une bonne dose d’envie, d’amour propre & de médisance : Malvolio pâlit, lors qu’il voit la Compagnie de belle humeur, s’il n’est lui-même le centre de toute la joie ; il devient jaloux & se chagrine, s’il n’est pas la seule personne admirée ; il croît que tous les éloges, qu’on donne à un autre, attaquent son mérite, & font bréche à la supériorité qu’il affecte ; mais par cela même il administre un encens, qu’on ne peut jamais soupçonner de frelaterie. Ses dégoûts & ses inquiétudes sont autant de preuves certaines qu’il n’a pas droit à la gloire qu’il s’attribue, & qu’il a la mortification de voir posseder à un autre. ◀Fremdportrait

La bonne renommée est comparée avec justice à un précieux oignement, & lors qu’on nous loue avec adresse & bienséance, il faut avouer qu’il n’y a point de parfum plus agréable au monde ; mais s’il est admis dans un cerveau trop foible & délicat, on peut dire que, comme une odeur trop forte, il stupefie les sens, & qu’il nuit à ces mêmes nerfs qu’il devoit rafraîchir. Plus une ame est noble & généreuse, plus elle est sensible aux éloges & aux injures ; & si elle acquiert de nouvelles forces par une juste proportion d’honneur & d’aplaudissement, elle est accablée par la négligence & le mépris. Allegorie► D’ailleurs il n’y a que les Personnes fort au dessus du Commun qui soient ainsi touchées par l’une ou l’autre de ces extrêmitez ; de même que dans un Ther-[142]momettre, il n’y a que l’Esprit de vin le plus rafiné qui se contracte ou se dilate par les variations qui arrivent à l’Air. ◀Allegorie

T. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1C’est un des principaux Personnages de la Comédie de Mr. Wycherley, intitulé : the Plain Dealer ou l’Homme franc & sincere. En effet, ce Manly, qui avoit été Capitaine d’un Vaisseau de guerre, y est dépeint sous l’idée d’un honnête Homme, quoique fier & d’une humeur chatouilleuse.

2Voyez Tacit. Anm. ii. Cap. 13.